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A Libreville, les Africains dressent un bilan mitigé de l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis

Le Monde | 27 août 2015

A Libreville, les Africains dressent un bilan mitigé de l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis

Raoul Mbog

Flora se saisit d’un pot de confiture à l’ananas et le remet à un visiteur venu admirer son stand : cadeau ! Cette Gabonaise, la petite trentaine, est spécialisée dans l’agroalimentaire. Dans son petit atelier de la périphérie de Libreville, elle transforme et conditionne des fruits, des épices et des légumes et rêve de pouvoir vendre à l’étranger. Comme près de 300 autres exposants de la mini-foire commerciale organisée au stade de l’Amitié de la capitale gabonaise, Flora est venue présenter son savoir-faire aux délégués du 14e forum de l’AGOA, l’accord de libre-échange entre les Etats-Unis et les pays de l’Afrique subsaharienne.

A quelques mètres de là, dans les chapiteaux aménagés à l’extérieur du stade, leurs travaux démarrés lundi s’achèvent jeudi 27 août. L’objectif de la rencontre entre les ministres africains du commerce et leurs partenaires américains était de faire un point d’étape de cette loi, l’African Growth Opportunities Act, votée en 2000 sous l’impulsion de Bill Clinton et qui permet aux pays éligibles – ils sont 39 sur 49 de la région – de bénéficier d’un accès préférentiel sur le marché américain au travers d’une exonération de frais douaniers. En juin, l’avantage a été renouvelé pour dix années supplémentaires.

« Le renouvellement de ce programme illustre les résultats satisfaisants obtenus en quinze ans, en matière de croissance, d’investissements et de bonne gouvernance », indique Michael Froman, le représentant américain au commerce, lors d’un débat à Libreville avec les dirigeants et les opérateurs économiques africains. Mais cet auto-satisfecit a été tempéré par de nombreux délégués au forum.

L’AGOA a-t-il vraiment permis aux économies africaines de décoller ? Cet accord dit de libre-échange n’a-t-il pas simplement été, en quinze ans, une vaine tentative des Etats-Unis de rattraper son retard sur la Chine, qui exploite déjà abondamment le potentiel économique de l’Afrique ? En 2013, les échanges commerciaux entre la Chine et le continent africain s’élevaient à 170 milliards de dollars contre seulement 50 milliards de dollars entre les Etats-Unis et l’Afrique.

« L’ouverture du marché américain qu’a permis la loi AGOA est une ouverture en trompe-l’œil. Les produits pétroliers et le textile ont été privilégiés, mais ceux-ci ne constituent pas l’essentiel du potentiel de l’ensemble des pays africains. Les Américains doivent être moins frileux et moins protectionnistes en ce qui concerne l’agroalimentaire », souligne Necton D. Mhura, représentant du Malawi au commerce, pays dont les exportations vers les Etats-Unis dans le cadre de l’AGOA s’élèvent à 47 000 dollars (41 600 euros). Le responsable malawite se dit persuadé que ce chiffre pourrait être plus important si son pays pouvait exporter son tabac sur le marché américain.

Le même grief est porté par le Cameroun, dont le ministre du commerce, Luc-Magloire Mbarga Atangana, considère que le « volontarisme américain » vis-à-vis de l’Afrique doit être « plus concret ». « Il faudrait, par exemple, accélérer le processus d’analyse des risques liés à l’accès aux Etats-Unis des exportations en provenance de l’Afrique subsaharienne. En outre, les opérateurs n’ont pour l’heure aucun droit de recours lorsqu’un préavis d’exclusion des marchandises leur est adressé », regrette Luc-Magloire Mbarga Atangana. Les exportations du Cameroun vers les Etats-Unis s’élèvent à 273 000 dollars (242 000 euros) dont 36 500 dans le cadre de l’AGOA.

De l’avis général des Africains, cette loi américaine sur la croissance et les opportunités de développement en Afrique est nécessaire, mais elle n’a pas entièrement rempli ses objectifs. Hormis les hydrocarbures, les exportations africaines aux Etats-Unis restent faibles et, comme le fait remarquer Fatima Acyl, la commissaire de l’Union africaine en charge du commerce, une poignée de pays seulement a pu en tirer profit. On y retrouve le Nigeria, l’Angola, le Gabon, le Tchad et le Congo-Brazzaville, les principaux producteurs de pétrole de la région. Des experts estiment que, en 2014, les hydrocarbures auraient représenté 70 % des quelque 26 milliards de dollars des exportations libres de taxes douanières depuis l’Afrique au sud du Sahara vers les Etats-Unis.

« Il nous appartient aussi de diversifier nos économies afin d’être plus attractifs et compétitifs », nuance Gabriel Tchango, le ministre du commerce du Gabon. Il ajoute qu’il y a un risque à ne se contenter que de répondre à la demande en hydrocarbures, d’autant que leur cours ne cesse de chuter. Les exportations du Gabon, dans le cadre de l’AGOA, se chiffrent à 925 000 dollars (819 000 euros) – sur 1 million de dollars pour l’ensemble de ses produits exportés vers les Etats-Unis. Et ces « exportations AGOA » sont essentiellement pétrolières.

Mais pour Linda Thomas-Greenfield, la sous-secrétaire d’Etat américaine chargée des affaires africaines, présente à Libreville, plus des efforts seront faits en matière de gouvernance, de démocratie et de respects des droits sociaux plus les bénéfices de l’AGOA se feront ressentir.

En décembre 2014, la Gambie et le Soudan du Sud ont ainsi été exclus de ce programme. D’autres comme la Guinée équatoriale, la République démocratique du Congo, le Zimbabwe et la Centrafrique n’y étaient déjà pas éligibles. Selon Linda Thomas-Greenfield, le Burundi, à cause des violences politiques liées au troisième mandat de Pierre Nkurunziza, pourrait très prochainement être exclu de l’AGOA.


 source: Le Monde