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La société civile assure le maintien du développement à l’ordre du jour des APE

Les organisations de la société civile sont aussi descendues dans la rue pour persuader les gouvernements de ne pas signer les APE intérimaires, au Mali par exemple.

Inter Press Service 19.02.2011

La société civile assure le maintien du développement à l’ordre du jour des APE

Isolda Agazzi

GENEVE, 19 fév (IPS) — Dans une démarche inhabituelle, les organisations de la société civile d’Afrique occidentale et centrale ont participé aux négociations entre leurs pays et l’Union européenne (UE) concernant les accords de partenariat économique (APE).

Les organisations soulignent les problèmes de développement tout en aidant les gouvernements africains qui manquent de ressource en expertise commerciale.

Les organisations de la société civile (OSC) sont aussi descendues dans la rue pour persuader les gouvernements de ne pas signer les APE intérimaires, au Mali par exemple.

La signature d’un APE intérimaire par le Cameroun en 2009 a nécessité un changement de stratégie. "Ce recul a modifié le cours des négociations dans la région. Après cela, nous sommes passés du plaidoyer à la fourniture d’expertise aux gouvernements", déclare Jacob Kotchao, représentant des OSC dans l’équipe de négociation des APE pour l’Afrique centrale.

Les APE sont des accords globaux de libéralisation du commerce qui ont fait l’objet de négociation depuis 2003 entre l’UE et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) pour remplacer le régime préférentiel de l’accord de Cotonou.

La raison évidente de la renégociation du régime commercial entre l’UE et l’ACP est son incompatibilité avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Les APE ont fait l’objet de discussion lors d’une table ronde au Forum social mondial qui s’est déroulé du 6 au 11 février à Dakar, au Sénégal.

Les APE auraient dû être conclus en 2007 mais seul un accord complet – avec les Caraïbes – a été signé à ce jour. Sur fond de controverse, le Cameroun a signé un APE intérimaire en Afrique centrale, avec la Côte d’Ivoire et le Ghana faisant de même en Afrique de l’ouest.

Selon Silke Trommer de l’université d’Helsinki, qui étudie ce qu’elle appelle "la gouvernance commerciale participative", la société civile a joué un rôle décisif en mettant l’accent sur l’aspect des APE lié au développement et en sensibilisant l’opinion publique sur sa composante sociale.

"En août 2004, lorsque les ministres du Commerce de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest) ont permis aux représentants de la société civile et au secteur privé de participer aux négociations, les autorités n’ont pas été très enthousiastes", explique-t-elle.

"Mais, au fil du temps, les OSC se sont révélées être une source d’expertise fiable, flexible et indépendante tout en étant capable de se prononcer sur des sujets que les autorités ne peuvent pas se permettre [de dire]. Depuis lors, les gouvernements africains ont été heureux de les avoir à bord".

Visiblement, cette concession ne s’applique pas dans l’autre sens: les OSC n’assistent pas aux négociations, du côté européen.

Sur le papier, les APE doivent avoir une composante liée à la fois au commerce et au développement, mais la réalité est différente. Les OSC "ont découvert" que, selon les règles de l’OMC, l’Afrique ne doit pas réduire de 80 pour cent les tarifs, comme l’a souligné l’UE, mais de 60 pour cent seulement.

L’UE a maintenu sa position, ce qui a obligé une proposition de compromis africaine de 71 pour cent; mais, pour l’UE, la réduction est encore trop légère.

Concernant la composante liée au développement, plusieurs points de friction continuent de bloquer les négociations.

Une importante question est la compensation des pertes des recettes résultant des baisses de tarif: "pour les pays d’Afrique centrale, les tarifs ne sont pas seulement un instrument de défense commerciale, mais aussi une importante source de revenu", explique Kotchao. "Dans certains pays, les recettes provenant des droits représentent 25 à 40 pour cent du revenu de l’Etat".

Une autre question ouverte est le renforcement des capacités productives des Etats africains. "Même si l’UE autorise les pays ACP d’exporter vers le marché européen, en vertu d’un régime commercial préférentiel – sans droit et sans quota pour les pays les moins avancés –, nos exportations n’ont pas augmenté et nous continuons de vendre des produits non transformés", souligne Kotchao.

"Les APE n’apporteraient pas davantage d’opportunités si nos pays ne développent pas de réelles capacités productives".

Les pays d’Afrique centrale ont identifié des programmes pour renforcer ces capacités dans l’agriculture et dans la fabrication, mais il n’y a pas de consensus sur la façon de mieux les appuyer. Cheikh Tidiane Dieye, un représentant d’OSC dans l’équipe de négociation de l’Afrique de l’ouest, est fortement en désaccord avec les négociateurs européens qui "continuent de dire que ’plus vous libéralisez, plus vous créez la croissance et le développement’. Rien ne pouvait être plus éloigné de la vérité.

"Ce point n’a rien à avoir avec l’idéologie. Les pays d’Afrique de l’ouest n’ont pas d’industrie, ou ont seulement une industrie embryonnaire et un secteur agricole très faible. Le rythme et le calendrier de la libéralisation du commerce doivent être ordonnés".

Un autre point de divergence est la clause de la nation la plus favorisée (NPF) que l’UE a voulu intégrer dans l’accord depuis 2007. Si elle est acceptée, elle obligerait les Etats africains à accorder automatiquement à l’Union les mêmes avantages que ceux offerts aux partenaires commerciaux de l’Afrique tels que la Chine, l’Inde, l’Indonésie, le Brésil ou l’Arabie Saoudite, que ceux-ci soient des Etats en développement ou non.

Dieye analyse la position européenne comme suit: "En 1970, les échanges commerciaux entre l’Europe et l’Afrique de l’ouest représentaient 70 pour cent du commerce de la région. Aujourd’hui, ils s’élèvent à 32 pour cent au maximum, alors que les échanges avec le reste du monde ont augmenté à un rythme rapide – 10 pour cent par an avec l’Asie.

"En 2007, le président du Sénégal a déclaré que le partenariat commercial avec l’Europe avait échoué. En novembre 2010, le président libyen Mouammar Kadhafi a déclaré la même chose. L’Europe essaie d’obtenir les mêmes privilèges que l’Afrique accorde aux autres principaux partenaires commerciaux, mais le système qu’elle propose est inacceptable", explique Dieye.

"Nous demeurerons un fournisseur de matières premières et un importateur de produits manufacturés. Donc, nous ne voyons pas comment l’accord pourrait être signé", soutient-il.

Il explique en outre que l’argument juridique pour refuser la clause de la NPF est la clause d’habilitation de l’OMC qui autorise que les pays en développement s’accordent des avantages qu’ils n’offrent pas aux pays industrialisés. A l’OMC, les pays africains peuvent libéraliser les marchés pour le Brésil ou la Chine sans faire de même pour l’UE.

Kotchao conclut: "Il y a une guerre commerciale entre l’UE et les pays émergents concernant nos marchés. L’on peut sérieusement se demander si nous devons poursuivre les négociations des APE". (FIN/2011)


 source: IPS