La Commission européenne veut tirer les leçons du Ceta

La Croix | 6 novembre 2017

La Commission européenne veut tirer les leçons du Ceta

par Céline Schoen

Bruxelles réfléchit aux contours de ses négociations actuelles avec les pays du Mercosur, en Amérique latine. Après le psychodrame autour du Ceta, l’accord de libre-échange avec Ottawa, elle cherche notamment à mieux informer l’opinion publique européenne.

L’Irlande appelle à la prudence s’agissant de la viande bovine, la Belgique s’inquiète pour le sucre, la Grèce pour le vin, l’Autriche se focalise sur le bien-être animal, et la France insiste sur la nécessité de respecter la réciprocité : dans les négociations entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) – dont un nouveau cycle s’ouvre le 6 novembre –, la Commission européenne doit prendre en compte les sensibilités de chaque État et les griefs des professionnels. C’est elle, en effet, qui est chargée, par un vote des états membres, de mener les discussions destinées à conclure un accord.

Le Nord contre le Sud

La tâche est d’autant plus ardue que deux camps existent déjà : au Nord, les défenseurs du libre-échange ; au Sud, les tenants d’une politique désormais plus protectrice, France en tête. Au Conseil européen du mois dernier, ­Emmanuel Macron est ainsi intervenu en faveur d’une approche plus transparente des négociations commerciales.

Quelle que soit l’époque, la tâche de Bruxelles n’a jamais été facile. Mais depuis la signature en octobre 2016 du traité de libre-échange avec le Canada (Ceta), la Commission avance sur de la glace encore plus fine. Personne n’a oublié les manifestations de protestation aux quatre coins de l’Europe, ni les bonbonnes de sang jetées sur les vitres du Conseil européen à l’annonce de la signature.

Du coup, la Commission joue la prudence pour ses négociations avec les pays du Mercosur. Elle crée des opportunités de dialogue pour répondre aux accusations de manque de transparence. Début septembre, trois heures durant, des experts bruxellois ont répondu aux questions des ONG et autres représentants corporatistes. Une méthode qui avait déjà été appliquée à l’occasion des discussions avec les États-Unis sur le traité transatlantique, mais désormais renforcée.

Un objectif : rassurer

« L’approche de la Commission tend à être de plus en plus inclusive, avec un objectif : rassurer, décrypte Robin Huguenot-Noël, chercheur au sein du European Policy Center (EPC). Elle ne reconnaîtra pas que le Ceta a été un facteur important dans ce changement, mais c’est la première fois qu’on observe une ouverture si forte. »

Elle avait été ébranlée par l’imbroglio juridique autour de la signature du Ceta, retardée par la région belge de Wallonie et son chef de file, Paul Magnette. Juridiquement, les 38 parlements nationaux et régionaux de l’UE devaient approuver le texte de cet accord. Le processus est en cours et encore aujourd’hui, un seul véto suffirait à le faire tomber.

Comment éviter telles complications sur l’accord en discussion avec le Mercosur ? La Commission s’interroge. Lorsqu’un accord se concentre sur la politique commerciale, il peut être qualifié juridiquement de « non-mixte » : dans ce cas, l’approbation du Parlement européen suffit.

Des accords de nouvelle génération

Encore secret aujourd’hui, le contenu du mandat de négociation avec le Mercosur remonte à 1999. Il n’était pas question, à cette époque, d’accords dits « de nouvelle génération » – dont le Ceta est le porte-drapeau – qui s’attaquent aussi aux barrières non-tarifaires (c’est-à-dire à la réglementation sociale et environnementale), aux services, à la propriété intellectuelle ou à la protection des investissements. Or ce mandat peut être modifié par les chefs d’État et de gouvernement européens.

« On peut imaginer conclure un traité de libre-échange strictement commercial avec le Mercosur qui ne relèverait que des compétences exclusives de l’UE », envisage Pierre d’Argent, professeur à l’Université catholique de Louvain (UCL). Dans ce cas, le volet « investissements » de l’accord, et le mécanisme de règlement des différends qui va avec, ferait l’objet d’un autre texte, « mixte » celui-là, et nécessitant donc l’approbation des chambres nationales et régionales, comme l’a établi un arrêt de la Cour de justice de l’UE rendu en décembre dernier. Ainsi, avec l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, la Commission a d’emblée proposé un mandat de négociations exempt de dispositions liées à l’investissement.

Or pour Robin Huguenot-Noël : « Les accords de nouvelle génération sont essentiels car les biens ne sont plus la première donnée échangeable. »

Une vingtaine de discussions commerciales en cours

L’Union européenne est actuellement engagée dans une vingtaine de négociations commerciales dans le monde. Cela peut concerner de nouveaux accords, ou la « modernisation » d’accords existants (comme c’est le cas avec le Mexique).

Des discussions sont aujourd’hui en cours avec les pays du Mercosur, qui regroupe l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay (le Venezuela en est aussi membre mais sa participation a été suspendue en août 2017). Un accord politique a par ailleurs été conclu avec le Japon, la finalisation étant envisagée d’ici à la fin de cette année.

Actuellement, la Commission a soumis aux états membres, pour approbation, trois mandats de négociation : avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande, et pour moderniser l’accord avec le Chili.

source : La Croix

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