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Quand le Mexique captive plus Trump que le Canada

Le Devoir | 14 février 2017

Quand le Mexique captive plus Trump que le Canada

par Hélène Buzzetti

Si le Canada est la préoccupation première de Donald Trump, celui-ci aura bien caché son jeu lundi, à l’occasion de sa première rencontre avec Justin Trudeau.

Que ce soit sur la sécurité à la frontière ou l’ALENA, le président américain a chaque fois évité de dire s’il voyait un problème avec son voisin du Nord, préférant répéter les griefs qu’il nourrit envers le Mexique. Le premier ministre aura quant à lui tout fait pour ne pas irriter son bouillant homologue, admettant même que son rôle n’était pas de lui faire la leçon.

Lorsqu’un journaliste canadien a demandé à M. Trump, qui a promis de renégocier l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), s’il considérait la relation commerciale avec le Canada comme aussi problématique à ses yeux que celle avec le Mexique, ce dernier ne s’est pas attardé longtemps sur le sujet.

« Nous avons une relation commerciale exceptionnelle avec le Canada, a-t-il répondu. Nous allons la modifier légèrement et faire des choses qui seront bénéfiques pour nos deux pays. C’est une situation qui est beaucoup moins grave que celle prévalant à la frontière du Sud. Depuis plusieurs années, la transaction avec le Mexique a été extrêmement inégale. » M. Trump s’est alors lancé dans sa tirade habituelle sur l’importance de rapatrier des entreprises manufacturières en sol américain. Il n’a fourni aucun détail sur les « légères modifications » qu’il avait en tête.

Le scénario a été le même à propos de la frontière, objet de la seconde question canadienne. Celle-ci se voulait provocante : le président craignait-il que les milliers de réfugiés syriens accueillis par le Canada deviennent un « cheval de Troie » pour la sécurité des États-Unis ? « On ne peut jamais être totalement certain », a dit M. Trump avant d’enchaîner en rappelant son intention d’expulser les sans-papiers (souvent mexicains) détenant un lourd passé judiciaire.

Critique « positive »

À cette question, Justin Trudeau a cru bon rappeler de son côté que sécurité et immigration n’étaient pas antinomiques.

« Nous mettons en oeuvre nos politiques d’ouverture envers l’immigration et les réfugiés sans compromettre la sécurité », a-t-il insisté. Car pas question pour lui de condamner publiquement la décision de Donald Trump de suspendre l’entrée de réfugiés (tous pays confondus) et celle de ressortissants de sept pays. La critique devra être décodée.

« Il y a toujours eu des occasions où nos approches ont différé, a-t-il dit à propos du Canada et des États-Unis, et cela s’est toujours fait dans le respect. La dernière chose que les Canadiens s’attendent que je fasse est que je m’en vienne ici pour faire la morale à un autre pays sur la manière qu’il choisit de se gouverner. Mon rôle, ma responsabilité, est de gouverner d’une manière qui reflète l’approche canadienne et d’être un exemple positif pour la planète. »

Dans les coulisses libérales, on juge que critiquer de manière frontale le régime de Donald Trump serait contreproductif. Le gouvernement Trudeau a donc sciemment choisi de promouvoir ses idées et laisser le contraste s’établir de lui-même.

« On va rester qui on est » semble être le mot d’ordre.

Par exemple, dans la foulée de l’adoption du décret sur les réfugiés, Justin Trudeau s’était tourné vers Twitter pour dire « à ceux qui fuient la persécution, la terreur et la guerre » que le Canada les accueillera parce que la diversité fait notre force. Le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Ahmed Hussen, avait annoncé qu’il octroierait des permis de résidence temporaires aux personnes touchées qui se retrouveraient coincées au Canada (ce qui n’est jamais arrivé, confirme son bureau).

De la même manière, alors que Washington a ressuscité la règle interdisant aux groupes recevant de l’aide américaine de promouvoir l’avortement à l’étranger, la ministre du Développement international, Marie-Claude Bibeau, a publié sur son compte Facebook une vidéo vantant l’importance de promouvoir la santé reproductive à l’étranger. Après avoir expliqué qu’environ 22 millions de femmes mettent leur vie en danger chaque année en subissant un avortement clandestin, et après avoir souligné que « chaque grossesse doit être désirée », la ministre Bibeau conclut : « Au Canada et à l’étranger, les femmes ont le droit de choisir. »

Une rencontre sans grandes effusions

La rencontre entre les deux dirigeants de lundi n’aura pas donné lieu à une effusion d’amitié. La séance de prise d’images s’est faite sans piper mot. Pendant le point de presse, Donald Trump a paru détaché, renonçant même à porter l’oreillette permettant d’entendre l’interprétation pendant certaines déclarations faites en français.

« Nous allons avoir une excellente relation avec le Canada, peut-être aussi bonne ou même meilleure qu’avant », a néanmoins prédit le président. En guise de cadeau, Justin Trudeau lui a offert une photo encadrée montrant un Pierre Elliott Trudeau assis à côté du podium d’un chic hôtel new-yorkais où prend place un jeune Trump en smoking.

Le communiqué de presse final de la rencontre entre les deux dirigeants se distingue par quelques omissions : bien qu’il y soit question d’économie et de commerce, les expressions « libre-échange » et « ALENA » n’y figurent pas. Le passage sur l’environnement parle d’une collaboration pour « améliorer la qualité de l’air et de l’eau », mais pas de changements climatiques. Étrangement, le communiqué dit que « les États-Unis ont salué » la décision du Canada de lancer un appel d’offres pour le remplacement de ces chasseurs CF-18 et « ont accueilli favorablement » celle d’acheter dans l’immédiat 18 appareils Super Hornet. M. Trump a déjà dit qu’il trouvait les F-35, que pensait au départ acheter le Canada, trop chers.

À Ottawa, l’opposition néodémocrate et bloquiste a reproché à M. Trudeau son silence sur la question des réfugiés. « Qui ne dit mot consent »,a philosophé la néodémocrate Hélène Laverdière.

La chef par intérim du Parti conservateur, Rona Ambrose, croit que la dépendance économique du Canada ne lui permet pas cette audace. Elle s’inquiète des « légères modifications » que promet M. Trump à l’ALENA, prédisant que cela pourrait concerner le programme de gestion de l’offre.


 source: Le Devoir