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Haro sur l’huile de palme importée en Suisse

Le Temps | 23 mars 2016

Haro sur l’huile de palme importée en Suisse

par Pascaline Minet

La négociation d’un accord commercial entre la Suisse et la Malaisie fait grincer des dents. Des ONG redoutent une augmentation des importations d’huile de palme, responsable de la destruction des forêts tropicales

Alors qu’un impôt écologique sur l’huile de palme va prochainement être introduit en France, les importations de cette matière première controversée pourraient au contraire être favorisées en Suisse. Elle figure en effet dans un accord de libre-échange en discussion entre la Malaisie, l’un des principaux producteurs, et la Suisse, dans le cadre de l’Association Européenne de Libre Echange (AELE).

Un tel accord exacerberait encore les problèmes liés à la production d’huile de palme, telle que la déforestation et des atteintes aux droits humains, dénoncent un groupement d’organisations. Le syndicat paysan Uniterre, la Fédération romande des consommateurs, le Fonds Bruno Manser de défense de la forêt tropicale, et d’autres, ont lancé ensemble une pétition réclamant l’exclusion de l’huile de palme de l’accord.

Le palmier à huile est la plante oléagineuse qui possède le plus fort rendement en huile par hectare. Son faible coût, sa bonne stabilité à la cuisson et son goût neutre expliquent que cette huile ait les faveurs de l’industrie : on en retrouve ainsi dans des produits aussi variés que des glaces, margarines, pâtisseries, shampoing et autres savons. D’environ 18 millions de tonnes en 1997, la production mondiale a grimpé à près de 70 millions de tonnes, d’après le ministère américain de l’agriculture. L’Indonésie et la Malaisie assurent 85% de la production mondiale.

Défrichage et feux de forêt

Mais la manière dont les palmiers à huile sont cultivés est décriée, rappelle la pétition. Des millions d’hectares de forêt tropicale ont déjà été défrichés afin de laisser la place à des plantations. Des espèces emblématiques comme l’orang-outan ou l’éléphant de Sumatra sont ainsi privés de leur lieu de vie. Le défrichage est par ailleurs traditionnellement effectué par brûlis, ce qui occasionne de gigantesques feux de forêts, responsables d’une pollution massive de l’air. « Accentués par le phénomène El Nino, les incendies de 2015 ont été parmi les pires jamais enregistrés », relate Denis Ruysschaert, sociologue à l’Université française de Toulouse-Le-Mirail et vice-président de Swissaid Genève.

« Les plantations sont souvent érigées sur des terres appartenant aux populations locales. Au Sarawak, l’un des deux Etats de Malaisie situé sur l’île de Bornéo, plus de 80 cas de violations de droit de la Terre ont été documentés », souligne encore Johanna Michel, responsable de campagne pour le Bruno Manser Fonds. Qui relève que l’emploi massif de pesticides dans les plantations (dont certains comme le Paraquat de Syngenta sont interdits en Europe) s’accompagne de problèmes de santé chez les ouvriers agricoles. Ces derniers sont enfin souvent employés dans de mauvaises conditions. « Certains sont des travailleurs immigrés illégaux dont les enfants ne sont pas scolarisés », relève Denis Ruysschaert.

La certification de l’huile de palme a échoué dans son objectif d’améliorer les conditions de production.

On peut s’étonner que le portrait de la filière demeure aussi sombre, alors que la plupart des problématiques liées à la production de l’huile de palme sont déjà connues depuis des années. Or diverses initiatives ont bien été lancées afin d’améliorer la situation, dont la principale est la Table ronde pour une huile de palme durable (RSPO en anglais). Créée en 2004 à l’initiative du WWF et de Migros, elle entend faire travailler ensemble ONG, industriels utilisateurs d’huile de palme et producteurs, afin de promouvoir des modes de culture durable. Un cinquième de la production mondiale est désormais certifié RSPO.

Accès au marché

« Mais cette certification a échoué dans son objectif de base d’améliorer les conditions de production pour tous les producteurs. Seuls quelques 70 très gros producteurs sont membres de la RSPO, et ils le font exclusivement pour conserver un accès au marché occidental. Le tarif auquel l’huile de palme durable est rétribuée est trop bas pour inciter davantage d’acteurs à investir dans la certification », estime Denis Ruysschaert, qui prépare une étude sur le sujet pour l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

« La RSPO est très largement soutenue par les acteurs du secteur et c’est le moyen le plus efficace pour que l’on parvienne à une production durable au niveau mondial », affirme au contraire Pierrette Rey, du WWF Suisse. Selon une enquête effectuée par cette association en 2013, 60% des entreprises interrogées en Suisse utilisaient de l’huile de palme certifiée, dans des proportions variables.

Au-delà de la controverse liée au mode de production de l’huile de palme, les associations à l’origine de la pétition s’inquiètent de l’impact que l’accord commercial avec la Malaisie pourrait avoir sur la production agricole helvétique. La Suisse importe en moyenne 35 000 tonnes d’huile de palme par année, dont la moitié environ en provenance de Malaisie, d’après le Secrétariat d’Etat à l’Economie (SECO).

« La suppression des droits de douane sur l’huile de palme prévue dans l’accord accentuerait la pression sur l’huile de colza indigène. Et cela alors que le Conseil fédéral veut favoriser le recours à l’huile de colza, en encourageant le développement de nouvelles variétés dont les caractéristiques conviennent mieux à l’industrie », s’étonne Valentina Hemmler Maïga, du syndicat paysan Uniterre. Riche en acides gras insaturés, dont les fameux oméga-3, l’huile de colza est aussi considérée comme plus saine que l’huile de palme.

Création d’emplois

Devant cette situation, les ONG demandent que l’huile de palme soit exclue de l’accord commercial avec la Malaisie, au moins jusqu’à ce que celle-ci ratifie les principales conventions internationales sur le travail et les droits humains. « Un accord avec la Malaisie ne peut être envisagé sans qu’une solution sur l’huile de palme, principal produit d’exportation du pays, ne soit trouvée », fait-on cependant valoir au SECO, en soulignant que la culture de l’huile de palme joue un rôle important en matière d’emploi et de lutte contre la pauvreté dans les zones rurales.

Le SECO indique encore que « le Conseil fédéral est conscient des problèmes écologiques et sociaux qu’engendre la production d’huile et s’engage à plusieurs niveaux sur cette question. » L’accord en discussion avec la Malaisie comporte ainsi des clauses visant à promouvoir une gestion durable des ressources forestières. Des propositions ont aussi été faites pour favoriser le développement de la certification RSPO dans le pays. Les parties envisagent de terminer leurs négociations avant la fin de l’année.


 source: Le Temps