bilaterals.org logo
bilaterals.org logo
   

Union européenne. Pourquoi les accords commerciaux livrent les peuples aux multinationales

L’Humanité | 27 Février, 2019

Union européenne. Pourquoi les accords commerciaux livrent les peuples aux multinationales

par Pierre Chaillan

Débat avec Ian Brossat, tête de liste du PCF aux élections européennes, Mathilde Dupré de l’Institut Veblen pour les réformes économiques et Maxime Combes, économiste et membre d’Attac France.

Rappel des faits. Après celui conclu avec le Japon, c’est maintenant l’accord signé avec Singapour qui va engendrer de nombreuses conséquences néfastes.

Les scandales induits par le libre-échange par Ian Brossat, tête de liste du PCF aux élections européennes

Le 13 février, en toute discrétion, le Parlement européen a validé un accord commercial avec le paradis fiscal Singapour. Peu importe que ce pays autoritaire n’ait même pas signé certaines conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail… Ce traité de libre-échange donnera les coudées franches aux multinationales, qui pourront recourir à un tribunal arbitral pour attaquer les législations des pays membres de l’Union européenne. Ces mêmes multinationales qui s’assoient allégrement sur le fisc et utilisent la fraude et l’évasion fiscales à hauteur de milliards d’euros !

La justice privée mise en place par ces traités semble tout droit sortie d’une utopie ultralibérale : les grands groupes peuvent ainsi obtenir des millions de dédommagements de la part des États qui ne leur ouvrent pas leurs portes. En mars 2018, un assureur néerlandais attaquait ainsi la Slovaquie pour ne pas avoir privatisé son assurance-maladie… Et que dire de la fiabilité de ces organismes, dont les jugements sont rendus par des experts la plupart du temps issus du monde de l’entreprise et rétribués à prix d’or ?

Au début du mois, c’était un traité entre l’Union européenne et le Japon qui entrait en vigueur. États-Unis, Canada, Australie… des accords de ce type, l’Union européenne en négocie (dans la plus grande opacité) et en conclut de nombreux. Le but est toujours le même : maximiser les profits des grands groupes. Moins de contrôles douaniers, moins de normes sanitaires ou environnementales, et des marchandises qui font le tour de la terre pour être déversées à des milliers de kilomètres de leur lieu de production.

Pourtant, les scandales induits par le libre-échange à tous crins ne manquent pas. Prenons le cas de l’industrie agroalimentaire : steaks hachés à la bactérie E. Coli, œufs au fipronil, viande de cheval dans nos lasagnes… Ces mêmes groupes qui contestent la moindre intervention des États et veulent en finir avec les normes n’hésitent pas à vendre des aliments dangereux pour la santé, produits dans des conditions terribles par des ouvriers et des employés sous-payés, à l’autre bout de l’Europe ou de la planète. Le tout sur un marché mondial fortement dérégulé et en proie à la spéculation la plus folle.

Un cinquième des flux de transport sont aujourd’hui destinés aux denrées alimentaires. Les traités de libre-échange sont de véritables bombes en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Et ceux qui les dégoupillent sont les mêmes qui promettent la main sur le cœur de « rendre notre planète meilleure »… Il faut en finir avec cette logique absurde et destructrice. L’Europe ne peut plus être façonnée par et pour les multinationales. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas de plus de libre-échange, mais de renforcer les circuits courts et de soutenir l’agriculture paysanne.

Je propose une idée simple : une taxe sur tous les produits alimentaires qui ont parcouru plus de 1 000 kilomètres avant d’arriver dans nos assiettes. Pourquoi importer des denrées de l’autre bout du monde quand on produit les mêmes – et souvent en meilleure qualité – dans nos propres régions ? Chaque euro récupéré grâce à cette taxe sera investi dans la transition écologique et alimentaire, et le soutien aux agriculteurs. La course à la compétitivité accroît les profits des grands groupes et garnit les comptes en banque des plus riches. Elle détruit nos emplois, abîme la planète et coûte des milliards aux peuples. Changeons de logique, vite !

Phénomène de capture par Mathilde Dupré, de lnstitut Veblen pour les réformes économiques

Les négociations commerciales ont été traditionnellement menées à l’abri des regards pour des raisons stratégiques. Une telle pratique apparaît de plus en plus difficile à justifier avec l’extension des sujets traités dans les accords de commerce et d’investissement qui portent désormais principalement sur les barrières non tarifaires, c’est-à-dire les règles de protection des consommateurs, des travailleurs et de l’environnement.

Pour le Ceta (accord UE-Canada) comme pour le Jefta (accord UE-Japon), les informations sur le contenu des négociations n’ont été rendues publiques qu’après leur finalisation. Les citoyens n’ont ainsi pas eu accès aux mandats de négociation délivrés par les États membres, ni aux propositions intermédiaires formulées par l’UE, et encore moins aux textes consolidés de négociation. Un tel huis clos prive les parlementaires nationaux et les organisations de la société civile de leur capacité à contribuer utilement aux négociations. En réduisant drastiquement le débat démocratique, il alimente aussi la défiance vis-à-vis de la politique commerciale européenne. D’autant que le secteur privé dispose, lui, d’un accès privilégié aux négociations.

Selon les travaux de Corporate Europe Observatory, 88 % des réunions organisées par la Commission au début des négociations avec les États-Unis ont eu lieu avec des représentants du secteur privé et seulement 9 % avec des représentants de groupes d’intérêt public (syndicats, ONG ou associations de consommateurs). Ce déséquilibre est encore plus marqué pour les négociations de l’accord avec le Japon entré en vigueur au début du mois de février, avec seulement 4 % de réunions avec la société civile et aucune avec les représentants des syndicats de travailleurs ou même des fédérations de petites et moyennes entreprises.

Par ailleurs, en 2015, The Guardian a révélé qu’ExxonMobil avait été consulté sur le volet énergie du Tafta et avait eu accès aux stratégies confidentielles de négociations de l’UE, alors même qu’elles étaient considérées comme trop sensibles pour être diffusées publiquement. A contrario, les informations disponibles pour le grand public reposaient essentiellement sur la fuite et la publication de documents par différents canaux tels que WikiLeaks.

Ce déséquilibre génère un phénomène de capture croissante des processus de négociation par les plus grandes entreprises qui se reflète de plus en plus dans le contenu de la politique commerciale. Certaines dispositions (telles que l’allongement des durées de protection des brevets, la protection des investissements et l’accès à une justice d’exception ou le droit de regard sur les projets de règles via la coopération réglementaire) constituent de véritables privilèges accordés aux entreprises multinationales qui risquent de renforcer encore des positions dominantes et vont à l’encontre des principes mêmes du libre-échange.

La possible relance des négociations commerciales avec les États-Unis en dépit des engagements pris par Emmanuel Macron et la commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström, de ne pas négocier avec des partenaires désireux de sortir de l’accord de Paris témoigne à nouveau du poids des intérêts privés face à l’intérêt général. Sous la pression des États-Unis et la menace d’une nouvelle taxe sur les importations automobiles, la Commission européenne demande au Conseil de l’UE de valider deux nouveaux mandats de négociation avec eux en urgence. Et elle pourrait bien les obtenir si le Parlement européen ne s’y oppose pas le 11 mars prochain. Les États membres seraient ainsi prêts à revenir sur la ligne rouge de l’adhésion à la lutte contre le changement climatique pour préserver les exportations automobiles de l’Allemagne, notamment.

Le TAFTA va-t-il revenir par la fenêtre ? par Maxime Combes Économiste et membre d’Attac France

La Commission européenne va-t-elle pouvoir reprendre des négociations commerciales avec les États-Unis de Donald Trump ? C’est bien parti. Le 19 février, la commission du Commerce international (Inta) du Parlement européen a voté une résolution en ce sens. De leur côté, les ministres du Commerce des 28 États membres sont en train de valider les mandats de négociation. Objectifs ? Réduire les droits de douane sur les biens industriels, notamment automobiles, et « harmoniser » des normes et réglementations avec les États-Unis.

Le tout alors que de nombreux décideurs politiques européens, comme Emmanuel Macron, s’étaient engagés à ne plus négocier ni signer d’accord de libéralisation du commerce avec des États ne respectant pas l’accord de Paris sur le climat. Ce qui est le cas des États-Unis puisque Donald Trump a décidé de s’en retirer. Le climat va-t-il à nouveau être sacrifié sur l’autel du commerce international ? Désireux d’amadouer Donald Trump, les décideurs européens semblent en effet prêts à (presque) tout pour éviter que le président des États-Unis n’exécute sa menace d’augmenter les droits de douane sur les automobiles européennes. En juillet 2018, Jean-Claude Juncker s’était déjà engagé, lors d’une visite à Washington, à augmenter les importations de soja américain et de gaz liquéfié (GNL). Résultat, les premières ont bondi de 112 % entre juillet et décembre 2018, tandis que le nombre de méthaniers venant d’outre-Atlantique s’est fortement accru à l’automne 2018.

Pour satisfaire quels intérêts ? Le retour du Tafta, même allégé, s’inscrit dans une période où l’UE est en train de finaliser ou ratifier de nombreux accords de commerce et d’investissement. Le 1er février, est entré en vigueur le Jefta, l’accord entre l’UE et le Japon, qui institue la plus grande zone de commerce libéralisée (un tiers du PIB et 40 % des échanges commerciaux mondiaux). Le 13 février, le Parlement européen a voté en faveur de nouveaux accords de commerce et d’investissement avec Singapour, régime autoritaire et paradis fiscal notoire, mais qui constitue la principale plaque tournante commerciale et financière entre la zone Pacifique et l’Europe. Alors que le Ceta, cet accord entre l’UE et le Canada qui est provisoirement entré en vigueur en septembre 2017, n’a toujours pas été ratifié par l’ensemble des États membres – notamment la France –, de nouveaux accords sont envisagés, en cours de négociation ou de finalisation avec de nombreux pays et régions de la planète (Nouvelle-Zélande, Mercosur, Vietnam, Chine, Malaisie, Birmanie, Philippines, etc.).

Les buts poursuivis sont clairs : accroître le commerce international et sécuriser les droits des investisseurs sans réellement tenir compte de l’impact en matière environnementale ou sociale. Alors que les règles de libéralisation et les instruments qui garantissent les intérêts des investisseurs sont contraignants, les références, quand elles existent, au développement durable, aux conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) ou à l’accord de Paris sur le climat, ne le sont jamais.

Les entreprises multinationales et les investisseurs internationaux peuvent ainsi bénéficier d’une large impunité fiscale, sociale et climatique, tout en étendant leur pouvoir d’influence. Au détriment des droits des populations et de l’environnement. Raison pour laquelle plus de 200 organisations de la société civile en Europe ont lancé une campagne pour « mettre fin à l’impunité des multinationales » (stopimpunite.fr). La pétition a déjà recueilli plus de 500 000 signatures.

Auteur de Sortons de l’âge des fossiles, manifeste pour la transition.


 source: L’Humanité