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L’Afrique veut échapper aux griffes commerciales de l’Europe

Libération (Paris) | lundi 5 novembre 2007

L’Afrique veut échapper aux griffes commerciales de l’Europe

FANNY PIGEAUD

«Donnez-nous vos matières premières, et en échange nous vous envoyons nos produits finis : voilà, en gros, ce que nous dit l’Europe. C’est revenir cinquante ans en arrière, c’est honteux !» fulmine Célestin Tawamba. Cet entrepreneur camerounais, patron d’une importante société agroalimentaire installée à Douala, est scandalisé par les accords de partenariat économique (APE) préparés par l’Union européenne. Il n’est pas le seul, et la semaine dernière les négociateurs de l’Afrique centrale, réunis à Bruxelles, ont refusé de les signer en l’état, comme l’escomptait pourtant l’UE.

«Compétitifs». En discussion depuis 2002, les APE doivent remplacer l’accord de Cotonou, qui donnait à certains produits de 75 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique des préférences tarifaires pour entrer sur le marché européen. Ils prévoient d’instaurer à partir du 1er janvier 2008 des zones de libre-échange avec l’UE. Celle-ci veut appliquer les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), pour qui l’accord de Cotonou était illégal. «Mais la libéralisation des échanges suppose que chacune des parties impliquées ait des conditions de production équivalentes, or l’Afrique est très loin derrière l’Europe», note l’entrepreneur. Coût élevé de l’énergie, infrastructures inexistantes ou mauvaises, crédit quasi inaccessible : les entreprises africaines doivent jongler avec des difficultés que n’ont pas leurs homologues européennes. «Une fois que les barrières douanières seront levées comme le prévoient les APE, nous serons obligés de fermer nos entreprises. Nous ne pourrons pas faire face à la concurrence des produits européens, plus compétitifs et souvent subventionnés, qui arriveront sur nos marchés», affirme Célestin Tawamba.

Comme lui, une centaine d’entrepreneurs africains ont signé un «appel contre la conclusion des APE». Dans une lettre adressée à l’UE, l’Association industrielle africaine souligne que des projections, réalisées notamment par l’ONU, montrent que les APE dans leur forme actuelle «menaceraient des millions d’emplois dans les secteurs manufacturiers et agricoles». Elle assure que «l’ouverture préconisée condamnerait l’Afrique à demeurer un comptoir d’importations, alors même que l’enjeu majeur est, aujourd’hui plus que jamais, l’industrialisation du continent, facteur essentiel de création de richesses et d’emplois».

Martin Abega, secrétaire exécutif du Gicam, la principale organisation patronale camerounaise, dénonce les nombreuses pressions politiques exercées par l’UE : «Elles sont orientées vers les représentants des Etats africains et s’étendent aux financements demandés ou espérés par ces derniers.» Si les pays ACP ne signent pas les accords avant le 31 décembre, ils n’auront plus d’accès préférentiel sur le marché européen : la banane, le thon, les crevettes, notamment, seront affectés, répète l’UE.

«Vigilants». Début octobre, l’Afrique de l’Ouest, réticente, a demandé qu’une dérogation soit déposée auprès de l’OMC pour continuer le régime de Cotonou, le temps de parvenir à un accord acceptable. «Cette option n’est ni réaliste ni réalisable», a répondu l’UE. Hier, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a annoncé son intention d’informer l’Union africaine de son refus de signer dans l’immédiat les APE. «Notre zone n’est pas prête à conclure ces accords en l’état actuel des choses», a déclaré son président.

La plateforme des acteurs non étatiques de l’Afrique centrale, un regroupement d’ONG, a mis en garde, mercredi dernier, les deux parties «contre les conséquences d’une signature hâtive qui déstabiliseraient les économies peu structurées, la fragile intégration régionale et la paix sociale de la région Afrique centrale». Albert Khemeka, du groupe des industries meunières du Cameroun, lui, s’interroge : «Pourquoi l’UE considère-t-elle le 31 décembre comme une date butoir ? Pour aboutir à un bon accord, il faut que les négociations puissent se poursuivre au-delà.»


 source: Libération