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Les risques pour la Suisse d’un accord transatlantique

AGEFI | jeudi 01 août 2013

Les risques pour la Suisse d’un accord transatlantique

La nature des règles d’origine sera un indicateur sérieux du degré d’ouverture de la future zone de libre-échange.

Henri schwamm*

Les négociations sur le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership) entre les Etats-Unis et l’Union européenne (UE) ont donc commencé à Washington le 8 juillet dernier. Elles dureront probablement plusieurs années. Si les deux poids lourds du commerce et de l’investissement aboutissent, ils donneront naissance à la plus grande zone de libre-échange du monde: 800 millions d’habitants, près de la moitié du produit intérieur brut (PIB) global, un tiers du commerce mondial et un cinquième de tous les investissements directs.

Les deux parties attendent logiquement d’un TTIP «ambitieux et étendu» un gain direct proportionnel aux enjeux. Le Centre for Economic Policy Research (CEPR) de Londres prévoit une augmentation annuelle du PIB de 1%. À Bruxelles, on parle du «programme de stimulation le meilleur marché» que l’on puisse imaginer. Les sources de ce gain seraient au nombre de quatre: abolition des tarifs douaniers, accès réciproque aux marchés pour les services, libéralisation des commandes publiques, élimination des obstacles non tarifaires au commerce.

Envers de la médaille: les pays tiers qui entretiennent d’étroites relations commerciales avec au moins un de ces deux blocs craignent d’être fortement discriminés. C’est le cas par exemple du Mexique et du Canada, mais aussi de la Suisse.

En 2006, la Suisse a interrompu ses pourparlers commerciaux avec les Etats-Unis à cause surtout (mais pas seulement) de l’agriculture. Après l’ouverture des négociations sur le TTIP, elle se trouve subitement sur la défensive. Une étude de l’IFO-Institut de Munich prévoit qu’un accord de libre-échange UE/Etats-Unis risque à long terme de se traduire par une diminution de près de 4% du niveau de prospérité helvétique et de coûter quelque 18.000 places de travail. En raison de la grande incertitude, ces chiffres ne doivent évidemment pas être pris au pied de la lettre. Ils fournissent cependant un ordre possible de grandeur. Ils incitent aussi la Suisse à réagir. C’est l’avis de Reto Föllmi, de l’Institut für Aussenwirtschaft de l’Université de Saint-Gall. Les milieux économiques sont également inquiets. Jan Atteslander d’Economiesuisse estime que les branches exportatrices (machines-outils, chimie, pharmacie) pourraient être touchées. Ainsi que les sous-traitants de l’industrie automobile, puisque tout dépendra, en ce qui les concerne, de la définition qu’UE et Etats-Unis donneront des règles d’origine. Selon le cas, les constructeurs automobiles européens pourraient être fortement tentés de renoncer à faire appel à des fournisseurs en dehors de l’UE. Le Conseil fédéral et le Parlement sont naturellement préoccupés. Le PLR a demandé au Conseil fédéral de faire établir une étude sur les conséquences d’un éventuel accord Etats-Unis/UE.

Tout le monde ne broie pas du noir. Le CEPR de Londres prévoit que les pays tiers tireraient également profit d’un important partenariat commercial transatlantique. Si, argumente-t-il, à la suite de l’accord, le bien-être s’améliore, la demande d’importations augmentera également et les pays tiers ne manqueront pas d’en profiter. Dans le cas suisse se pose toutefois concrètement la question de savoir si cet effet positif de demande compensera les conséquences négatives d’une discrimination possible. Un accord des deux plus grands blocs commerciaux sur la démobilisation des entraves techniques au commerce (avec par exemple l’élaboration de normes communes de produits) se solderait aussi pour les tiers par des facilitations commerciales, pour autant que ceux-ci adoptent à leur tour ces normes et qu’en contrepartie les deux Grands s’abstiennent d’imposer aux tiers des procédures d’admission à leurs marchés séparées. On sait que cette question reste ouverte. La nature des règles d’origine représentera un autre indicateur important du degré d’ouverture de la future zone de libre-échange aux pays tiers.

Bruxelles cherche à rassurer «le reste du monde» qui, selon la Commission européenne, n’a rien à craindre d’une coopération commerciale plus étroite entre l’UE et les Etats-Unis. La Suisse aimerait bien la croire mais reste sceptique. Elle se prépare donc à réagir si ses appréhensions devenaient réalité. Plusieurs initiatives sont concevables: l’abolition unilatérale des barrières techniques au commerce, l’adossement sous une forme ou une autre (avec les autres pays membres de l’AELE) à un éventuel accord de libre-échange UE/Etats-Unis, la reprise des pourparlers de libre-échange avec les Etats-Unis ou des négociations sur les services avec l’UE. Reste à examiner de près la faisabilité de ces mesures.

* Université de Genève


 source: AGEFI