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Accord de libre échange Maroc-USA: quelle mobilisation de la société civile

Espace Associatif, le 25 mai 2005

Accord de libre échange Maroc-USA

Table ronde organisée à l’Espace associatif le 12 Mai 2005

Zone de libre échange: quelle mobilisation de la société civile

Ci-dessous l’intervention de Abibi Laabi

Introduction :

La mise en place de zones de libre échange est l’un des fondements de la politique néo-libérale. Cette politique est fondée sur une libéralisation exagérée des règles commerciales et de l’investissement, telle que proposée par la zone de libre échange (ZLE), et orientée par un paradigme de la mondialisation économique qui considère essentiels les éléments suivants : la primauté de la croissance économique, la liberté de mouvement des capitaux à travers les frontières, l’élimination des restrictions au commerce international, la déréglementation des lois nationales qui peuvent être considérées comme des contraintes au commerce et la valorisation des entreprises transnationales comme les principaux agents du développement.

Le libre échange est régi par un ensemble d’organismes financiers (Banque mondiale, Fonds monétaire international,...) et par l’organisation mondiale du commerce (OMC).

L’OMC, qui a succédé au GATT en 1995, comprend près de 150 membres : elle est désormais une instance de prise de décision.

L’inflexion de la politique commerciale conduite par les Etats-Unis après l’échec la conférence de Seattle, en novembre 1999, en prélude à un nouveau cycle de NCM (Négociations Commerciales Multilatérales), constitue un facteur d’explication pour les accords bilatéraux.

L’impasse de la réunion de Cancun (septembre 2003), devant relancer les négociations multilatérales a justifié, à posteriori, cette position.

En conséquence, les accords commerciaux bilatéraux sont devenus une alternative pour la libéralisation des échanges où leur caractère flexible est mis en avant. Ils sont devenus un vecteur préférentiel pour les Etats-Unis et aussi un moyen pour contourner l’OMC, et pour éviter des problèmes de cohérence avec le principe de non-discrimination, pierre angulaire de l’édifice commercial multilatéral.

Les accords de libre échange sont des accords réciproques dont l’objectif est la suppression des barrières tarifaires et des quotas. Ils peuvent englober des domaines comme la libéralisation des modalités d’investissement, la protection des droits de propriété intellectuelle ou encore l’ouverture des appels d’Offres en matière de commandes publiques aux multinationales.

Impacts des accords de libre échange.

Les accords de libre échange (ALE) et non de libre commerce, concernent en premier lieu les suppressions de droits de douane et de quotas. Cet impact ne peut être estimé uniquement par l’approche de l’économie standard dont les conséquences se limitent aux seules thématiques prix et volumes des échanges dans la mesure où d’autres thématiques vont au-delà. La tenue en compte et la mesure de ces effets sont plus difficiles et s’inscrivent dans des durées. Notons aussi, la référence aux engagements pris par les signataires en faveur de la poursuite de la libéralisation des services publics (éducation, santé, environnement, eau...) et l’admission d’une rhétorique sur la supériorité économique du « tout marché ».

Mais au delà de ces arguments, les négociations qui ont conduit à la signature de ces accords sont l’occasion de réintroduire la puissance dans l’espace des relations économiques internationales qui va à l’encontre du principe fondateur des instances multilatérales de la période de l’après guerre. L’approche de l’économie politique internationale rend compte de tels phénomènes et est, à cette qualité, complémentaire de la première approche.

Enfin, la multiplication des ALE au sein du grand Maghreb met à rude épreuve toute construction régionale future, le cas de l’ASEAN (Association of SouthEast Asian Nations) mérite compréhension.

Utilisation de l’approche de l’économie standard

La tenue en compte de la suppression des barrières aux échanges commerciaux relève du paradigme de l’économie standard de type néo-classique qui repose sur un cadre de concurrence pure et parfaite et une mobilité totale du capital. Ce type d’approche peut aussi pointer des gains inégaux à la libéralisation des échanges (cas de l’ALE Japon-Mexique), surtout entre économies asymétriques.

Utilisation de l’approche de l’économie politique internationale

Ceci place les effets de pouvoir et même de domination au cœur des relations économiques internationales. Il est devenu évident que les ALE, dès lors qu’ils s’inscrivent dans des négociations bilatérales, peuvent être à la source de tels phénomènes et ceci est d’autant plus vrai pour des relations mettant face à face de grandes puissances économiques et des pays en développement, ce qui est le cas de l’ALE Etats-Unis-Maroc (caractérisé par une opacité, une exclusion et une répression de la société civile...et une grande célérité dans son approbation).

Par ailleurs, même si les négociations s’inscrivent dans le cadre de l’OMC, les grands pays disposent toujours de moyens de pression et même de coercition pour amener leurs partenaires à certaines concessions.

L’approche en termes d’économie politique internationale fournit une clé d’analyse et d’interprétation particulièrement utile pour mieux comprendre les logiques en œuvre, les enjeux et les risques de la généralisation dans l’espace international de tels accords.

Cet angle d’attaque est parfaitement illustré par la ligne politique avancée par les Etats-Unis.

Les Etats-Unis défendaient la libéralisation de l’ensemble des services (et sans exception).

En effet, les Etats-Unis sont à la pointe de la stratégie de multiplication des accords bilatéraux et régionaux. Ils les utilisent à la fois pour contourner l’OMC et pour faire pression sur les négociations qui s’y déroulent. Profitant du rapport de force que leur assure leur économie, les Etats-Unis négocient des accords qui imposent à leurs partenaires une redéfinition des règles appliquées à l’investissement international. De quoi promouvoir ici une ouverture des échanges de services, là un droit de la propriété intellectuelle, allant au-delà de ce qui est négocié de manière multilatérale. Une stratégie qui défend les intérêts spécifiques des multinationales américaines. Comme le confirme M. Moore, ancien membre du Council of Economic Advisers du Président Bush « Ces accords touchent à des domaines beaucoup plus sensibles pour les multinationales américaines : ouverture des échanges de services, protection de l’investissement et de la propriété intellectuelle, mouvements de capitaux, etc. ». Une façon de faire revivre, dans la plus grande discrétion le contenu de l’accord multilatéral sur l’investissement (AMI), décédé en 1998. C’est toute la stratégie des trois voies du bilatéralisme, du régionalisme et du multilatéralisme que les Etats-Unis suivent en même temps. Et faute d’une entente entre les pays, ces accords couvrent des champs peu ou pas couverts par l’OMC et permettent d’aller très loin dans les contraintes imposées. Par exemple, dans le domaine de la Culture, cas du Maroc. De même, alors que des accords récents laissent une certaine autonomie aux pays du Sud en matière des médicaments génériques, on trouve dans l’ ALE (Etats-Unis-Maroc) des obligations d’achat de médicaments à prix fort aux multinationales pharmaceutiques. Comme l’a dit R. Zoellick « l’accès au marché américain est un privilège ». Et les Etats-Unis entendent faire payer ce privilège au prix fort et à l’accorder à ceux qu’ils ont choisis.

La Société civile internationale face au commerce

A compter du début des années quatre vingt dix, les enjeux commerciaux font, pour la première fois, l’objet de débats. Ils n’intéressent plus uniquement des cercles fermés de négociateurs, d’experts et de groupes d’intérêt professionnel sur des enjeux purement techniques dans le cadre de négociations éloignées des préoccupations du grand public et des médias. Avec la mise en place des ALE et la création de l’ OMC, l’intégration des services ou des droits de propriété intellectuelle dans les négociations commerciales, les enjeux commerciaux traitent aussi de sujets non commerciaux et affectent désormais directement les populations dans leur existence quotidienne, que ce soit à travers l’environnement, la santé, l’éducation, la culture ou le droit du travail. Or, ces questions ont trois caractéristiques importantes. Ce sont tout d’abord des domaines qui relèvent principalement de la politique publique interne et des prérogatives étatiques. En outre, ce sont des enjeux plutôt sensibles politiquement et qui sont au cœur de la définition de l’identité nationale et culturelle, ainsi que des valeurs et des choix de société. La politique commerciale devient donc un enjeu politique et doit désormais se fonder sur une légitimité. Or, les conditions de légitimation de la politique commerciale et le processus de décision en la matière, se heurtent à deux formes de pression contradictoires - une pression « d’efficacité » et une pression démocratique - renvoyant à une tension. La première correspond à la mise en place de mécanismes visant à se dégager de l’influence des pressions (désengagement total), la seconde est la pression démocratique, notamment véhiculée par les organisations de la société civile (OSC), qui dénonce justement un processus de décision jugé non démocratique. Elle soulève la question de la légitimité du processus de décision en matière commerciale.

Les organisations représentatives traditionnelles (Partis politiques, Syndicats) n’ont généralement pas su anticiper et répondre à cette évolution. D’abord préoccupées par les enjeux et les échéances nationales et elles tendent à séparer strictement les questions internes et les questions externes. Enfin, elles n’ont pas réellement cherché à développer une véritable expertise et argumentation structurée sur les questions commerciales.

Les OSC ont su tout particulièrement combler ce vide en s’érigeant en défenseurs de citoyens et d’une démocratie dont les prérogatives auraient été mises en cause par les ALE ou par l’OMC, sans poser autant que la question de leur représentativité soit tout à fait réglée.

La Société civile marocaine et la zone de libre échange (ZLE)

Au Maroc, à partir des années quatre vingt, deux phénomènes majeurs sont à signaler :

Le premier, sous la contrainte du programme d’ajustement structurel (PAS), l’Etat se désengage...

Le second, la libéralisation économique qui s’est opérée, s’est traduite par la naissance d’une multitude d’organisations plus ou moins indépendantes aux objets et statuts les plus variés, d’une volonté d’autonomie, pour d’autres, d’une réponse aux services défaillants de l’Etat, pour d’autres encore, de stratégies diverses.

Pour répondre à ces transformations, les instances publiques et privées de coopération du Nord ont ajusté leurs dispositifs. En effet, le volet économique de la Déclaration de Barcelone (Union Europèenne(UE)-Maroc) conçu en 1995 et dans le cadre de la mondialisation (trade not aid) mentionne la collaboration de certaines institutions de l’UE avec la société civile marocaine et la constitution de forums euro-méditerranéens, contrairement à l’ALE Etats-Unis-Maroc dépourvu de toute instance à caractère civil...

La Société civile marocaine est appelée à transformer des questions commerciales souvent techniques (droits de propriété intellectuelle/TRIPS (Trade-related aspects of intellectual property rights ), services/AGCS (Accord général sur le Commerce des Services)) en des enjeux de débat public support d’un intérêt pour le grand public (accès aux médicaments, défense des services publics, etc.), par des analyses d’études d’impact, par des sondages d’opinion...pour défendre et renforcer le secteur public. En effet, derrière ces quatre lettres de l’AGCS se cache une négociation d’envergure. Avec un montant de 2100 milliards de dollars américains, le commerce des services ne représente, en effet que 20% des échanges internationaux. D’où un énorme potentiel de développement, qui excite la convoitise des entreprises, opérant dans les domaines aussi divers que la santé, le tourisme, l’audiovisuel, mais aussi la fourniture d’électricité, la distribution d’eau, les services publics de proximité...domaines qui concernent tout particulièrement les collectivités locales.

Or, depuis quelques mois, un vent de fronde souffle en France parmi les élus et les collectivités territoriales, dont plus de 260 (communes, communautés de communes, conseils généraux ou régionaux) se sont déclarées « zone hors AGCS ». La société civile marocaine est appelée à jouer un rôle important pour développer des poches alternatives (commune hors AGCS, rejet de toute extension du champ d’application de l’OMC, notamment aux sujets de Singapour). La réalisation de ces actions nécessite des partenariats avec les OSC du Nord dotées d’expertise et de moyens suffisants, à l’instar d’ Oxfam, ONG connue par sa lutte en faveur des pays du Sud. En effet, Oxfam, vient de remettre à l’ex-directeur de l’OMC, une pétition de 7 millions de signature « Pour un commerce plus juste ». La directrice du bureau d’Oxfam international à Genève, C.Charveriat dans une interview dit « chaque fois que je rencontre des délégués des pays en développement, ils nous encouragent au contraire à continuer notre travail, à nous exprimer pour dire ce qu’eux sont souvent tenus de taire. Ils nous demandent de plus en plus de produire des analyses, de leur apporter assistance technique...Nous sommes loin de pouvoir répondre à la demande, et je suis souvent dans la position de devoir dire non à des délégations qui vont jusqu’à nous solliciter pour rédiger leurs positions de négociations. Ce n’est pas le rôle d’une ONG. Mais certains pays sont dépassés par l’ampleur et la complexité des négociations. L’assistance technique officielle dispensée par l’OMC ou d’autres institutions est insuffisante et pas toujours adaptée aux besoins » et continue de dire « Oxfam a apporté son soutien de principe au lancement, à Doha en 2001, d’un nouveau cycle de négociations commerciales fondé sur l’objectif de développement. 2005 sera l’épreuve vérité pour voir si les pays riches sont à la hauteur de leurs promesses sur la question de l’annulation de la dette lors du G8 de juillet, de la réduction de la pauvreté lors du sommet des Nations unies en septembre, et enfin en faveur d’un système commercial plus juste à Hongkong. Il est clair que si, lors de ce rendez-vous, il n’y a pas d’accord ou un accord très décevant, Oxfam remettra en question l’existence et la raison d’être de l’OMC »...

ABIB Laabi

e-mail : l.abibi@iav.ac.ma


 Fuente: Espace Associatif