À Madrid, des milliers d’agriculteurs venus de toute l’Espagne protestent contre l’accord UE-Mercosur
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Euractiv | 17 décembre 2024
À Madrid, des milliers d’agriculteurs venus de toute l’Espagne protestent contre l’accord UE-Mercosur
Par : Fernando Heller
Lundi 16 décembre, des dizaines de milliers d’agriculteurs espagnols ont manifesté à Madrid pour exprimer leur rejet catégorique de l’accord commercial entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur, qu’ils jugent extrêmement néfaste au motif qu’il créé, selon eux, une concurrence déloyale entre les deux blocs commerciaux.
Quelque 5 000 agriculteurs venus de toute l’Espagne ont exprimé leur colère devant le ministère de l’Agriculture, dans le centre de Madrid, lundi 16 décembre. Ils reprochent à l’accord commercial entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur de créer ce qu’ils considèrent comme une concurrence déloyale entre l’UE et le bloc commercial latino-américain composé de l’Argentine, du Brésil, de l’Uruguay, du Paraguay et de la Bolivie.
Les manifestants, qui ont sifflé et lancé des pétards, ont également scandé des slogans contre l’accord commercial entre les deux blocs, rapporte EFEagro.
L’accord, qui doit encore être ratifié par les parlements des deux parties, affaiblira le secteur agricole en Europe, soutient Miguel Padilla, secrétaire général de la COAG, l’une des principales organisations agricoles espagnoles.
Les agriculteurs européens ne seront pas en mesure de concurrencer le Mercosur, car les coûts de production dans le bloc latino-américain sont bien inférieurs à ceux de l’UE, a-t-il averti.
« Les réglementations (phytosanitaires) de l’UE sont les plus strictes au monde : sur le plan environnemental, social et en ce qui concerne les matières premières pouvant être utilisées. Il n’existe aucune législation de ce type dans ces pays (du Mercosur) », a-t-il expliqué à la radio publique espagnole RNE lundi.
La manifestation était organisée par la COAG et l’Association agricole des jeunes agriculteurs (Asaja), avec le soutien des Coopératives agroalimentaires, trois des plus grandes associations d’agriculteurs d’Espagne.
Les agriculteurs espagnols veulent des conditions de concurrence équitables
« Nous ne comprenons pas comment cet accord peut être qualifié de positif (par Bruxelles et le gouvernement espagnol) pour un secteur tel que l’agriculture. Qualifier de positif le fait que quatre pays (quatre membres du Mercosur et la Bolivie) vont nous faire concurrence n’a pas de sens », a ajouté Miguel Padilla.
Sur le même registre, mais sur un ton ironique, le leader de la COAG a assuré que l’accord avec le Mercosur était bon pour l’Allemagne, « parce qu’elle va vendre toute sa construction automobile et toute son industrie pharmaceutique » au bloc sud-américain.
Pedro Barato, chef de file de l’Asaja, a quant à lui partagé le point de vue négatif de Miguel Padilla en prédisant des lendemains très sombres pour l’agriculture européenne si l’accord UE-Mercosur finit par entrer en vigueur.
« Avec ces avantages (moins de réglementations) qu’ils ont là-bas (dans le Mercosur), nous ne pouvons pas rivaliser », a-t-il déploré.
Pedro Barato a dénoncé l’utilisation dans les pays du Mercosur de produits phytosanitaires et d’hormones qui sont restreints, voire interdits, dans l’UE.
« Nous nourrissons des Européens et pour cela, nous avons besoin des mêmes conditions que ceux qui viennent de l’extérieur », a-t-il souligné.
La manifestation de lundi contre l’accord UE-Mercosur n’était pas la première du genre en Espagne.
Les agriculteurs espagnols ont lancé une vague de protestations et de manifestations à travers le pays à la fin de l’année 2023, qui a culminé avec un blocage chaotique de la circulation impliquant des centaines de tracteurs dans le centre de Madrid en février dernier, selon EFE.
La colère des agriculteurs ne coïncide pas avec la vision positive du gouvernement du Premier ministre Pedro Sánchez (PSOE/S&D), l’un des principaux promoteurs de l’accord signé entre les deux blocs à Montevideo le 6 décembre.
Ainsi, le ministre espagnol de l’Agriculture, Luis Planas (PSOE), a défendu lundi un accord qui, selon lui, représente une « grande opportunité » tant pour l’Espagne que pour le secteur agroalimentaire européen.
Les accords avec le Chili, le Maroc et la Nouvelle-Zélande également remis en question
Selon Luis Planas, l’accord UE-Mercosur « offre les plus grandes protections jamais incorporées dans un pacte commercial », ainsi que « des contrôles et des engagements accrus en matière d’environnement et de travail » pour les pays d’Amérique latine, entre autres avantages.
Mais les agriculteurs espagnols ne visent pas seulement l’accord Mercosur : lundi, ils ont également exprimé leur ferme opposition à d’autres accords commerciaux similaires conclus par l’UE avec le Chili, le Maroc et la Nouvelle-Zélande.
La prolifération des accords de libre-échange entre les États membres de l’UE et les pays tiers menace « l’ensemble du secteur agricole (de l’UE) », ont déclaré l’Asaja et la COAG dans un communiqué.
Selon les deux organisations, ces accords favorisent l’importation de produits agricoles à des prix inférieurs aux coûts de production — comme monnaie d’échange pour d’autres intérêts — sans respecter les réglementations de l’UE, ce qui entraîne une perte de revenus pour les agriculteurs européens et espagnols, et la disparition de milliers d’exploitations familiales chaque année.
Le soutien de ces accords par la Commission européenne et le gouvernement espagnol « met en péril » les objectifs d’adaptation au changement climatique et d’atténuation de ses effets, le remplacement des générations et l’obtention d’un revenu « équitable » pour les producteurs espagnols et leurs partenaires européens, ont déclaré conjointement l’Asaja et la COAG.