Interview de Loon Gangte

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bilaterals.org | 22 juillet 2017

Interview de Loon Gangte

Hydebarad, India

Q : Peux-tu te présenter ?

R : Je m’appelle Loon Gangte. Je travaille pour l’International Treatment Preparedness Coalition, en tant que coordinateur régional de l’Asie du Sud. Je suis aussi le fondateur du Delhi Network of Positive People, un réseau de personnes séropositives ou étant atteintes du VIH, basé à Dehli. Et au sein de ces deux organisations, on travaille surtout sur l’accès aux traitements. On essaie de faire le lien entre les gens et les médicaments. Et s’il y a un obstacle entre les deux, on l’élimine pour que les gens aient des médicaments. En gros, je fais ça.

Q : Dans quelle mesure le RCEP (Partenariat économique global régional) est mauvais pour les médicaments et l’accès aux médicaments ?

A : Si les clauses contestées sur la propriété intellectuelle que propose le Japon sont adoptées, l’Inde ne sera plus en mesure de produire des médicaments génériques de bon marché. Alors même qu’ils sont efficaces. Cela affectera non seulement l’Inde mais aussi plus de 70 millions de personnes qui dépendent des médicaments génériques indiens dans le monde. Et ce n’est pas juste pour le VIH. Il y a les médicaments contre l’hépatite C, contre la tuberculose et bien d’autres. Ce que le Japon propose va plus loin que ce que l’OMC exige. Ces clauses dites « ADPIC Plus » (« TRIPS-Plus » en anglais) rallongent la durée de la protection des brevets et de l’exclusivité des données relatives aux essais sur les médicaments, ce qui est très dangereux. Et le Japon propose aussi un chapitre d’exécution de la propriété intellectuelle. Donc les compagnies pourront non seulement attaquer en justice les gouvernements, mais aussi les organisations comme la nôtre, si les propositions du Japon sont mises en œuvre. Ces choses sont très techniques à comprendre pour les non-spécialistes. J’avais l’habitude de dire à ma communauté : ces propositions au sein des accords bilatéraux sont comme des bombes enveloppées dans du chocolat. Si tu épluches petit à petit, tout ce qui reste c’est la bombe. Mais vu de l’extérieur, on dirait du chocolat. Donc c’est très dangereux pour le pays et pour les citoyens.

Q : Tu dis que c’est très technique, et c’est vrai, donc comment fais-tu pour mobiliser des gens ?

A : Je viens ici de Dehli et mes compagnons arrivent en train en ce moment même, juste pour manifester lundi. Je m’en fous si tu fais du commerce avec mes chemises, mes pantalons, mon téléphone portable ou mes chaussures, pas de problème. Mais si tu essaies de faire du commerce avec ma vie, parce que si la proposition du Japon est adoptée, beaucoup de vies s’arrêteront. Tous les matins, tous les soirs, on prend notre pilule. Et on la prendra jusqu’à la fin de nos jours. Et tout cela sera bloqué et l’Inde ne pourra plus produire les médicaments. On reviendra à l’ère pré-2000 où le prix était de 12 000 dollars américains par personne et par an. Je ne serais pas en mesure de me payer ça. Ni mon gouvernement. Cela a donc un impact direct sur nous. Et ce n’est pas une question d’être de nationalité indienne, ou d’être contre le Japon, ou pro-Inde. On est juste venus pour se battre pour nos vies. Rien d’autre.

Q : Est-ce-que tu vois un lien entre le RCEP et d’autres accords commerciaux comme l’accord Inde-Union européenne ou le Partenariat transpacifique (TPP, selon le sigle anglais) ?

A : C’est la même chose. L’architecture est la même. L’architecture de base prend toujours la forme d’un pays mais la vraie architecture, c’est celle des grands laboratoires pharmaceutiques qui sont ceux qui mettent les gens au pouvoir, je pense. Et le résultat, c’est que les gouvernements deviennent les marionnettes des grands labos pharmaceutiques. Que ce soit le RCEP, le TPP, ou l’accord de libre-échange Inde-UE, le texte reste le même. Mais on peut bloquer un accord bilatéral, comme quand nous avons lutté avec acharnement contre l’accord Inde-UE pendant environ sept, huit ans et nous avons réussi à le paralyser. Et depuis trois ou quatre ans, l’accord est gelé. Après treize cycles de négociations, le gouvernement doit passer un accord, on a réussi quelque chose. Du coté de l’UE aussi, on est parvenus à faire retirer quelques clauses sur la propriété intellectuelle. Mais de nouveau, elles reviennent sous une autre forme. Ce que l’UE faisait, maintenant c’est au tour du Japon et de la Corée [du Sud] de la faire. Ce que les Etats-Unis ne font pas, l’UE le fait. C’est un peu comme passer le relai. Maintenant, tu ne fais plus ça, t’es un méchant garçon, donc passe moi le relai et je vais y aller et essayer ça. C’est la même merde de partout, en langage de tous les jours. Ca a le potentiel de tuer les citoyens, la masse, la société et ça profitera seulement aux multinationales. Il y a rien d’autre dans le commerce bilatéral.

Q : Et donc, comment penses-tu qu’on doive aller de l’avant ? Comment mobiliser plus de personnes, en Asie par exemple ?

A : Ce matin [à une réunion sur l’accès aux médicaments], nous avons parlé de comment organiser une manifestation, d’avoir un permis, etc. Pour moi, refuser de nous donner un permis et toutes ces choses, c’est bien, parce que je n’ai pas peur de la police, du bâton, de leur matraque ou du canon à eau. Ce dont j’ai peur, c’est de perdre ma vie et la communauté avec laquelle je travaille. Si c’est mis en œuvre, on va mourir de toute façon. Quand on proteste, c’est juste pour essayer de sauver nos vies. Donc tout ce qui entoure ces manifestations ne me fait pas peur. Si l’Inde et d’autres pays veulent faire des affaires, très bien, faites des affaires. Mais avec votre accord, ne nous tuez pas. Voilà notre message. Quand j’essaie de défendre ma vie, je n’ai besoin de la permission de personne. J’irai protester partout où ils essaient de prendre une décision. Oui j’irai faire ça. Tout ce que j’essaie de faire, c’est de sauver ma vie et ma communauté. Voilà comment on mobilise les gens et c’est comme ça que ma communauté le voit.

source : bilaterals.org

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