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Susan George : « Il est encore possible d’empêcher le Tafta »

La Marseillaise | 28 août 2015

Susan George : « Il est encore possible d’empêcher le Tafta »

Léo Purguette

Pour combattre le libre-échange, faut-il supprimer l’organisation mondiale du commerce (OMC) ?

Pas forcément, ce sont les règles qui doivent être modifiées. Il aurait fallu suivre les recommandations de Keynes dans les années 1940 qui proposait qu’un pays disposant d’un excédent commercial pendant un nombre d’années et à un niveau donné soit contraint de réévaluer sa monnaie pour vendre moins. Système inverse pour les pays en déficit commercial durable et sévère. Ce système de régulation aurait eu l’avantage de faire payer les États les plus riches ou de les contraindre à tenir compte de leurs partenaires, mais beaucoup d’obstacles empêchent sa mise en œuvre aujourd’hui.

Le système de résolution des différends de l’OMC est, avec plus de 500 cas, maintenant très utilisé. Or certaines décisions empêchent des régulations très utiles. Les États devraient avoir un droit absolu à réguler certains secteurs, je pense aux domaines sanitaire, alimentaire, à la protection de l’environnement... Par ailleurs l’OMC est devenue une chambre d’enregistrement d’accords bilatéraux, 3400 à ce jour. Il y a bien pire que l’OMC elle-même.

Pire que l’OMC, c’est l’accord de libre-échange transatlantique Tafta ?

Oui cela remonte même au Nafta, portant sur le libre-échange en Amérique du Nord il y a 20 ans avec des effets néfastes sur l’emploi très visibles. Il permettait déjà aux multinationales d’attaquer des États pour les contraindre à verser une compensation ou à vider leur législation de leur contenu au non de la libre concurrence.

Est-il encore possible d’empêcher le Tafta ?

Oh oui ! On nous avait dit que tout serait bouclé en 2014. Maintenant ses promoteurs reconnaissent qu’il ne sera pas possible de le faire passer en 2015. Les États-Unis, semblent avoir renoncé à déboucher pendant le mandat d’Obama. Et pourtant, au plan géopolitique le Tafta compléterait le TPP (accord de libre-échange transpacifique) et les placerait au centre des échanges mondiaux. Les États-Unis seraient ainsi placés en position de force face aux pays émergents, la Chine notamment.

Comment les citoyens peuvent-ils peser dans la bataille ?

L’Union européenne a refusé notre initiative citoyenne contre le Tafta mais nous continuons la collecte de signatures. Nous en sommes à 2,5 millions. Nos actions d’éducation populaire portent leurs fruits. Nous avons atteint le quota de signatures dans 20 pays. En France nous l’avons dépassé à 500%, en Allemagne à 1600%. Restent les pays baltes et la Roumanie notamment. Nous déposerons les pétitions en octobre malgré le refus de l’UE et poursuivront la campagne jusqu’au retrait de l’accord. C’est à portée de main tant il y a quelque chose à détester dans cet accord pour chaque citoyen : OGM, normes sociales, sanitaires, gaz de schistes... L’Europe est à la peine pour justifier le Tafta, elle a renoncé à utiliser l’argument des bénéfices de l’accord pour l’emploi et la croissance depuis qu’un jeune universitaire a montré très simplement que les projections en la matière avaient été réalisées à partir d’un modèle conçu par la banque mondiale et supposant... le plein emploi. Ce qui n’est pas exactement la situation vécue dans les pays de l’Union européenne. Je crains néanmoins que les pro-Tafta finissent par emprunter une voie de contournement de la contestation. Il est possible qu’ils s’entendent sur l’essentiel et signe un « accord amendable », c’est-à-dire qu’ils feraient ensuite passer année après année, amendement après amendement, les dispositions les plus contestées aujourd’hui. Il faut être vigilants et continuer à faire du bruit.


 source: La Marseillaise