Demandes d’arbitrage, transition énergétique et souveraineté étatique : le Honduras assiégé par les multinationales
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Bilaterals.org | 13 octobre 2025
Demandes d’arbitrage, transition énergétique et souveraineté étatique : le Honduras assiégé par les multinationales
« Nous, les communautés affectées par les projets d’énergie renouvelable dans le sud du Honduras, avec les mouvements sociaux nationaux et internationaux, nous adressons au peuple hondurien et à la communauté internationale nos préoccupations concernant les graves impacts que ces projets ont générés sur nos territoires. Dans le Sud, il est évident que la transition énergétique est menée par des intérêts privés ». — Déclaration des communautés affectées par les projets énergétiques dans le sud du Honduras et des organisations convoquées par la rencontre « Sans droits humains, il n’y a pas de souveraineté énergétique ».
Du 14 au 17 juillet, plus de 60 personnes issues de 20 communautés locales et des représentants de mouvements sociaux nationaux et internationaux se sont réunies à Choluteca, au Honduras, pour la « Rencontre des communautés affectées par les projets énergétiques dans le sud du Honduras — Sans droits humains, il n’y a pas de souveraineté énergétique ». L’objectif était de mettre en lumière les impacts dévastateurs de nombreux projets d’« énergie renouvelable » (principalement photovoltaïque) sur les communautés locales. Les participants ont également analysé la situation du Honduras devant les tribunaux internationaux, en raison des nombreuses demandes d’arbitrage international déposées contre lui par des sociétés transnationales exploitant ces projets énergétiques.
Entre 2023 et 2024, des entreprises du secteur de l’électricité ont utilisé le système de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS, selon l’acronyme anglais) pour poursuivre le Honduras après l’adoption de réformes visant à reprendre le contrôle de secteurs stratégiques, dont l’énergie électrique. Le pays se retrouve désormais à la croisée des chemins, tiraillé entre l’exercice de sa souveraineté et la protection des intérêts des entreprises via des traités internationaux, comme l’Accord de libre-échange entre la République dominicaine, l’Amérique centrale et les États-Unis (CAFTA-DR), et d’autres accords d’investissement.
« L’objectif de la rencontre était de renforcer les processus sociaux des communautés du sud du Honduras, ainsi que les alliances locales, nationales et régionales concernant la mise en œuvre de projets d’énergie renouvelable dans cette région, leurs impacts et les demandes d’arbitrage international résultant des réformes énergétiques du gouvernement. » — Communiqué de presse de la Rencontre des communautés affectées par les projets énergétiques dans le sud du Honduras : « Sans droits humains, il n’y a pas de souveraineté énergétique ».
Flambée des procès ISDS : le secteur électrique dans le collimateur
Selon un rapport publié par le Transnational Institute (TNI), l’Institute for Policy Studies (IPS), le Honduras Solidarity Network (HSN) et TerraJusta, le Honduras a été la cible de 21 demandes d’arbitrage international en juin 2025, dont 16 au cours des trois dernières années (2023, 2024 et 2025). Toutes ont été déposées auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), un organe affilié à la Banque mondiale. Protégées par des traités bilatéraux d’investissement (TBI), des accords de libre-échange comme le CAFTA-DR et la loi sur l’investissement de 2011 du Honduras, ces demandes constituent un « système de justice parallèle » qui permet aux investisseurs étrangers de contourner les tribunaux nationaux et de poursuivre des États souverains pour obtenir des millions de dollars de compensation en raison de la mise en œuvre de réglementations ou de politiques publiques affectant leurs investissements, selon ces entreprises.
L’électricité est l’un des secteurs les plus touchés par ce type de procédures. Actuellement, sept demandes d’arbitrage liées à ce secteur sont en cours, pour un montant total de plus de 1,6 milliard de dollars. Ces actions en justice font suite aux mesures prises par le gouvernement de Xiomara Castro en 2022 pour renégocier les contrats de production d’électricité signés dans des conditions très défavorables pour le Honduras pendant la « narco-dictature » du gouvernement de Juan Orlando Hernández.
Entre 2023 et 2024, sept entreprises ont déposé des demandes d’arbitrage contre le Honduras auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), pour un montant total de 1,6 milliard de dollars (soit plus que ce que le ministère de l’Énergie affirme que les réformes permettront d’économiser aux Honduriens). Ces demandes sont fondées sur des accords de libre-échange, des accords d’investissement et la loi sur l’investissement de 2011. Parmi les requérants figurent Scatec ASA et Norfund pour les projets solaires de Los Prados (Namasigüe) et Agua Fría (Nacaome), situés dans les départements de Choluteca et de Valle. — Communiqué de presse : Rencontre des communautés affectées par les projets énergétiques dans le sud du Honduras : « Sans droits humains, il n’y a pas de souveraineté énergétique ».
Parmi les entreprises requérantes figurent Scatec ASA et Norfund (Norvège), X-Elio Energy (Espagne/Canada), Empresas Públicas de Medellín (Colombie), Inversiones y Desarrollos Energéticos (Panama) et d’autres investisseurs d’Amérique centrale. Ces entreprises possèdent des mégaprojets solaires, notamment Los Prados et Agua Fría, dans les départements de Choluteca et de Valle. Ces projets ont fait l’objet de multiples plaintes concernant leur impact environnemental lors de leur installation, notamment la dépossession des terres, la criminalisation de la protestation et des violations des droits humains.
Quatre d’entre elles invoquent des traités commerciaux, tels que le CAFTA-DR, l’ALE entre l’Amérique centrale et le Panama, ou encore l’ALE entre la Colombie, le Salvador, le Guatemala et le Honduras. Les trois autres invoquent le TBI entre le Honduras et l’Espagne ainsi que la Loi sur l’investissement de 2011.
« Ces poursuites internationales révèlent un conflit structurel entre la quête de souveraineté énergétique et territoriale nationale et les privilèges néocoloniaux des corporations transnationales et nationales. Ces intérêts sont concentrés entre les mains de quelques-uns, tandis que les communautés affectées subissent les conséquences directes de ces projets imposés. » — Déclaration des communautés affectées par les projets énergétiques dans le sud du Honduras et des organisations convoquées par la rencontre « Sans droits humains, il n’y a pas de souveraineté énergétique ».
CAFTA-DR : une armure juridique pour les capitaux étrangers corrompus
Sur les 19 demandes en cours contre le Honduras, au moins six invoquent le CAFTA-DR comme base juridique. Dans le secteur de l’électricité, deux des demandes concernent l’affaire de Víctor Miguel Silhy Zacarías (Salvador), qui réclame 80 millions de dollars, et l’affaire de Fernando Paíz Andrade et Anabella Schloesser (Guatemala), qui réclament 160 millions de dollars. Les deux affaires utilisent ce traité pour contester les changements réglementaires et contractuels dans le secteur de l’électricité promus par le gouvernement hondurien.
À l’instar d’autres accords commerciaux et de protection des investissements étrangers, le CAFTA-DR confère aux sociétés transnationales des droits étendus, tout en les exemptant de toute obligation de rendre des comptes sur leurs actions en matière d’environnement ou de droits humains. Cette situation a été largement pointée du doigt en raison des impacts des projets photovoltaïques dans le sud du Honduras. Les mouvements sociaux ont aussi documenté et vivement critiqué ce déséquilibre. Ces traités permettent d’intenter des poursuites de plusieurs millions de dollars contre des États souverains et ont également un effet dissuasif sur les réglementations visant l’intérêt collectif. En d’autres termes, leur objectif est de bloquer toute réforme proposée par les gouvernements, qui reculent alors par crainte de représailles financières, qu’il s’agisse de réformes, de régulations ou de politiques publiques visant à servir l’intérêt commun, à protéger l’environnement ou à défendre les droits humains.
Au Honduras, notamment dans le secteur de l’électricité, les entreprises ont fait appel à des cabinets d’avocats internationaux tels que White & Case pour contester ou bloquer les réformes, comme la loi de 2022 sur l’électricité, qui reconnaît l’électricité comme un droit humain et vise à sortir l’entreprise nationale de l’énergie électrique (ENEE) d’une crise sévère.
Comme le souligne le rapport Les investissements mafieux contre le Honduras, un aspect important est que la plupart de ces demandes sont considérées comme « de style mafieux », non seulement en raison de leur nature punitive et disproportionnée à l’encontre du pays, mais aussi parce que les investissements qui les soutiennent proviennent de contextes marqués par une forte corruption au sein du gouvernement, une répression et une absence de consultation des populations locales. Loin de promouvoir le développement, ces investissements ont causé des dommages environnementaux et des conflits sociaux. Par exemple, les dirigeants de la communauté du parc solaire de Los Prados ont été persécutés pour avoir résisté au projet.
« Dans le cas de Los Prados, la résistance communautaire au projet a été systématiquement criminalisée. Un cas grave a été le meurtre de Reynaldo Reyes Moreno, qui s’était opposé au projet. De plus, les dirigeants communautaires ont fait face à des plaintes judiciaires, à des menaces et à du harcèlement de la part des autorités locales qui ont promu l’installation de ces parcs ». — Déclaration des communautés affectées par les projets énergétiques dans le sud du Honduras et des organisations convoquées par la rencontre « Sans droits humains, il n’y a pas de souveraineté énergétique ».
Pour ces raisons, les demandes internationales contre le Honduras représentent plus qu’un fardeau économique pour l’État ; elles érodent également la souveraineté populaire et les processus de justice sociale que le peuple hondurien tente de reconstruire après des décennies de gouvernements autoritaires et corrompus.
Voies possibles
Lors de la rencontre des populations affectées par les projets énergétiques, les communautés et les organisations présentes ont formulé des réflexions claires, consignées dans un document politique intitulé « Déclaration des communautés affectées par les projets énergétiques dans le sud du Honduras et des organisations convoquées par la rencontre : "Sans droits humains, il n’y a pas de souveraineté énergétique" ».
Le Honduras est clairement à un moment décisif. D’un côté, les communautés historiquement exclues et abusées luttent pour défendre leurs territoires et mettre en œuvre une transition énergétique juste. De l’autre, les entreprises transnationales tentent d’empêcher toute réforme qui « menacerait » leurs investissements, dont beaucoup ont été imposés par la force dans des contextes corrompus. Le conflit entre souveraineté et capital, ainsi qu’entre droits et profits, est désormais au centre du débat national.
En réponse à cette offensive des entreprises, le Honduras a franchi une première étape en février 2024 en signant son retrait du CIRDI. Cependant, le pays reste vulnérable aux poursuites des entreprises, car son cadre juridique comprend encore de multiples mécanismes permettant l’arbitrage international (ISDS). Ces cadres juridiques sont inscrits dans des accords tels que le CAFTA-DR, les accords de protection des investissements et la loi sur l’investissement de 2011. Ces traités et tribunaux de « libre-échange » et d’investissement, comme le CIRDI, qui permettent les demandes d’arbitrage international, sont loin d’être neutres. Ils sont plutôt devenus des outils de pression et de chantage contre les peuples du Sud global. Par conséquent, si quitter le CIRDI est important, ce n’est pas suffisant. La prochaine étape doit être de dénoncer les accords commerciaux et d’investissement qui confèrent aux entreprises étrangères un pouvoir considérable.
Le cas du Honduras, en particulier en ce qui concerne les poursuites liées à l’énergie, est emblématique de la nécessité urgente de démanteler un système injuste qui utilise le discours de la transition énergétique pour favoriser le capital privé au détriment des populations. Ce n’est qu’alors qu’il sera possible de mettre en place une politique énergétique et économique fondée sur les droits humains, l’équité et la souveraineté populaire.
Comme l’ont exprimé les populations concernées dans leur déclaration finale :
« Il ne peut y avoir de transition énergétique juste aux côtés de l’épuisement de nos territoires et de la souffrance de nos communautés. La souveraineté énergétique exige non seulement un changement de sources d’énergie, mais aussi la démocratisation des processus de décision énergétique, ainsi que le développement d’un modèle de production et de distribution d’énergie basé sur l’égalité économique et la garantie des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux des communautés. Sans droits humains, il ne peut y avoir de souveraineté énergétique ! »




