SOL | 9 avril 2018
Clause de la Nation la plus favorisée, Zone continentale de libre-échange et APE intérimaires de Côte d’Ivoire et du Ghana
par Jacques Berthelot (jacques.berthelot4@wanadoo.fr)
Un argument qui devrait faire réfléchir la Côte d’Ivoire (CI) et le Ghana est lié aux conséquences d’avoir à la fois mis en application leurs Accords de Partenariat Economique intérimaires (APEi) avec l’UE depuis la fin 2016 et signé (du moins paraphé) la ZLEC (Zone de Libre-Echange Continentale) lors du Sommet extraordinaire des Chefs d’Etat de l’Union Africaine le 21 mars 2018 à Kigali. Il s’agit de la clause NPF (de la Nation la Plus Favorisée) de leurs APEi les obligeant à étendre à l’UE les avantages tarifaires consentis dans la ZLEC.
Cependant il y a trois différences très importantes dans les conditions de cette clause entre l’APE d’Afrique de l’Ouest (AO) et les APEi de CI et du Ghana.
Selon l’article 16 de l’APE d’AO "La Partie Afrique de l’Ouest accordera à la Partie Union européenne tout traitement tarifaire plus favorable qu’elle accordera après la signature du présent Accord à un partenaire commercial autre que les pays d’Afrique et les Etats ACP, ayant, à la fois, une part des échanges commerciaux mondiaux supérieure à 1.5 pour cent et un taux d’industrialisation mesuré par le ratio de valeur ajoutée manufacturière rapportée au PIB supérieur à 10 pour cent, dans l’année précédant l’entrée en vigueur de l’accord préférentiel visé dans ce paragraphe. Si l’accord préférentiel est signé avec un groupe de pays agissant individuellement, collectivement ou à travers un accord de libre-échange, le seuil relatif à la part des échanges commerciaux mondiaux considérée s’élèvera à 2 pour cent".
Mais l’article 17 de l’APEi de CI comme de l’APEi du Ghana n’exclut pas les pays d’Afrique et Etats ACP, réduit la part des échanges mondiaux réalisée par le pays partenaire et ne mentionne pas un taux d’industrialisation minimal pour ce partenaire : ""accord de libre-échange" signifie tout pays développé, ou tout pays ayant une part des échanges commerciaux mondiaux supérieure à 1 pourcent dans l’année précédant l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange mentionné au paragraphe 2, ou tout groupe de pays agissant individuellement, collectivement ou à travers un accord de libre-échange ayant une part des échanges commerciaux mondiaux supérieure à 1,5 pourcent dans l’année précédant l’entrée en vigueur de l’accord d’intégration économique mentionné au paragraphe 2".
Maintenant que la CI et le Ghana, à côté de 11 autres Etats de l’AO, ont signé la ZLEC, ils se sont engagés à ouvrir leurs marchés à 90% de leurs importations venant de l’Afrique, même s’il faut encore attendre que le schéma de libéralisation de la ZLEC soit mieux précisé, notamment avec le dépôt de l’offre tarifaire de chaque Etat précisant les 10% non libéralisés, et après ratification de la ZLEC par 22 Etats pour qu’il soit ratifié, ce qui devrait nécessiter au moins deux ans. Comme il est dit que le pourcentage des échanges commerciaux mondiaux réalisé par le partenaire sera basé sur les données de l’OMC, celle-ci montre que l’Afrique a représenté en 2016 2,2% des exportations mondiales et 3,2% des importations mondiales1. Il en résulte que la CI et le Ghana devront aussi libéraliser 90% de leurs importations venant de l’UE, donc bien au-delà des 75% prévus dans leurs APEi. D’autant que l’article 17 des APEi comme l’article 16 de l’APE d’AO n’exigent pas que "le traitement tarifaire plus favorable" corresponde à des importations effectives. Cela impliquerait des pertes de recettes douanières très supérieures à celles déjà considérables calculées pour les APEi de CI et le Ghana. En ayant fortement aidé le processus de la ZLEC après avoir imposé les APEi, l’UE gagnera sur les deux tableaux tandis que la CI et le Ghana seront les dindons de la farce !
Après vérification des dispositions prévues pour la clause NPF dans les autres APE des pays ACP, trois APE régionaux – du Cariforum (article 19), du Pacifique (article 8) et du Cameroun (article 19) – sont dans la même situation que les APEi de CI et du Ghana qui n’excluent pas la clause NPF dans les accords commerciaux avec les pays ACP. Compte tenu de l’éloignement du Cariforum et du Pacifique, cela n’aurait évidemment d’impact que sur le Cameroun dont le taux de libéralisation des importations venant de l’UE28-RU passerait de 79,7% dans l’APE de la CEMAC à 90% avec la ZLEC.
Par contre les 3 autres APE d’Afrique sub-saharienne excluent d’appliquer la clause NPF dans leurs accords commerciaux avec les pays ACP : la CAE (Communauté d’Afrique de l’Est, article 15), la SADC (article 28) et l’ESA (4 pays de la COMESA, article 16). Par contre ces trois APE n’ajoutent pas la contrainte d’un taux d’industrialisation minimal pour ce partenaire qui est donc prévue seulement dans l’APE d’AO.
Une fois encore cela montre l’incohérence du comportement de la Commission européenne dans le même temps où elle a systématiquement refusé de renégocier les APE avec les pays qui ne les ont pas encore signés comme le Nigéria en AO, la Tanzanie dans la CAE et les 4 autres pays de la CEMAC, et alors qu’elle entend négocier l’Accord qui succédera à celui de Cotonou avec l’ensemble de l’Afrique sub-saharienne.