Carlos Vicente : un « homme-arbre »
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by GRAIN et bilaterals.org, 25 mars 2021
GRAIN et bilaterals.org ont l’immense tristesse de vous faire part de la mort de notre frère, camarade et collègue Carlos Vicente. Le 14 mars 2022, Carlos Vicente, membre depuis plus de 20 ans de l’équipe GRAIN en Amérique latine, s’est allongé pour se reposer et ne s’est jamais réveillé. Malgré notre profond chagrin, c’est avec beaucoup de gratitude que nous tenons à rendre hommage à tous ces moments de partage avec Carlos, à son immense contribution au sein de GRAIN et aux problématiques auxquelles nous nous consacrons. Certains disaient de lui qu’il était un « homme-arbre », ou un « arbre-homme » à l’ombre duquel il faisait bon se rafraîchir, dans le réconfort de ses bras et de ses mots. Carlos était et restera pour nous un guide, une belle personne et un militant fidèle des luttes paysannes et écologistes. Tout ceci rendait sa présence parmi nous exceptionnelle.
Carlos a rejoint GRAIN début 2001. À cette époque, il travaillait activement sur les plantes médicinales à Rosario, en Argentine et était en lien avec différents groupes avec lesquels nous construisions des réseaux autour de l’agroécologie, des droits des paysans et de la souveraineté alimentaire.
Ses classes de militantisme politique, Carlos les a faites en tant qu’opposant à la dictature en Argentine. Lorsqu’il a rejoint nos travaux contre la mainmise des multinationales sur les semences, Carlos était déjà très impliqué dans la production de la revue Biodiversidad. Pour lui, cette revue était un outil afin de mettre en lien des organisations et des mouvements, et il s’en servit de point de départ pour bâtir une puissante coalition à l’échelle régionale : Alianza Biodiversidad. Avec sa vitalité, son affection et son esprit fraternel, la construction de mouvement semblait être un jeu d’enfants. Carlos était un fédérateur.
Sous sa direction, la revue Biodiversidad est devenue un puissant vecteur des luttes et points de vue des mouvements sociaux sur la biodiversité en Amérique latine et au-delà. Son contenu met l’accent sur la manière dont les communautés prennent soin de la biodiversité, défendent leurs territoires et moyens d’existence, leur souveraineté alimentaire, ce que la souveraineté alimentaire signifie pour elles, quels acteurs œuvrent à l’anéantir, pourquoi et comment riposter. La revue est devenue une référence dans la façon dont les communautés elles-mêmes y contribuent, l’utilisent et se l’approprient.
Alianza Biodiversidad est devenue une plateforme politique d’influence en Amérique latine pour toutes les questions en lien avec la biodiversité : semences, brevets, OGM, systèmes de savoirs autochtones, jeunes, aînés, santé, accords de libre-échange, économies alternatives et de très nombreuses autres problématiques. Bien qu’il fût discret, Carlos n’en était pas moins le moteur de cette plateforme au quotidien.
Carlos a joué un rôle déterminant dans la création de bilaterals.org et a été au cœur du projet pendant de nombreuses années. Il a demandé et mené la création de la version espagnole du site, qui a été lancée fin 2004. Il l’alimentait quotidiennement en nouvelles des importantes luttes contre les accords de libre-échange et les traités bilatéraux d’investissement en Amérique latine. Ce sont des luttes dont les groupes de nombreuses autres régions du monde ont beaucoup appris. À partir de 2010 environ, Carlos a commencé à partager la responsabilité du contenu du site pour l’Amérique latine avec l’équipe d’Acción por la Biodiversidad en Argentine. Depuis 2019, il a été moins actif sur le site, tandis qu’Acción por la Biodiversidad (une ONG basée en Argentine qu’il a cofondée) a repris son rôle. Mais il a continué à contribuer directement à l’activisme local contre les accords de libre-échange en Amérique latine, car ils sapent les luttes des communautés locales pour la souveraineté alimentaire.
Carlos a joué un rôle majeur dans le développement de farmlandgrab.org et, par le biais d’Acción por la Biodiversidad, il a contribué à la création de biodiversidadla.org, qui devint bientôt un outil d’information de premier plan en Amérique latine. Carlos avait un don pour sélectionner les informations importantes et les communiquer aux bonnes personnes, façonnant ainsi l’action collective. Il avait par ailleurs une connaissance approfondie des sujets et œuvrait sans relâche à transmettre informations et analyses aux mouvements sociaux et au grand public, par différents moyens : ateliers, radio, livres, vidéos, réseaux sociaux, etc.
Carlos a fourni un appui inestimable à la Coordinadora Latinoamericana de Organizaciones del Campo (CLOC), la Coordination latinoaméricaine de La Vía Campesina. Tout le monde sait que la CLOC et La Vía Campesina étaient les mouvements sociaux les plus importants aux yeux de Carlos. En tant que membre de GRAIN, il travaillait en étroite collaboration avec la CLOC. Par le biais de ses travaux, Carlos a fait de GRAIN un proche allié de la CLOC et de ses membres tels que ANAMURI ou MNCI, pour ne citer qu’eux.
Chez GRAIN, Carlos était apprécié pour ses principes politiques, son éloquence et sa capacité à expliquer clairement les problématiques ou décisions à prendre, en particulier s’agissant d’actions à mettre en œuvre – par exemple la lutte contre le patriarcat, les stratégies de communication ou l’établissement de liens entre organisations. À cet égard, Carlos était un membre estimé et écouté au sein de l’équipe. Sa présence et sa sagesse rayonnaient sur son entourage. Carlos nous aidait à donner le meilleur de nous-mêmes et était un véritable modèle pour la nouvelle génération au sein de l’équipe.
Son goût prononcé pour l’histoire n’en faisait pas moins un homme tourné vers l’avenir, qui fut à l’initiative d’importants processus de transition au sein des organisations dont il était membre.
Mais Carlos était aussi bien plus que cela. C’était un amoureux de la vie, qui aimait voyager et qui aimait les gens. Ceux qui l’ont connu de près le considéraient comme un frère. C’était quelqu’un de solaire, plein de vie.
À 64 ans, Carlos nous a quittés trop tôt. Nous lui serons pour toujours reconnaissants d’avoir pu compter sur sa présence, son talent et son amitié à toute épreuve. Collègue agréable, d’un optimisme sans faille, Carlos a façonné GRAIN et laisse derrière lui une empreinte indélébile.
Nos pensées les plus chaleureuses vont à Ingrid, Lucía, Ailín, Juanfri ainsi qu’à toute sa famille et tous ses amis. Dans notre peine, rappelons-nous que Carlos a eu un effet immense sur de très nombreuses luttes populaires, dont il savait qu’elles ne représentent en fin de compte qu’une seule et même lutte. Il a quitté son corps pour devenir semence, lui qui, pour tant de personnes, luttes, organisations, territoires, communautés, champs et rivières, a été une semence de vie, d’effort, d’initiative, d’appui, d’accueil. Son héritage perdure dans les écoles d’agroécologie et les mouvements sociaux de toute l’Amérique latine et du monde entier.
