Maroc Diplomatique | 4 juillet 2020
L’arbitrage international au Maroc : Enjeux et réflexions
Par Hachim FADILI (*)
Évoquer les perspectives régionales dans le cadre des évolutions de l’arbitrage international, a nécessité dans une précédente note [1] d’aborder la question centrale de la proportionnalité et de l’exécution des sentences en vertu des traités.
La présente discussion pose un postulat : que ces deux notions de proportionnalité et d’exécution des sentences arbitrales, convergent vers des enjeux et réflexions à travers les principes de souveraineté, de droits fondamentaux et d’intérêt général.
Le tout en pointant la notion de conflit d’intérêts.
Enjeux et réflexions à travers les principes de souveraineté, de droits fondamentaux et d’intérêt général
L’arbitrage international doit bonnement et simplement modérer ses pouvoirs aux fins de garantir les droits et l’autonomie des personnes et éviter les entorses qui, par leur caractère excessif ou trop radical, seraient de nature à porter atteinte à la substance même des droits et des libertés.
Agir autrement irait à l’encontre même de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, laquelle considère d’abord la primauté de la souveraineté, gage ensuite du respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le tout en considération de l’intérêt général.
De manière concrète, qu’au prétexte de bases textuelles, des arbitrages internationaux condamnent un Etat comme l’Argentine suite à la crise de 2001, pour avoir résilié des contrats avec des multinationales dont la pratique commerciale allait à l’encontre de l’intérêt général du peuple argentin, est une contradiction tant juridique qu’intellectuelle de ce qui doit animer celui qui tranche un différend – arbitre international ne saurait rimer avec arbitraire.
De manière toute aussi concrète dans un litige en cours, que la société allemande Scholz Holding ait initialement formulé contre le Royaume du Maroc auprès du C.I.R.D.I. (Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements – tribunal arbitral de la Banque Mondiale), une demande de 60 millions d’euros de dommages et intérêts pour la réduire ensuite de deux tiers, contrevient au principe de pertinence.[2]
Surtout lorsque sont reprochés des engagements environnementaux qualifiés par la multinationale allemande de mesures abusives et discriminatoires.
En tout état de cause, sacrifier la santé publique face aux droits de propriété intellectuelle, privilégier les aspects commerciaux au détriment des droits fondamentaux tels que l’environnement, imposent des réflexions sur la légitimité réelle et non pas uniquement textuelle de l’arbitrage international.
Les enjeux sont énormes, et les réformes à mener considérables, notamment au regard du prisme de l’impartialité.
Arbitrage international et conflit d’intérêts
Il est indéniable que dans le domaine de l’arbitrage international, l’indépendance [3] et l’impartialité [4] deviennent relatives; en d’autres termes, sont malheureusement régulières, les situations dans lesquelles un arbitre international remet en cause la neutralité avec laquelle il doit accomplir sa mission, du fait de ses intérêts personnels.
Telle que cette assertion ressort des nombreuses études de l’éminent Professeur canadien Angus Van Harten.
Telle qu’elle ressort surtout de la référence même en matière d’arbitrage international.
A la tête du CIRDI de 2007 à 2011, Directeur du Centre International d’Arbitrage de Dubai de 2011 à 2013, puis Président de la Chambre de résolution des différends de Bahreïn depuis 2013, Monsieur Nassib Ziade déplore publiquement la récurrence des conflits d’intérêts en matière d’arbitrage international.
L’un des exemples les plus frappants de conflit d’intérêts, est le cas des sociétés françaises Vivendi et Suez, dans le cadre d’un différend avec l’Etat argentin sur la résiliation de contrats, suite à des augmentations de prix et problèmes relatifs à la qualité de l’eau.
Alors tout juste nommée administratrice de la banque suisse UBS, actionnaire de Vivendi et de Suez, sans aucunement mentionner ce qui précède, la renommée Gabrielle kaufmann kohler était également arbitre dans un litige opposant Vivendi à l’Argentine et dans trois affaires opposant Suez à l’Argentine, les quatre dossiers s’étant soldés par la condamnation de la défenderesse.
L’approche libérale de l’arbitrage international partagée de tous en matière de protection des libertés économiques et, en particulier, de la libre concurrence et de la liberté du commerce et de l’industrie, ne peut évoluer en toute opacité ni s’affranchir de garde-fous.
Bien qu’il s’agisse d’une voie de recours ordinaire dans tous les systèmes judiciaires internes, il aura fallu attendre janvier 2020 – à Vienne [5], pour que les négociateurs internationaux travaillant sur des solutions de réforme multilatérale du Règlement des Différends Investisseurs-Etats (R.D.I.E.), discutent enfin de la possibilité de créer un mécanisme d’appel.
Ont également été évoquées les procédures de sélection des arbitres et des décideurs, celles-ci constituant un aveu à peine voilé des problèmes liés aux conflits d’intérêts, de la « double casquette[6] » et des conflits de fonctions résultant du fait que les arbitres peuvent également jouer un rôle de conseil dans différentes procédures.
Enfin, paradoxe de la mondialisation, ont été relevés le manque de diversité des arbitres et le fait que certains soient constamment nommés.
En effet, est constatée la forte concentration d’arbitres originaires d’une région donnée, tous du même groupe d’âge et du même sexe, et appartenant presque tous à un même groupe ethnique. Le tout reposant sur des données empiriques provenant de sources diverses fournies.
Il a également été indiqué qu’il manquait d’arbitres saisissant les préoccupations des pays en développement.
Dans ce contexte, a été soulignée l’incidence du manque de diversité sur le bien-fondé des décisions et sur les impressions qui se dégageaient en matière d’indépendance et d’impartialité des arbitres.
S’affranchissant de toute linéarité, le projet de loi n° 95.17 relatif à l’arbitrage et la médiation, actuellement en discussion à la Chambre des représentants du Royaume du Maroc, devrait considérer ce qui précède.
Il en va de sa légitimité et de son autorité, nationale et régionale.
(*) Avocat au barreau de Paris et Président cofondateur du Centre Afro-Méditerranéen de Médiation et d’Arbitrage (CAMMA) – Tanger
Références :
[1]Hachim Fadili, « l’arbitrage international au Maroc : la question de proportionnalité et d’exécution des sentences », Maroc diplomatique, 26 juin 2020,https://maroc-diplomatique.net/larbitrage-international-au-maroc/
[2]Lien dont le juge doit constater l’existence entre la preuve que la partie offre d’administrer et la prétention qui est l’objet du litige.
[3] Réside ordinairement dans l’absence de relations commerciales, financières ou personnelles entre un arbitre et une partie à l’arbitrage.
[4] Désigne l’absence de partis pris ou de préventions de l’arbitre ou des décideurs à l’égard d’une partie.
[5] Rapport du Groupe de travail III (Réforme du règlement des différends entre investisseurs et États) sur les travaux de la reprise de sa trente-huitième session – Vienne, 20-24 janvier 2020, https://undocs.org/fr/A/CN.9/1004/add.1
[6] Arbitres se prononçant sur une question en faveur d’une partie qu’ils avaient représentée dans un autre litige.