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Bataille Europe - Afrique sur le front de la faim

Ouest France | lundi 07 juillet 2008

Bataille Europe - Afrique sur le front de la faim

Dans la dramatique crise des prix alimentaires qui vide les assiettes des pays pauvres, il y a ce que l’on voit depuis trois mois : les émeutes de la faim suivies de promesses. Et il y a ce qui se passe en coulisses : comme la bataille sur les « Accords de partenariat économique » (APE), qui oppose l’Union européenne aux soixante-seize pays les plus pauvres du monde, peuplés des 750 millions d’habitants, les pays dits ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique), autrefois colonisés.

« Camisole de force »

Là-bas, les journaux parlent tous les jours de ces accords APE, maintes fois dénoncés aussi la semaine dernière, à Nantes, lors de l’Université d’été des ONG de développement (1). Fin 2007, alors que les prix alimentaires flambaient déjà depuis des mois, les très libéraux négociateurs de l’Union européenne ont voulu arracher des accords : « La pression a été considérable, l’Union a menacé de taxer davantage les importations venant de ces pays. Elle a été appuyée par les grandes entreprises européennes ayant investi là-bas », accuse Jean-Denis Crola, d’Oxfam France - Agir ici, qui a décortiqué les trente-cinq accords obtenus ainsi sous la menace.

Ces pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique, vont notamment devoir supprimer leurs taxes sur « 80 à 98 % des marchandises importées chez eux ». Si les accords couvrent industrie, services, investissements, propriété intellectuelle..., le cas de l’agriculture est bien sûr le plus sensible : « L’ouverture aux importations en provenance d’Europe évince les cultures vivrières locales », insiste Jean-Denis Crola.

En fait, l’Afrique n’est pas autorisée à protéger son agriculture comme les autres l’ont fait auparavant et le font encore. Et on estime aussi qu’elle n’a pas besoin non plus d’un Marché commun comme le nôtre : en contournant les négociateurs régionaux pour discuter pays par pays, l’Europe a torpillé, en décembre, les marchés régionaux naissants.

Quarante et un pays ont cependant résisté à cette « camisole de force », comme a dit le président du Sénégal, Abdoulaye Wade. Cas d’école. L’Europe, dont les bateaux ont surexploité durant trente ans les zones de pêche sénégalaises, exige que les compagnies de pêche européennes s’installent librement au Sénégal, explique Actionaid (alliée en France à Peuples Solidaires). En rappelant que « le nombre des pirogues sénégalaises est tombé de 10 707 en 1997 à 5 615 en 2005 », ce qui a poussé les pêcheurs à émigrer vers l’Europe...

Partenariat mondial pour l’agriculture

Aujourd’hui, l’Europe va-t-elle enfin relâcher sa pression ? Nicolas Sarkozy, qui a fait de l’immigration l’une des priorités de sa présidence de l’Union, a plaidé, dès les émeutes d’avril, pour la souveraineté alimentaire des pays du Sud. Lors de son discours à Dakar, en juillet 2007, jugé condescendant et mal pris par les Africains, le président français a, certes, vanté la vocation exportatrice de nos multinationales, dont celle de son ami Vincent Bolloré, mais il a envoyé d’autres signaux qui ont satisfait les ONG.

Il a demandé à la députée de gauche guyanaise, Christiane Taubira, un rapport sur les APE : celle-ci vient de le rendre et elle demande que ces accords « servent le développement des pays ACP et non les intérêts commerciaux de l’Europe ». Nicolas Sarkozy a créé aussi un Groupe interministériel sur la sécurité alimentaire auquel participe Ambroise Mazal, du CCFD (Comité catholique contre la faim et pour le développement). « Lors du sommet de la FAO (NDRL Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), à Rome, le 5 juin, dit-il, Sarkozy a proposé la seule initiative originale : un partenariat mondial pour l’agriculture et le développement. Et c’est la seule proposition concrète attendue au G8, au Japon. »

Nicolas Sarkozy va-t-il réussir à concilier le libéralisme de l’Union et de ses amis avec la souveraineté alimentaire réclamée par les Africains et les ONG ? Le G8 sera à observer de près. Même s’il faudra se méfier des promesses. Il y a trois ans, le G8 avait promis de doubler l’aide à l’Afrique. Un engagement sans lendemain...

Michel ROUGER.

(1) Organisée par le Centre de recherche et d’information pour le développement (Crid), elle a réuni plus de 800 militants et spécialistes de 90 ONG.


 source: Ouest France