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Dépourvue de métaux stratégiques, l’UE parie sur le libre-échange pour s’en procurer

La Tribune | 22 décembre 2022

Dépourvue de métaux stratégiques, l’UE parie sur le libre-échange pour s’en procurer

Incapable d’extraire des ressources minières suffisantes, distancée par la Chine et les Etats-Unis, l’Union européenne compte multiplier les accords de libre-échange en 2023 avec les pays dotés de minerais et de métaux stratégiques, à l’image du traité signé en décembre avec le Chili. Mais dans ces pays, les industriels européens devront surmonter une vive concurrence pour se fournir

Alors que la mondialisation se fissure, l’Europe demeure partisane du libre-échange. Le 12 décembre, la Commission européenne et le gouvernement chilien ont scellé un nouvel accord de libre-échange, soit une mise à jour d’une première version signée en 2002. Bruxelles n’entend pas s’arrêter là. Le vice-président de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis, dit vouloir établir un accord similaire avec le Mexique prochainement.

A la faveur du retour aux affaires du président brésilien Lula, les discussions commerciales ont également repris avec les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) en vue d’un traité de libre-échange. De l’autre côté du Pacifique, l’Australie, qui a jeté un froid dans ses relations avec le Vieux Continent en signant l’accord militaire AUKUS, espère toutefois faire aboutir ses négociations avec Bruxelles mi-2023.

Autant de pays dont le sol regorge de minerais et métaux cruciaux dans la transition énergétique notamment vers l’automobile électrique : lithium, cobalt, nickel, terres rares ou encore du cuivre. Début septembre, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen a esquissé un plan pour que l’Europe constitue des « réserves stratégiques » de ces ressources qui « seront bientôt plus importantes encore que le pétrole et le gaz » tant leur consommation va exploser. Les besoins en terres rares et en cobalt vont être multipliés par 3 d’ici à 2030 à travers le monde, et par 5 pour ce qui est du lithium.

L’UE veut accélérer

« L’UE a insisté pour sceller rapidement l’accord avec le Chili, et compte en conclure d’autres à commencer par l’Australie. Dans les deux cas, la question de l’accès aux minerais stratégiques est centrale. L’UE veut couvrir 70% de ses besoins en batteries en 2030 et veut sécuriser ses approvisionnements comme le fait la Chine, même si elle part de beaucoup plus loin. Sa politique commerciale devient plus offensive, mais pas protectionniste comme celle des Etats-Unis et de la Chine », constate Elvire Fabry, experte de politique commerciale à l’Institut Jacques Delors.

Comme sur d’autres aspects de souveraineté, la guerre en Ukraine confronte l’Europe au retard accumulé sur l’approvisionnement en ressources stratégiques, naturelles ou industrielles. Le sevrage du gaz russe rappelle qu’il n’y a pas d’industrie sans matières premières, qu’il s’agisse de faire tourner les usines ou de fabriquer leurs produits. Le sous-sol de l’Europe présente pourtant certains filons de minerais exploitable, au moment où les Européens ambitionnent de bâtir 38 gigafactories.

Mais le manque d’acceptabilité sociale, d’espace, et les normes locales bien plus exigeantes qu’ailleurs dans le monde font que les volumes extraits resteront « marginaux » selon une étude de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Son titre « David contre Goliath : l’Europe face à l’enjeu des métaux et des minerais stratégiques » donne la mesure de la tâche à accomplir.

Les matières premières, impensé de la politique industrielle européenne

« Les matières premières sont l’impensé des politiques industrielles européennes qui se disent depuis des années "le marché pourvoira". Il n’y a pas de stratégie de long-terme », note Raphaël Danino-Perraud, chercheur associé à l’IFRI et spécialiste de la géopolitique des matières premières.

Or, le marché pourvoit de moins en moins. La ruée vers l’or bleu du XXIe siècle qu’est le lithium laisse les entreprises européennes en queue de caravane. « Depuis un an, il y a de fortes tensions sur le marché des minerais. Les grandes entreprises européennes comme Volkswagen ont eu des mauvaises surprises. Glencore (groupe suisse, leader mondial de la production de minerais) leur dit "il y a douze clients devant vous, faites la queue" », raconte Raphaël Danino-Perraud, qui juge que l’accord scellé avec le Chili et celui en gestation avec le Mexique vont dans le bon sens.

De tels traités garantissent un cadre légal plus ouvert et un meilleur accès au marché chilien ou mexicain. Lesquels restent des marchés, synonymes d’une concurrence avec des acteurs aussi incontournables qu’installés. Le Chili, qui produit 25% du lithium brut dans le monde, dispose déjà d’accords de libre-échange avec les Etats-Unis et la Chine, son premier client dont les capitaux irriguent l’industrie minière chilienne. Les industriels européens qui vont chercher à y prendre pied seront confrontés à des géants. Aucune multinationale de l’UE ne figure parmi les dix premières compagnies minières du monde. Même dans l’UE à l’horizon 2030, les fournisseurs européens n’approvisionneront que 20% à 30% des besoins en métaux rares.

Néanmoins, les pays extracteurs voient d’un bon œil la sollicitude de l’UE. Le Chili, dont la Chine est le premier partenaire, a besoin de diversifier ses échanges pour ne pas se retrouver pris en étau entre Washington, dont il est aussi très proche économiquement, et Pékin. Échaudée par les tensions avec la Chine, qui possède de nombreuses participations dans son économie et son industrie minière, l’Australie aspire aussi à élargir son portefeuille de clients. Plus que de simples commandes, les Européens pourraient également apporter leurs capitaux.

Amérique latine et Australie : des fournisseurs lointains

« Pour sécuriser son approvisionnement, l’Europe a besoin d’un fonds d’investissement pour aider les acteurs à prendre des participations minoritaires dans des sites de production de lithium en Amérique latine, en Afrique ou ailleurs », préconise l’ancien président de France Industrie Philippe Varin, qui prône dans un rapport remis au gouvernement en janvier « une véritable diplomatie des métaux ». Domaine dans lequel les Chinois ont selon lui « vingt ans d’avance ».

Les Américains n’ont pas jeté leur pelle non plus. « Les Etats-Unis sont aussi plus avancés et mieux armés que les Européens. Ils connaissent mieux leur sol, ont plus d’espace avec une industrie minière plus développée qui ne s’est jamais vraiment arrêtée sur leur sol. Dans leur voisinage, ils ont accès aux minerais du Canada et du Mexique », insiste Raphaël Danino-Perraud de l’IFRI.

Le chercheur appelle également les Européens à privilégier des filières d’importation de minerais plus proches que la lointaine Australie. L’heure n’est pas au doux commerce, et les flux transocéaniques sont plus vulnérables aux aléas géopolitiques. A proximité, les Balkans, l’Asie centrale ou l’Afrique disposent aussi de riches sous-sol capables d’alimenter l’UE.

« Bruxelles conclut également des accords ad hoc avec la Namibie, le Kazakhstan, qui n’impliquent pas une ouverture réciproque des marchés. Ils sont plus ciblés sur l’approvisionnement en matières premières en échange d’investissements dans des infrastructures », souligne Elvire Fabry de l’Institut Delors.

Une manière d’éviter les interminables négociations commerciales sur le libre-échange, car le temps presse.


 source: La Tribune