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Afrique - Zone de libre-échange tripartite : que va-t-elle changer ?

Le président Abdel Fattah el-Sisi (au centre) entre le président Mugabe du Zimbabwe (à gauche) et le premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn à Charm-El-Cheikh lors de la signature de l’accord tripartite COMESA-EAC-SADC le 10 juin 2015 en Egypte. Anadolu Agency/Mohamed Mahmoud

Le Point Afrique | 23/06/2015

Afrique - Zone de libre-échange tripartite : que va-t-elle changer ?

DÉCRYPTAGE. "La création d’institutions seules ne changera pas la face du commerce intra-africain", préviennent les experts de l’agence Standard & Poor’s.

Propos recueillis par Malick Diawara

Le Point Afrique : La zone de libre-échange (ZLE) peut-elle être considérée comme la concrétisation d’une intégration des économies africaines qui se poursuit ?

Sophie-Aurore de Saint-Marcq et Patrick Raleigh* : Cette zone de libre-échange (ZLE) est un rêve plus que centenaire. La signature du traité de libre-échange ce 10 juin dernier couvrant l’Afrique australe, de l’est et une partie de l’Afrique centrale est donc un succès politique. Elle représente en fait la fusion des trois blocs économiques existants (Comesa, CAE et SADC), composés de 26 pays, soit presque la moitié des États membres de l’Union africaine (UA). Sa mise en application est prévue pour juin 2017, mais cela implique des ratifications nationales du traité avant cette date. Le projet se base sur des institutions existantes et qui fonctionnent, même si à des niveaux divers. On peut néanmoins facilement imaginer que des retards de mise en œuvre interviennent. À plus long terme, cette fusion de zones économiques pourrait être l’élan pour le projet plus ambitieux encore de l’UA de réunir les huit communautés économiques régionales qu’elle reconnaît en son sein. Toutefois, l’intégration économique des pays africains n’interviendra pas sans un développement des infrastructures et une production adaptée au commerce régional. La création d’institutions seules ne changera pas la face du commerce intra-africain.

La ZLE impliquera-t-elle une croissance économique plus forte pour les pays qu’elle inclut ?

L’objectif premier de cette zone de libre-échange est de réduire les tarifs douaniers et d’éliminer les barrières non tarifaires. Cela se fera cependant de manière progressive. L’objectif ultime est de parvenir à plus de coopération et d’intégration entre les pays africains qui réalisent aujourd’hui la presque totalité de leur commerce (environ 86 %) avec le reste du monde plutôt qu’entre eux. Nous ne nous attendons pas à ce qu’une simple baisse des tarifs douaniers augmente directement la croissance économique de ces pays. Toutefois, couplé à d’autres mesures, cet élément peut créer un multiplicateur intéressant. Outre l’harmonisation des législations nationales en vigueur, il est primordial que les infrastructures transnationales (comme les routes et le rail, notamment) se développent afin de favoriser le commerce. Il faudrait également voir plus de transformation locale des matières premières et le développement de produits à valeurs ajoutées adaptés aux besoins locaux pouvant directement être commercialisés dans la zone, ce qui implique une croissance de l’industrie. On peut imaginer que la zone de libre-échange favorise le développement de grandes entreprises déjà existantes, aujourd’hui circonscrites à leur cadre national, en les transformant en leaders régionaux. Cependant, le niveau de revenus moyen des consommateurs africains généralement bas restera un frein au développement du commerce régional. La création d’une nouvelle zone de libre-échange ne changera pas, en soi, cette réalité.

Va-t-il y avoir un impact sur la notation des pays concernés ? Si oui, lequel ?

En termes de notation souveraine, nous n’anticipons pas de changement de note à court terme du fait de la signature ni même de l’attendue ratification de ce traité. On peut en effet constater que le lien entre solvabilité des États et signature d’un accord de libre-échange est loin d’être direct. La notation souveraine indique la probabilité de défaut d’un gouvernement sur sa dette financière. Elle est basée sur deux piliers principaux. L’un concerne le profil économique s’appuyant sur la valeur de la structure économique, ses perspectives de croissance, l’autre, politique, prenant en compte le cadre institutionnel, la gouvernance et les risques sécuritaires. L’autre s’appuie sur un profil de flexibilité et de performance, incluant la combinaison d’un score des comptes extérieurs basé sur le statut de la devise du pays dans les transactions internationales, la position créditrice ou débitrice du pays vis-à-vis du reste du monde, ses besoins de financements externes par rapport aux recettes de transactions courantes de biens et services ; ensuite d’un deuxième score, celui-là cumulant la performance budgétaire prospective, la flexibilité du budget de l’État et les vulnérabilités pesant sur l’évolution des soldes budgétaires à moyen et long terme, le stock de dette prévisionnel et son coût ainsi que le risque lié à la matérialisation d’engagements hors bilans ; enfin d’un score monétaire basé sur le type de taux de change et l’efficacité de la politique monétaire.

Nous nous attendons à ce que l’impact économique soit, au mieux, très progressif. Notre critère principal d’évaluation économique étant le PIB par habitant. C’est donc un facteur qui implique le niveau de croissance économique et la croissance de la population qui est souvent importante dans ces pays, contraignant le développement économique par tête. Quant à l’impact fiscal, étant donné que le commerce intra-africain est limité par rapport au commerce avec le reste du monde, une réduction ou même l’annulation des tarifs douaniers au sein de la zone n’aura, par définition, que peu d’impact sur les revenus fiscaux de la plupart de ces pays. On peut toutefois imaginer un résultat positif si l’augmentation de la croissance économique crée un effet de volume sur d’autres pôles d’impositions, comme celle sur les entreprises notamment. Enfin, la balance des paiements fait état des flux entre résidents et non-résidents d’une économie. On pourrait donc éventuellement constater une transformation de ces flux grâce à l’évolution de la croissance économique et du commerce extérieur en général, mais pas avec celui dans la ZLE en particulier, les autres pays membres étant également considérés comme non-résidents.

* Sophie-Aurore de Saint-Marcq et Patrick Raleigh sont analystes crédit pour le secteur souverain chez Standard & Poor’s.


 source: Le Point Afrique