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Évaluation à mi parcours des négociations de l’APE entre les régions ACP et l’Union européenne : Contribution indépendante des réseaux régionaux d’organisations paysannes

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EAFF | PROPAC | ROPPA | SACAU | WINFA

Évaluation à mi parcours des négociations de l’APE entre les régions ACP et l’Union européenne au titre de l’article 37.4 de l’Accord de Cotonou

Contribution indépendante des réseaux régionaux d’organisations paysannes

Note de synthèse des évaluations régionales

Document de travail
10 Décembre 2006

Résumé

1. Les réseaux d’organisations paysannes (OP) de cinq sous-régions ACP (Afrique australe, orientale, centrale, occidentale et région Caraïbes) ont procédé à leur propre examen à mi parcours de l’état d’avancement de la négociation de l’Accord de partenariat économique, en vue de contribuer à l’examen formel prévu à l’article 37.4 de l’Accord de Cotonou.

2. Les réflexions et commentaires des OP ont porté sur (i) l’analyse de la structure et du processus de la négociation ; (ii) l’analyse du contenu de la négociation, et (iii) l’analyse de la phase préparatoire à l’évolution du régime commercial.

3. L’examen que nous avons conduit traite spécifiquement des enjeux agricoles de la négociation des APE, mais partant de ces enjeux, aborde des questions plus générales, notamment : (i) la place de l’intégration régionale dans les dynamiques
de développement et de modernisation des agricultures familiales ; (ii) les liens entre commerce et développement ; (iii) l’articulation entre la négociation de l’APE et l’achèvement de la négociation multilatérale du Cycle de Doha ;

4. Les OP notent le retard accumulé dans la plupart des régions par rapport aux agendas retenus dans les feuilles de route conclues entre les Communautés économiques régionales et la Commission européenne. Elles estiment que ces retards sanctionnent (i) le profond déséquilibre des capacités humaines et institutionnelles entre les parties à la négociation ; (ii) la sous estimation de l’ampleur des réformes préalables à concevoir, négocier et mettre en oeuvre tant au niveau national que régional, pour créer les conditions d’une participation effective des régions ACP à un APE (Union douanière, tarif extérieur commun, politique de concurrence et d’investissement, mesures de facilitation des échanges, harmonisation des normes techniques, suppression des obstacles techniques au commerce, harmonisation des normes sanitaires et phytosanitaires, etc.) ; et enfin, (iii) les divergences de vues entre les ACP et la Commission européenne, sur certains points clés notamment sur le « contenu développement » de l’APE.

5. Nos organisations paysannes estiment qu’il serait extrêmement hasardeux d’accélérer de façon artificielle le processus formel de négociation pour boucler coûte que coûte la négociation dans les prochains mois et permettre une mise en oeuvre de l’APE aux dates prévues, le 1er janvier 2008.

6. Les OP rappellent que la plupart des régions ACP ne manquent pas de textes formels adoptés par les décideurs. Là où le bât blesse, c’est dans la mise en oeuvre effective de ces textes, notamment au niveau de la création des marchés régionaux intégrés : harmonisation des politiques publiques, suppression effective des entraves formelles et informelles aux échanges, application des tarifs harmonisés aux frontières, etc. Si l’APE se veut réellement un instrument de renforcement des processus d’intégration régionale, ils doivent avant tout prendre en compte ces blocages et y apporter des réponses avant d’envisager la libéralisation extérieure. Sinon, l’histoire récente enseigne que l’on ne construira pas des espaces d’intégration régionale mais des zones désintégrées, ingouvernables et instables, ouvertes aux échanges commerciaux mais aussi à tous les trafics.

7. Dans la plupart des régions, la négociation sur la libéralisation du commerce à proprement parler n’a pas réellement débuté : ampleur de la libéralisation, rythme, détermination des produits sensibles et traitement spécifique à leur réserver, etc.). C’est le sujet le plus critique de la négociation et c’est celui qui ne doit absolument pas être sacrifié sur l’autel des échéances. L’avenir des secteurs de production ACP, au premier rang desquels figure l’agriculture au regard de son rôle de premier plan dans l’emploi et les revenus, le PIB, le commerce extérieur, l’aménagement du territoire et la gestion des ressources naturelles, est directement dépendant des conditions de la libéralisation du commerce.

8. Pour le secteur agricole, les organisations paysannes mettent en avant six enjeux majeurs pour lesquels elles attendent des négociateurs qu’ils prennent la pleine mesure : (i) les enjeux liés à la création effective de l’Union douanière régionale et la mise en place des tarifs extérieurs communs ; (ii) les enjeux liés à l’amélioration de la compétitivité des agricultures ACP ; (iii) les
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enjeux liés à la libéralisation du commerce des produits agricoles et alimentaires importés depuis l’UE ; (iv) les enjeux liés à l’amélioration de l’accès aux marchés européens pour les exportations des ACP ; (v) les enjeux liés à l’évolution des recettes douanières et à la réforme de la fiscalité ; et (vi) les enjeux liés à l’alliance UE-ACP dans les négociations multilatérales.

9. Les organisations paysannes reconnaissent la nécessité de concevoir un nouveau régime commercial qui soit compatible avec les règles de l’OMC, afin de réduire les risques juridiques et sécuriser les opérateurs. Cependant elles mettent en avant plusieurs exigences : (i) le nouveau régime doit améliorer substantiellement l’environnement commercial et offrir des perspectives de développement tant aux pays PMA que non PMA ; (ii) la création d’une zone de libre échange avec l’UE est totalement inappropriée pour le secteur agricole compte tenu des écarts énormes de productivité et de compétitivité entre les ACP et l’UE, écarts amplifiés par les soutiens publics considérables dont bénéficie l’agriculture européenne ; (iii) le besoin de régulation, qui passe souvent par un certain niveau de protection, des agricultures compte tenu de l’imperfection des marchés, du caractère de « biens publics » du secteur alimentaire (sécurité alimentaire, protection de l’environnement et des ressources communes, etc.), et des aléas des conditions de production, tout particulièrement dans les pays ACP ; (iv) l’impérieuse nécessité de conclure au préalable le Cycle de Doha de façon à disposer d’un cadre multilatéral qui réponde clairement aux attentes des pays en développement et par rapport auquel les accords bilatéraux (comme les APE) pourront ensuite être mis en conformité.

10. En conclusion, nos réseaux d’organisations paysannes mettent en avant quatre priorités :

  • a. Donner la priorité à l’intégration régionale : le développement des marchés régionaux est une perspective plus porteuse en matière de lutte contre la pauvreté et de développement économique que la croissance hypothétique des marchés internationaux ;
  • b. Définir un régime commercial fondé sur l’asymétrie et l’équité : c’est la seule façon de réduire le fossé entre l’UE et les ACP et de donner un contenu réel au principe de traitement spécial et différencié, reconnu tant au niveau de l’OMC que de l’Accord de Cotonou. Cette asymétrie doit absolument conduire à exclure les produits agricoles sensibles, c’est à dire les produits importés de l’UE et concurrents des filières locales dans les régions ACP ;
  • c. Améliorer la participation des OP et des autres acteurs dans la préparation et la négociation de l’APE : cette participation est, au-delà des principes de démocratie retenus dans l’Accord de Cotonou, un gage de la pertinence des choix retenus et est indispensable à une mise en oeuvre effective des accords conclus ;
  • d. Se donner du temps et des moyens pour mieux se préparer : il s’agit à la fois de mettre en oeuvre les politiques régionales, d’améliorer l’appréciation des impacts de différents régimes commerciaux, de renforcer la capacité de chaque région (décideurs et acteurs de la société civile et du secteur privé) à définir une position de négociation conforme aux enjeux et aux intérêts de chaque région ACP, et à la tenir.

11. A cette fin, toutes les alternatives à l’APE doivent être envisagées et étudiées pour concevoir un environnement commercial résolument orienté vers des objectifs de développement durable. De nouvelles études d’impact, incluant les impacts environnementaux et sociaux, doivent être conduites dans chaque région, en y associant réellement les organisations paysannes.

12. Enfin, il convient de revoir le mandat de négociation (objectifs et structure) et d’envisager l’échéance de 2020 comme un jalon permettant de réaliser effectivement les ambitions et les défis de l’intégration régionale des économies, des échanges et des sociétés.


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