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ALE US-Maroc : Quel impact sur le secteur des génériques ?

Robert Weissman est co-directeur de « Essential Action », une influente ONG Américaine de défense des consommateurs impliquée dans la lutte pour l’accès aux médicaments. Il a analysé le texte de l’accord conclu entre le Maroc et les Etats-Unis. Son verdict est clair : l’accord rendra l’accès aux médicaments génériques de plus en plus difficile.

ANALYSE DE R. WEISSMAN

Compétition par les génériques retardée

Exclusivité des données

Comme l’accord avec l’Amérique centrale (CAFTA), l’ALE US/Maroc oblige les pays à établir une protection des monopoles au niveau des données d’enregistrement. Ces protections ne sont pas demandées par l’accord ADPIC de l’OMC. L’impact de ces mesures sera, au minimum, de retarder le recours à des licences obligatoires.

L’obtention d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) impose aux compagnies pharmaceutiques de soumettre des données prouvant l’innocuité et l’efficacité de leurs produits. Ces données sont désignées sous le terme « données d’enregistrement » (registration data ou marketing approval data). La production de ces données à partir de tests menés sur des animaux ou des humains peut être relativement coûteuse, elle peut dans certains cas revenir à des dizaines de millions de dollars.

Pour obtenir une autorisation de vendre des versions génériques de médicaments déjà commercialisés, les compagnies productrices de génériques n’ont pas, en général, à refaire des études qui prennent du temps et peuvent représenter un coût particulièrement important pour une industrie générique ayant peu de capital.
En effet, ces compagnies se contentent de prouver que leur produit est chimiquement équivalent ou bio-équivalent, ce qui signifie qu’il a le même effet sur le corps que le médicament le premier commercialisé. Ainsi, les compagnies de génériques se réfèrent à l’autorisation de mise sur le marché obtenu par le premier médicament commercialisé pour obtenir elles-mêmes une autorisation pour le générique.

Si l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) des génériques ne peut pas être obtenue en se basant sur les données fournies pour obtenir l’AMM des médicaments brevetés les premiers commercialisés, dans de nombreux cas cela signifie simplement qu’ils ne pourront entrer sur le marché.

Dans l’accord de libre échange entre le Maroc et les Etats-Unis, on trouve un grand nombre de mesures qui empêcheront les génériqueurs de s’appuyer sur les données fournies par les compagnies détentrices des brevets. Le résultat sera le blocage des génériques qui ne pourront être commercialisés tant que le monopole sur les données d’enregistrement n’a pas expiré - même si le brevet est tombé, et même si le pays octroie une licence obligatoire afin de vendre un produit sous brevet.

• Selon l’ALE, le Maroc doit donner une protection des données de 5 ans à partir du moment où le produit obtient son AMM dans le pays (Art 15.10.1). Ceci revient à un blocage des licences obligatoires pendant une période de 5 ans à partir de l’obtention de l’AMM.
Il est explicitement indiqué dans le texte qu’aucun enregistrement de générique ne pourra être fait sans le consentement de la compagnie qui a la première enregistré le produit et fournie les données d’enregistrement :

• Le Maroc doit attribuer 5 ans de protection exclusive des données aux compagnies qui ont en premier obtenu une AMM n’importe où dans le monde - c’est à dire que la compagnie en question n’a même pas a enregistré son produit au Maroc pour bénéficier de cette protection de son monopole :

• Les monopoles de données d’enregistrement doivent être donné pour les données d’enregistrement soumises pour tous les « nouveaux produits pharmaceutiques ».
Dans l’accord ADPIC, la nécessité de protéger les données (qui n’es pas ne conduit pas à un monopole parce qu’il s’agit de protection mais pas d’exclusivité) s’applique pour les données fournies pour les « nouvelles entités chimiques ». Sous l’ALEs, l’exclusivité des données s’applique pour les nouveaux produits contenant des entités chimiques qui n’ont pas été enregistrées dans le pays - même si elles ne sont pas nouvelles.

Interdiction de facto de recourir aux licences obligatoires

Comme dans l’accord régional avec l’Amérique centrale, ces protections de monopoles des données d’enregistrement rendent le recours aux licences obligatoires impossible - sauf peut être en essayant d’invoquer des pratiques anti-concurrentielles.

L’article 15.10.4 semble interdire toute compagnie générique de s’appuyer sur les données fournies par la compagnie qui détient le brevet d’un médicament à n’importe quel moment durant la durée du brevet si le producteur n’a pas la permission du détenteur du brevet (ce qui semble contradictoire avec la durée de 5 ans stipulée dans l’article 15.10.2).

Cet article signifie effectivement qu’une compagnie productrice de génériques ne peut pas s’appuyer sur les données d’enregistrement d’un produit durant toute la durée de la protection par le brevet, même si une licence obligatoire est émise. Cette mesure bloque purement et simplement l’utilisation de licence obligatoire - même en cas d’urgence.

Ce langage se retrouve dans les textes de l’accord avec l’Amérique centrale. Essential Action a demandé des explications à l’USTR qui s’est en gagé à en fournir (rien pour le moment).

Extension de la durée des brevets et brevets sur-protecteurs

L’ALE entre le Maroc et les Etats-Unis comme l’accord avec l’Amérique centrale étend la durée de protection des brevets en permettant des brevets sur-protecteurs :

• des extensions de brevets doivent être accordé pour compenser les délais lors de l’enregistrement des brevets (article 15.9.7).

• des extensions de brevets doivent être accordés pour compenser les délais d’enregistrement des produits pharmaceutiques (article 15.10.3).

• l’accord créé un encouragement pour les compagnies détentrices des brevets à soumettre des demandes de brevets abusives. L’article 15.9.9 impose aux pays d’autoriser les demandeurs de brevets à amender leurs demandes de brevets ; ceci constitue un encouragement pour les demandeurs de brevets à soumettre des demandes inadéquates et des brevets excessivement larges.

• les règles concernant les investissements de l’ALE interdiront les licences obligatoires. Le chapitre concernant l’investissement précise que les licences obligatoires faites en suivant l’accord ADPIC et/ou les règles sur la protection de la propriété intellectuelle des accords de libre échange ne violent pas les limitations sur l’expropriation du chapitre sur l’investissement (Article 10.7.5) ou les obligations de performances (Article 10.9.3). Cependant, même avec ces clauses de sauvegarde, les règles du chapitre sur l’investissement de l’accord sont si sévères qu’elles refroidiront probablement la volonté des pays à entreprendre de recours à des licences obligatoires, dans la mesure où ils craindront d’être sujet à des pénalités prévues dans le cadre de l’accord sur l’investissement.

Restrictions sur les importations parallèles et les ré-importations

(à noter : le Maroc s’était déjà ôté la possibilité de recourir aux importations parallèles dans sa législation sur la propriété intellectuelle)

L’ALE entre le Maroc et les Etats-Unis comprend une mesure qui apparaît dans d’autres accords mais pas dans l’accord avec l’Amérique centrale. Celle-ci aura pour effet d’interdire les importations parallèles et les réimportations de produits pharmaceutiques.

D’après l’accord ADPIC, les pays sont absolument libres d’utiliser les importations parallèles. Pour les produits pharmaceutiques, les importations parallèles impliquent l’importation, sans le consentement du détenteur du brevet, de produits brevetés qui ont été mis sur le marché d’un autre pays.

Les importations parallèles permettent aux pays d’acheter sur le marché mondial un produit breveté à son meilleur prix. Dans le cas des produits pharmaceutiques, les compagnies peuvent vendre un même produit à des prix différents selon les pays. Avec les importations parallèles, les pays peuvent, tout en respectant le brevet, chercher à acheter un médicament sur le marché mondial ou au moins dans des pays ayant un niveau économique comparable et réaliser ainsi des économies significatives.

Aux Etats-Unis, l’importation parallèle de produits pharmaceutiques est communément appelée « réimportation ». La réimportation de produits pharmaceutique n’est pour le moment pas permis aux Etats-Unis, mais la législation est en instance de la légaliser. Les soutiens de la société civile pour la réimportation sont forts, et les États fédéraux qui voudraient obtenir des médicaments moins chers en les achetant au Canada lui sont de plus en plus favorables.

L’une des stratégies qu’explorent les compagnies détentrices de brevets afin de contrecarrer l’importation est de passer des contrats avec les acheteurs de leurs produits qui les empêchent de revendre ces produits. Ainsi, par exemple, dans le contrat que disons Pfizer passe avec une pharmacie canadienne figure une mention qui interdit à la pharmacie de revendre le produit aux Etats-Unis ou pour les Etats-Unis. Si ces contrats peuvent être appliqués alors même si les Etats-Unis décident de légaliser les réimportation de médicaments, les compagnies détentrices de brevets auront un outil pour tenter d’y parer.

L’article 15.9.4 de l’ALE entre le Maroc et les Etats-Unis impose aux pays d’interdire les réimportations (ou les importations parallèles de produits brevetés). Une note dit que cette interdiction pourrait être limitée aux cas ou les détenteurs de brevet mettent des restrictions sur l’importation dans le cadre de contrats ou d’autres moyens - mais l’ajout de cette note n’impose pas aux compagnies de se limiter à ces cas.

La décevante « lettre d’entendement »

Joint à l’accord de libre échange figure une lettre « d’entendement » entre le représentant du commerce américain, Robert Zoellick, et un représentant du gouvernement marocain (qui n’est pas cité).

Cette lettre prétend expliquer que les mesures sur la propriété intellectuelle de l’accord de libre échange n’affecteront pas les efforts nationaux fait pour assurer l’accès aux médicaments de tous. En réalité cette lettre n’apporte aucun « soulagement » face aux lourds tribus imposés par l’accord lui-même.

Le second paragraphe de la lettre « confirme une compréhension partagée par les deux gouvernements sur le chapitre 15 (sur la propriété intellectuelle) comme suit : »
« la mise en application des mesures du chapitre 15 de l’accord n’affecte pas la capacité de chacune des parties de prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé publique et promouvoir l’accès aux médicaments pour tous. Ceci concernera en particulier les cas tels que le sida, la tuberculose, la malaria et les autres épidémies, de même que les circonstances d’extrême urgence ou d’urgence nationale. »

Les intentions sont nobles, mais cette lettre risque de ne faire aucune différence concrète dans l’application de l’accord.

Tout d’abord, cette lettre est clairement subordonnée aux termes de l’accord lui-même puisque qu’elle est un ajout à l’accord mais n’est pas incluse au texte.

Ensuite, cette lettre se réfère aux mesures « nécessaires » pour protéger la santé publique. En langage commercial international, « nécessaire » est souvent un terme très limité. Une mesure peut être « nécessaire » pour promouvoir la santé publique seulement si il n’y a aucun autre moyen d’atteindre et objectif, même si les alternatives ne sont pas politiquement et économiquement viables.

Enfin, et c’est le point le plus important, cette déclaration ne prétend pas

a) modifier le chapitre sur la propriété intellectuelle du l’accord ;

b) créer un exception aux termes de l’accord qui pourrait être en conflit avec l’objectif de promouvoir l’accès aux médicaments pour tous.

Cette lettre donne seulement une description de la « compréhension » de l’impact que l’accord va avoir.

Mais en fait, comme ces commentaires le suggèrent, une telle « compréhension » est en contradiction avec les termes mêmes de l’accord qui aura pour effet de retarder l’introduction d’une compétition générique peu chère, de bloquer les possibilités des pays de délivrer des licences obligatoires pour des produits pharmaceutiques, et même d’interdire le recours aux importations parallèles de produits pharmaceutiques. Au mieux, cette lettre « d’entendement » peut être utilisé pour formuler des interprétations de l’accord, et pour défendre des interprétations pro-santé - mais pas pour passer outre des dispositions spécifiques qui sont clairement délétères pour la santé publique et pour l’objectif de rendre les médicaments accessibles à tous.

Imaginons des approches alternatives qui pourraient avoir un effet plus substantiel. Une première alternative aurait tout simplement pu être de ne pas inclure ces lourdes dispositions en matière de propriété intellectuelle puisque leur objectif est précisément de retarder l’introduction de génériques. Ou encore, le chapitre sur la propriété intellectuelle aurait pu être exclu tout entier, puisque le Maroc comme les Etats-Unis sont membres de l’OMC, et sont tenus de respecter les termes de l’accord ADPIC.

Une seconde alternative aurait pu être d’ajouter au texte de l’accord un paragraphe créant une exception sanitaire claire : « chaque partie peut apporter une exception à n’importe laquelle des dispositions de ce chapitre dès lors qu’en pratique il entre en conflit avec l’objectif supérieur de santé publique qui est de promouvoir l’accès aux médicaments pour tous. » Une telle alternative, ou une variante de ce type, serait reste néfaste - puisque les règles implicites incorporées dans l’accord resteraient les dispositions qui peuvent s’imposer et retarder l’accès aux génériques ou bloquer les importations parallèles - mais au moins cela aurait attesté d’une sincérité à donner aux pays des flexibilités dans le cadre de l’accord pour répondre aux considérations de santé publique.

Le troisième paragraphe de la lettre « d’entendement » établit que, si l’accord ADPIC est amendé, les parties peuvent entrer en consultation pour adapter l’accord convenablement. Ceci renvoie sans doute à un possible amendement de l’accord ADPIC afin d’incorporer la décision de dérogation concernant la mise en œuvre le paragraphe 6 de la déclaration de Doha (qui concerne la possibilité pour les pays d’exporter plus de 50% des produits pharmaceutiques qui sont produit sous licence obligatoire de façon à répondre à des besoin de santé public dans le pays importateur). Parce qu’il n’y a pas de limites aux licences obligatoires dans l’accord de libre échange, une révision de l’interdiction comprise dans l’accord ADPIC d’exporter plus de la moitié de la production des produits pharmaceutiques produit sous licence obligatoire ne devrait pas nécessité de changement dans l’accord de libre échange. Cependant, une licence obligatoire effective nécessiterait des changement dans le schéma de protection des données prévu par l’accord de libre échange (au contraire, les conditions de protection minimale des données prévues par l’accord ADPIC ne demande pas de révision). La volonté des parties de créer des exceptions même limitées de ces dispositions qui permettent les dispositions sur l’exportation du paragraphe 6 de fonctionner sont peu claires.

Conclusion : rejet de l’accord de libre échange

Malheureusement, les dispositions prévues par l’ALE entre le Maroc et les Etats-Unis suivent le modèle de l’accord avec l’Amérique centrale et d’autres accords bilatéraux précédemment conclus.

Contrairement aux impressions trompeuses que donne la lettre « d’entendement », l’accord aura sans aucun doute pour effet de saper l’objectif de santé publique d’assurer l’accès aux médicaments pour tous.

Les représentants du commerce américains ont pour mission d’imposer des dispositions ADPIC+ partout dans le monde à travers la signature d’accord bilatéraux sur le commerce. Les conséquences en seront plus de morts et de souffrance. L’impact se fera d’ailleurs également sentir pour les malades aux Etats-Unis sur les questions de réimportation.
Les termes que posent les Etats-Unis sont dangereux et meurtriers. C’est pourquoi tout les accords qui les comprennent, et notamment l’accord Maroc/Etats-Unis, devraient être refusés.

Rob. Weissman


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