Accord UE-Chili : l’incompréhension des éleveurs français

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Euractiv | 19 décembre 2022

Accord UE-Chili : l’incompréhension des éleveurs français

par Hugo Struna

La Commission européenne a présenté le 9 décembre la conclusion des négociations sur l’accord commercial d’association UE-Chili, au grand dam des éleveurs français qui dénoncent l’incohérence de cette décision.

Pour l’instant, les projecteurs se sont surtout braqués sur les importations de matières premières et combustibles (lithium, cuivre, hydrogène) vers l’UE, principal enjeu de nouvel « accord-cadre avancé », 20 ans après la première signature en 2003. C’est sans compter la viande qui pourrait également déferler sur le marché français et européen.

« Comme toujours, l’agriculture et ses filières les plus sensibles ont été la monnaie d’échange des dernières négociations. Les concessions s’accumulent accord après accord », déplore la FNSEA, le principal syndicat du secteur, dans un communiqué.

En volume, les exportations chiliennes vers la France pourraient atteindre 9 000 tonnes par an pour le porc, 4 000 tonnes pour la viande ovine, 2 000 tonnes pour le bœuf. La volaille passerait de 18 000 tonnes à près de 40 000, soit 45 millions de poulets supplémentaires chaque année dans l’hexagone.

Des chiffres à relativiser eu égard au million de poulets importés et aux 800 millions de poulets produits en France chaque année, mais « c’est l’accumulation et la cohérence des décisions européennes » qui posent problème selon Yann Nédéléc, Directeur de l’ANVOL, l’interprofession de la filière volaille française.

« D’un côté on va imposer des réglementations, augmenter les contraintes de production pour renforcer le bien-être animal notamment, et de l’autre côté l’Europe signe des accords qui font venir des produits qui ne respectent pas les mêmes règles que chez nous », déplore l’éleveur à EURACTIV France.

Réciprocité des normes

L’absence de réciprocité des normes – les fameuses clauses miroirs – est au cœur de la protestation des syndicats et interprofessions d’éleveurs.

Les producteurs de volailles alertent en particulier sur la question sanitaire. Comme le rappelle l’ANVOL, la Commission européenne avait suspendu en 2020 les importations chiliennes car des tests sanitaires avaient révélé des « insuffisances » chez les producteurs de viande.

« Les éleveurs utilisent aussi certains antibiotiques et des facteurs de croissance interdits chez nous, ajoute Yann Nédéléc. Mais ce sont surtout les aspects sociaux qui expliquent notre écart de compétitivité. Le coût du travail est beaucoup plus fable au Chili. C’est une concurrence injuste.»

Même son de cloche chez les éleveurs ovins et bovins. Pour la Fédération nationale bovine (FNB), les élevages chiliens « ne respecteront pas forcément les règles européennes en matière de traçabilité, d’alimentation animale, d’utilisation des médicaments vétérinaire, d’utilisation des produits phytosanitaires et de bien-être animal »..

Systèmes alimentaires durables

De son côté l’exécutif européen, se félicite d’avoir bâti un accord « historique ». C’est le « premier accord commercial de l’UE à inclure un chapitre consacré aux systèmes alimentaires durables ».

Selon la Commission, il y aura une « coopération à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement alimentaire », en particulier sur « les normes en matière de bien-être animal, les pesticides et les engrais ».

Bruxelles indique également s’engager dans « la suppression progressive des antibiotiques promoteurs de croissance », interdits en Europe. Pas de quoi se réjouir pour la FNB, pour qui « une mesure européenne de réciprocité contraignante aurait déjà dû être adoptée ».

Des avancées sur le bien-être animal ? « De la poudre aux yeux », réagit Yann Nédéléc. « Il faut savoir que pour l’instant le bien-être animal n’est pas couvert par les règles de l’OMC ». Peu de chance, selon lui, de voir émerger quelque évolution.

Pour la FNSEA, ces engagements non contraignants restent des « coquilles vides », des « feux follets toujours inatteignables […] n’affichant que des ambitions, sans acte ».

Des critiques trop sévères pour l’eurodéputée et membre de la Commission du commerce international (INTA) Marie-Pierre Vedrenne contactée par EURACTIV France. « Il n’y a pas de produits finis qui, dans l’entièreté de la chaîne de production, ne soient pas conformes aux normes européennes », assure-t-elle.

« On ne peut pas sortir l’agriculture des accords de commerce, nous sommes dans un marché mondial, il y a des questions de compatibilité avec les règles de l’OMC », explique l’eurodéputée, qui reconnaît le désarroi des éleveurs.

Elle compte sur les nouveaux chapitres « développement durable » plus ambitieux sur le plan environnemental et comprenant des sanctions en cas de non-respect. Ces chapitres devraient d’abord concerner l’accord avec la Nouvelle Zélande avant de devenir un standard commun à tous les accords de commerce. Y compris l’accord UE-Chili.

Un autre grief porte sur le mode de ratification de cet accord qui devrait échapper aux parlements nationaux. En effet, le découplage des volets économique et écologique du reste du texte permet une ratification de ceux-ci au seul niveau européen.

La FNSEA y voit « un déni de démocratie », visant à masquer les « effets délétères pour l’agriculture et les territoires ruraux. » « La Commission est revenue sur l’engagement qu’elle avait pourtant pris sur ce sujet, devant le Conseil », complète la FNB.

L’accord attend donc l’approbation du Parlement européen et du Conseil européen, ainsi que du Congrès et du Sénat chiliens.

source : Euractiv

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