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Commerce: Macron désormais opposé à l’accord avec le Mercosur

Photo: REUTERS/Bruno Kelly

Mediapart | 23 août 2019

Commerce: Macron désormais opposé à l’accord avec le Mercosur

PAR LUDOVIC LAMANT ET ELISA PERRIGUEUR

À la veille du G7 de Biarritz, Emmanuel Macron
a menacé, vendredi 23 août, de bloquer l’accord
commercial avec le Mercosur, dans l’espoir de faire
pression sur le président du Brésil, Jair Bolsonaro. Le
même texte qu’il défendait sans détour en juin dernier.
Alors que des feux de forêt prennent de l’ampleur en
Amazonie, Emmanuel Macron a fait savoir vendredi
23 août qu’il s’opposait – « en l’état » – à l’accord
négocié entre l’UE et les pays du Mercosur (Argentine,
Brésil, Paraguay, Uruguay).

Les négociations de cet accord, menées depuis 2000
par la Commission européenne et plusieurs fois
interrompues, avaient abouti en juin 2019. « Le plus
grand accord commercial jamais conclu par l’UE »,
s’était félicité le président de la Commission, Jean-
Claude Juncker. À l’époque, le chef de l’État français
avait parlé d’un « bon accord […], du fait que
toutes les demandes que nous avions formulées ont été
intégralement prises en compte par les négociateurs
», tout en assurant qu’il resterait « vigilant ».

Le soutien initial de Paris à cet accord ignorait les
mises en garde de la société civile, pourtant très
remontée contre ce projet commercial. Pas moins de
340 ONG avaient plaidé, en juin, pour la suspension
immédiate des négociations avec Brasila et ses voisins,
en raison de la politique de déforestation mise en place
par Jair Bolsonaro, le président brésilien. En vain.
Comme l’avait expliqué Jean-Baptiste Lemoyne,
secrétaire d’État au commerce, lors d’un débat
filmé dans les locaux de Mediapart en juin, le pari
des autorités françaises était le suivant : utiliser
ces négociations commerciales comme un instrument
pour peser sur la politique de Jair Bolsonaro, pour qu’il
respecte l’accord de Paris et ne soit pas tenté d’imiter
Donald Trump, qui en a sorti son pays.

Mais la donne a semble-t-il changé au cours du mois
d’août. « Le président de la République ne peut que
constater que le président Bolsonaro lui a menti lors
du sommet d’Osaka [le G20 organisé au Japon en
juin dernier – ndlr] », a expliqué une source proche
du chef d’État à l’AFP. « Les décisions et propos du
Brésil ces dernières semaines montrent bien que le
président Bolsonaro a décidé de ne pas respecter ses
engagements climatiques ni de s’engager en matière
de biodiversité », a-t-elle ajouté.

L’eurodéputé LREM Pascal Canfin, ex-écologiste,
s’est félicité d’une « décision juste et nécessaire »
du chef de l’État, tandis que Christiane Lambert, à
la tête de la FNSEA, syndicat agricole, parle d’une «
décision de sagesse ». Sur son compte Twitter géré
par sa Fondation, Nicolas Hulot parle, lui, d’une «
première étape essentielle » : « Elle doit être suivie de
sanctions commerciales interdisant les importations
de produits agricoles brésiliens pour tenter de stopper
la déforestation. » Les députés nationaux et européens
de La France insoumise, eux, ont raillé la « naïveté
» d’Emmanuel Macron depuis le début de l’été : «
Seul Macron pouvait imaginer que Bolsonaro était
écologiste. »

Du côté des ONG, les premières réactions sont très
prudentes. « Emmanuel Macron a toujours soutenu,
jusqu’à présent, le traité avec le Mercosur. On
verra si, pour une fois, il passe du discours aux
actes, avance Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac,
interrogée par Mediapart au contre-sommet du G7 à
Irún, en Espagne. C’est bien beau de s’y opposer, mais
il faut voir ce qu’il dira lors des prochains conseils
européens [à Bruxelles]. »

« Au même moment, Macron soutient à mort la
signature du Ceta [l’accord avec le Canada, adopté
en juillet par l’Assemblée nationale, et qui doit encore
passer devant le Sénat – ndlr], qui est un accord
“climaticide”. Il détourne l’attention, poursuit-elle.
S’il veut être crédible face à Bolsonaro, il devrait
d’abord faire lui-même une politique de transition
énergétique, une politique écologique. »

« Les mots sont forts. C’est une déclaration
importante. Mais il faut rester prudent. Ce n’est
pas la première fois que des voix s’élèvent avant la
signature d’un accord important, réagit, de son côté,
Nicolas Roux, porte-parole des Amis de la Terre, lui
aussi à Irún. Il faut attendre de voir. On peut par
exemple prendre le cas de l’Alena en 1993. À l’époque,
beaucoup avaient dénoncé l’accord. Il a tout de
même été signé. » Durant sa première campagne
présidentielle, Bill Clinton s’était opposé à l’Alena. Il
jugeait notamment, à l’époque, que le texte manquait
de garanties pour l’environnement.

La prise de position d’Emmanuel Macron intervient à
la veille de l’ouverture du G7 de Biarritz samedi 24
août, où les incendies de l’Amazonie se sont invités
au programme. Cette conférence n’est pas l’enceinte
appropriée pour discuter de la politique commerciale
de l’UE, encore moins pour prendre une décision
formelle sur le sujet. Mais elle pourrait permettre
au couple franco-allemand d’afficher une position
commune sur ce dossier sulfureux.

Contrairement aux éléments de langage de l’Élysée,
Paris n’est pas la première capitale à s’inquiéter
de l’inaction de Bolsonaro face aux incendies en
Amazonie. Le 18 août, l’Allemagne et la Norvège
avaient bloqué un fonds destiné à financer des projets
de préservation de la forêt amazonienne. Ils ont ainsi
suspendu 60 millions d’euros de dons destinés au
Brésil, en raison de la déforestation encouragée par
Bolsonaro.

Dans la foulée du Tweet d’Emmanuel Macron
constatant que « notre maison brûle », le porte-
parole d’Angela Merkel a affirmé, ce vendredi, que
la chancelière allemande partageait exactement les
inquiétudes du président français. Depuis le Brésil,
Bolsonaro s’est insurgé contre une forme de «
mentalité colonialiste qui n’est pas appropriée au XXIe
siècle ».

De son côté, le chef du gouvernement irlandais, Leo
Varadkar, est le premier à avoir dit, ce vendredi, que
son pays ne pourrait « en aucun cas » ratifier le traité
commercial avec le Mercosur si Bolsonaro ne respecte
pas les engagements commerciaux pris à l’accord de
Paris.

Varadkar s’en est aussi pris aux déclarations «
orwelliennes » de Bolsonaro, qui avait laissé entendre
que les ONG brésiliennes étaient responsables des
feux de forêts des dernières semaines. « Il n’est pas
question que l’on dise aux agriculteurs irlandais et
européens qu’ils doivent utiliser moins de pesticides
et d’engrais […] si nous ne parvenons pas à conclure
des accords commerciaux qui intègrent des standards
environnementaux et salariaux décents », a poursuivi
l’Irlandais.

Ces déclarations offensives de Paris et Dublin, en
attendant de connaître la position d’Angela Merkel,
ne signifient pas la mort du traité commercial avec
le Mercosur. Il doit encore être ratifié par les États
membres et adopté par le Parlement européen. Il reste
à voir si Macron décidera, par exemple, d’inscrire
le sujet au menu du prochain Conseil européen, cet
automne, à Bruxelles.

Des menaces en matière commerciale se sont déjà
avérées productives par le passé, mais elles n’ont
quasiment jamais entraîné le rejet d’un accord déjà
négocié. Sous la pression du Parlement européen,
qui rechignait à ratifier l’accord commercial sur la
table, le Vietnam s’est par exemple trouvé contraint
de ratifier certaines conventions de l’Organisation
internationale du travail (OIT), en juin dernier.

Mais il est encore bien trop tôt pour savoir si cette
stratégie peut porter ses fruits avec un chef d’État
autoritaire comme Bolsonaro. D’autant que Paris, en
matière de déforestation, n’est pas forcément le mieux
placé pour tancer les autres. Si le projet Montagne
d’Or, cette vaste mine d’or au cœur de la forêt
amazonienne en Guyane française, semble mal en
point, d’autres permis de recherche minière ont été
récemment accordés par l’administration française.
Dernier en date, le 3 août : la société Sands Ressources
s’est vu accorder un permis portant sur 5 000 hectares
de forêt.

Sollicitée par Mediapart, la Commission européenne
n’avait pas souhaité, vendredi en fin journée, réagir
officiellement aux mises en garde de Paris et Dublin
sur l’avenir du traité avec le Mercosur.


 Fuente: Mediapart