L’Obs | 23 juillet 2019
Ceta : ce qu’il faut savoir sur le (contesté) veto climatique
par Cécile de Sèze
C’est l’un des principaux points de crispation sur l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne qui doit être ratifié ce mardi par les députés.
Deux ans après sa signature, le Ceta est de nouveau au coeur des débats. Ce mardi, les députés français devraient ratifier le traité le libre-échange entre le Canada et l’Union européenne lors d’un vote solennel. Plusieurs groupes, dont les trois formations de gauche - PS, PCF et LFI - avaient réclamé un tel scrutin solennel lors de la conférence des présidents.
Beaucoup de politiques comme des parlementaires de tout bord, des économistes ou encore Nicolas Hulot, l’ancien ministre de la Transition écologique et solidaire, sont en désaccord avec des points centraux, qui ne seront mis en application qu’après ratification, comme le tribunal d’arbitrage et avec lui, le "veto climatique". L’Express vous en explique le principe.
1. En réponse au tribunal d’arbitrage
Pour comprendre d’où vient l’idée d’un "veto climatique", imaginée par la commission Schubert - chargée en 2017 par le gouvernement d’évaluer l’impact de l’accord commercial sur l’environnement, le climat et la santé - il faut revenir sur ce qu’est le tribunal d’arbitrage. Prévu dans le volet "investissements" du traité, il n’a pas été encore mis en place mais soulève déjà des inquiétudes.
Il s’agit, dans le cadre du Ceta, d’une juridiction spéciale qui permet aux entreprises, canadiennes par exemple, d’attaquer un État membre de l’Union européenne s’il vote une loi ou réforme qui porterait atteinte aux projets d’investissements économiques de l’entreprise.
Samuel Leré, responsable de Plaidoyer à la Fondation Nicolas Hulot, explique à L’Express à l’aide d’un exemple : "Si la France interdit le glyphosate, pour des raisons sanitaires ou écologiques, la filiale de Monsanto au Canada pourrait attaquer l’État français en argumentant qu’elle avait fait des investissements et que cette loi y porte atteinte". Pour éviter que des lois environnementales ne soient bloquées,le principe de ce veto climatique a émergé: dans son rapport remis au Premier ministre du 8 septembre 2017, la commission présidée par Katheline Schubert conseillait ainsi de prendre un "certain nombre de mesures pour s’assurer d’une mise en oeuvre du Ceta conforme à l’objectif d’assurer des niveaux élevés de protection de l’environnement et de la santé, cohérente avec les objectifs de l’Accord de Paris." L’ancien ministre de l’Écologie, Nicolas Hulot, en avait fait une condition sine qua non à la ratification du Ceta.
2. Une commission mixte à la manoeuvre
Dans sa forme prévue par la commission, le veto climatique permet de stopper les poursuites devant cette juridiction spéciale si la réforme engagée par l’un des États concerne l’écologie.
Reprenons l’exemple ci-dessus : si Monsanto attaque la France sur l’interdiction du glyphosate devant le tribunal d’arbitrage, une commission mixte, composée de responsables canadiens et européens, peut alors sortir le veto arguant de son engagement pour le climat. Il permet aux États de "faire en sorte que leurs politiques climatiques ne soient pas entravées par les procédures du chapitre sur l’investissement", explique la commission dans son rapport.
Une sorte de "garde-fou" pour éviter que les États soient condamnés à verser des amendes lorsque les mesures concernent l’environnement sont attaquées par des entreprises et ne pas bloquer les avancées politiques sur la question environnementale et climatique.
3. Pourquoi il ne fait pas l’unanimité ?
Mais la nouvelle formule du "veto climatique" proposée par le gouvernement "n’est plus un veto". "Le blocage s’est transformé en simple avis", résume, dépité, Samuel Leré. "Le dispositif envisagé par le gouvernement diverge de la proposition initiale, regrette également Sabrina Robert-Cuendet, dans une tribune publiée par Le Monde. Même avec un tel mécanisme, les investisseurs pourraient toujours engager une action contre ces mesures devant le tribunal Ceta, en prétendant, à tort ou à raison, qu’elles sont discriminatoires."
Ce nouveau "veto climatique", présenté à la presse le 9 juillet dernier, prévoit effectivement un simple "avis" délivré par la commission mixte à un arbitre, et non plus au tribunal. Et cet avis n’a pas le pouvoir d’arrêter une procédure en cours. Si les deux parties de la commission mixte considèrent que la réforme ne contrevient pas à l’accord et qu’elle lutte contre le changement climatique, ils pourront saisir un arbitre. Ce dernier pourra donner un avis défavorable, qui n’est en aucun cas contraignant. "Le mécanisme choisi ne nous permet pas d’avoir la certitude absolue que des mesures climatiques ne seront pas attaquées dans le cadre du CETA", renchérit Sabrina Robert-Cuendet.
Autre point de mécontentement : on ne connaît pas encore la liste des quinze arbitres qui seront chargés de trancher. Ils auront "un code de conduite" à respecter, précise Samuel Leré qui nuance : "Il n’a pas encore été écrit".
D’autre part, le "veto climatique" n’a pas été intégré au texte du Ceta, et n’a donc pour le moment "aucune existence légale", ajoute Jean-Paul Lecoq, député communiste. Le Huffingtonpost relève que pour l’instant, le texte "attend toujours sa validation par le Conseil européen et par le comité mixte du Ceta, composé de représentants du Canada et de l’UE". Pour le responsable de la Fondation Nicolas Hulot, la conclusion est sans appel : le projet "veto climatique" du gouvernement : "C’est de la com’".