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Patrick Messerlin : « Derrière la multiplication des accords bilatéraux, un objectif de politique étrangère »

Les Echos 20/07-2011

Patrick Messerlin : « Derrière la multiplication des accords bilatéraux, un objectif de politique étrangère »

A l’occasion de la publication du rapport annuel de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur le commerce mondial et alors que le cycle de Doha sur la libéralisation du commerce patine depuis bientôt dix ans, Patrick Messerlin, directeur du Groupe d’économie mondiale de Sciences Po, revient sur les raisons de la prolifération des accords bilatéraux de libre-échange.

Ecrit par Marie-Christine CORBIER

Dans son rapport annuel sur le commerce mondial, l’OMC se penche sur les accords régionaux de libre-échange. Quand ont-ils commencé à se multiplier ?

Ils sont visibles depuis cinq à six ans. Dès 1947, il était prévu que ces accords régionaux soient examinés et avalisés par l’OMC, ce qui n’a jamais été fait. Cela n’était pas très gênant jusqu’en 1995 car il y avait peu d’accords régionaux, hormis celui constitué par la communauté européenne. De plus, cette dernière était un élément dynamique du commerce mondial. Mais depuis 1995, beaucoup d’accords ont été créés, alors même qu’en 1995 on vient de signer l’Uruguay round, qui est un cycle de libéralisation...

Pourquoi, alors, cette frénésie d’accords ?

Il y a, selon moi, trois réponses. D’abord, comme le dit l’OMC, dès 1980, beaucoup de pays baissent leurs droits de douane unilatéralement parce qu’ils comprennent que la libéralisation peut avoir des gains supérieurs aux coûts. Ils le font sans même chercher à obtenir des concessions réciproques à l’OMC. Cette baisse unilatérale des droits de douane a été massive : deux tiers de la baisse des droits entre 1980 et 2005 relèvent de mouvements unilatéraux. Les barrières douanières sont donc aujourd’hui relativement faibles et, très souvent, les accords bilatéraux ne libéralisent pas les quelques secteurs qui sont encore protégés. Autrement dit, ils n’apportent pas beaucoup d’avantages sur la baisse des droits de douane et sont très souvent de la poudre aux yeux.

Quel intérêt, dès lors, de s’engager dans un accord bilatéral ou régional ?

Il y a deux autres raisons. D’abord, ces accords abordent des sujets que l’OMC n’aborde pas comme l’investissement, la politique de concurrence ou les barrières techniques aux échanges. Le monde ne pense plus aux droits de douane mais aux réglementations qui peuvent empêcher les chaînes d’offres à travers le monde de bien se faire. Les accords bilatéraux sont beaucoup plus agiles que l’OMC pour assouplir les barrières autres que celles, traditionnelles, des droits de douane.

Cela dit, si ceux qui signent les accords sont souvent très volubiles, quand on lit dans le détail le texte des accords signés, on ne voit pas bien quel progrès ils apportent. Les avancées en termes de mesures sanitaires ou de barrières techniques à l’échange sont souvent très modestes. Les textes ne contiennent généralement pas grand chose et renvoient souvent à l’OMC comme référence. Mais ce besoin d’accords bilatéraux exprime le besoin quitter le monde du droit de douane pour s’attaquer à d’autres problèmes plus compliqués à résoudre et pour lesquels l’OMC n’est peut-être pas le meilleur forum.

D’où vient alors ce besoin de conclure des accords ?

On a oublié qu’entre 1990 et 1995, le monde avait totalement changé. C’est la fin du monde bipolaire Etats-Unis/URSS. Et tous les pays utilisent les accords bilatéraux comme un élément de politique étrangère pour se repositionner dans un monde multipolaire. L’exemple typique, ce sont les Etats-Unis. Ils signent des accords régionaux avec leurs bons partenaires militaires comme l’Australie ou Bahreïn. L’Europe procède différemment. Elle utilise ces accords pour exporter ses réglementations. En européanisant ses voisins, elle se dit que tout ira mieux. C’est une autre forme de politique étrangère. Quant à l’Asie, deux groupes d’accords se font une concurrence terrible, une concurrence politique. D’une part, le TransPacific Partnership (TPP) qui rassemble par exemple l’Australie et Bruneï et que les Etats-Unis cherchent à transformer comme ‘leur’ accord couvrant la zone Asie-Pacifique dans lequel ils seraient un participant, tout comme le Vietnam par exemple. Les Etats-Unis essaient aussi d’y faire entrer le Japon. C’est en fait une machine de guerre anti-chinoise puisque l’accord exclurait la Chine. En même temps, Chinois, Coréens et Japonais tentent de conclure le China Korean Japan free trade agreement (CKJ) qui, lui, est une machine de guerre chinoise contre les Etats-Unis. C’est donc l’Asie-Pacifique asiatique contre l’Asie-Pacifique à influence américaine.

Comment le Japon, engagé dans le CKJ, pourrait-il rejoindre le TPP ?

Beaucoup de pays d’Asie sont tiraillés entre les Etats-Unis et la Chine. Ils font tantôt un pas vers tel accord, tantôt vers l’autre. C’est vraiment de la politique étrangère. Quand vous parlez avec des Coréens et des Japonais par exemple, vous comprenez très vite que la perspective d’avoir un voisin chinois très puissant à leurs côtés les panique. Et c’est bien là la raison de cette croissance des accords préférentiels qui sont donc avant tout politiques. C’était d’ailleurs le cas autrefois avec les Britanniques et le Commonwealth ou avec l’Empire français...


 source: Les Echos