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L’Accord de partenariat économique UE-Afrique de l’Ouest est absurde et criminel

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Photo/Jotay.net
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SOL | 9 mai 2016

L’Accord de partenariat économique UE-Afrique de l’Ouest est absurde et criminel

par Jacques Berthelot

Genèse de cette idée folle

Au lendemain des indépendances d’Afrique sub-saharienne (SSA), notamment des 16 Etats d’Afrique de l’Ouest (AO) – les 15 de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), et la Mauritanie –, tous d’anciennes colonies (à l’exception du Libéria), l’UE a maintenu les préférences commerciales non réciproques leur permettant d’y exporter 97% de leurs produits agricoles et 100% de leurs produits industriels tout en pouvant taxer leurs importations venant de l’UE, dans le cadre d’accords larges de coopération, dits Conventions de Lomé, de 1975 à 2000. Mais les 9 Etats d’Amérique latine (AL) exportateurs de bananes vers l’UE – Colombie, Equateur, Pérou, Costa Rica, El Salvador, Honduras, Guatemala, Nicaragua et Panama – ont poursuivi l’UE au GATT d’abord en 1993, puis à l’OMC à partir de sa création en 1995, où l’UE a été condamnée trois fois. La raison : ces pays en développement (PED) devaient payer des droits de douane (DD) à l’UE alors qu’elle importait à droits nuls les bananes venant des pays ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique), ce qui était contraire au principe de non-discrimination de l’OMC. Selon ce principe, si les pays développés peuvent accorder des préférences commerciales non réciproques aux PED, ils ne peuvent les discriminer selon un critère géographique mais ils peuvent le faire selon un critère de niveau de développement. D’où la mise en œuvre du "système de préférences généralisées" (SPG) bilatéral de l’UE depuis 1971 pour les PED – qui bénéficient de DD inférieurs d’environ 30% en moyenne aux droits normaux dits de la "nation la plus favorisée" (NPF) appliqués aux pays développés – et de droits nuls et sans quotas tarifaires (DFQF, duty free-quota free en anglais) appliqués aux "pays les moins avancés" (PMA), depuis la Décision "Tout sauf les armes" (TSA) de 2001.

L’UE a obtenu une dérogation de l’OMC pour prolonger les préférences non réciproques aux pays ACP de 1995 à 2001, ce qui l’a conduite à transformer les Conventions de Lomé en Accord de Cotonou le 23 juin 2000, dont le volet économique prévoyait la mise en place de 7 Accords de Partenariat Economique (APE) régionaux, dont 5 en Afrique sub-saharienne (ASS). Il s’agit d’Accords de libre-échange (ALE) où les pays ACP ne pourraient plus taxer 80% de leurs importations venant de l’UE qui elle-même ouvrirait son marché à 100% de ses importations venant des pays ayant signé des APE, sachant qu’elle l’avait déjà ouvert à près de 100% depuis longtemps. Comme les APE ne pouvaient être mis en place immédiatement, l’UE a obtenu une seconde dérogation à condition qu’ils deviennent effectifs à partir de janvier 2008.

Une première remarque est que l’UE n’a rien fait pour obtenir de l’OMC le droit de maintenir des préférences non réciproques avec les pays ACP compte tenu des différences dans les niveaux de développement entre les pays ACP, notamment d’AO, et ceux d’AL. En effet en 1995, le PIB moyen par habitant de 1294 $ des 9 pays d’AL exportateurs de bananes était 2,3 fois supérieur à celui moyen de Côte-d’Ivoire et du Ghana (560 $), seuls exportateurs de bananes d’AO vers l’UE. Et l’écart a augmenté puisqu’il était en 2014 4,3 fois supérieur (6321 $ contre 1454 $). En outre la guerre de la banane a été enterrée à l’OMC en décembre 2009 par une baisse des DD à payer à l’UE, baisse accentuée par les ALE conclus entre l’UE et ces pays fin 2012 et étendus à l’Equateur en 2014, qui ont accepté en contrepartie le droit de l’UE de continuer à importer sans DD les bananes des pays ACP. Il serait donc possible d’obtenir à l’OMC une dérogation pour que l’UE leur redonne des préférences non réciproques. D’autant qu’ils font face à 4 défis spécifiques : explosion démographique, déficit alimentaire croissant (hors cacao qui n’est pas un produit alimentaire de base), changement climatique accentué et forte dépendance des exportations de pétrole et autres minerais dont les prix s’effondrent.

Mais l’UE ne souhaite pas renouveler les accords commerciaux non réciproques car elle poursuit depuis les années 1980 une stratégie d’accès facilité aux marchés des pays tiers, notamment des PED, tout en garantissant son approvisionnement en matières premières aux prix mondiaux, notamment à travers les "politiques d’ajustement structurel" imposées aux PED endettés par la Banque Mondiale et le FMI où les pays développés détiennent la majorité du capital, donc des voix. Elle a été renforcée dans le document "Global Europe" du 6 octobre 2006 du Commissaire au commerce Peter Mandelson et confirmée dans le document "Le commerce pour tous" de juin 2015 de la Commissaire Cecilia Malmström. Pour Peter Mandelson "Notre prospérité est directement liée à l’ouverture des marchés où nous cherchons à vendre… A côté de notre engagement à l’OMC nous avons cherché, à travers des négociations bilatérales, à enlever les barrières commerciales aux frontières… Capitalisant sur l’OMC, notre objectif sera d’aller au-delà de ce qui peut être atteint au niveau mondial en recherchant des réductions tarifaires plus profondes; en s’attaquant aux barrières non tarifaires au commerce; et en couvrant des thèmes qui ne sont pas encore prêts à une discussion multilatérale, telles que les règles sur la concurrence ou l’investissement". Cecilia Malmström confirme: "Compte tenu de la dépendance de l’UE à l’égard des ressources importées, l’accès à l’énergie et aux matières premières est déterminant pour la compétitivité de l’UE. Les accords commerciaux peuvent améliorer l’accès de ces produits en fixant des règles en matière de non-discrimination et de transit, en s’attaquant aux exigences de contenu local… et en veillant à ce que les entreprises publiques soient en concurrence sur un pied d’égalité avec les autres entreprises selon les principes du marché".

C’est dans ce contexte que la Commission européenne justifie les APE avec un raisonnement par l’absurde : puisque les accords préférentiels de Lomé n’ont pas empêché les pays ACP de s’appauvrir, leur administrer le remède de cheval d’une exposition de plein fouet au libre-échange avec leur principal partenaire commercial déclenchera nécessairement une réaction salutaire qui accroîtra fortement leur compétitivité : "La coopération commerciale passée ACP-UE, qui a en premier lieu été bâtie sur ces préférences commerciales non réciproques, n’a pas produit les résultats espérés. Bien qu’elle ait accordé un accès à droits nuls à pratiquement tous les produits, cela n’a pas empêché la marginalisation accrue des pays ACP dans le commerce mondial… C’est pourquoi une approche plus globale est requise… Les Accords de Partenariat Economique sont un instrument pour réaliser ces objectifs… en enlevant progressivement toutes les barrières aux échanges entre l’UE et les groupements de pays ACP et en renforçant la coopération dans tous les domaines relevant des échanges" [1]. C’est un raisonnement aussi absurde que celui consistant pour un éleveur de poulets à ouvrir la porte du poulailler pour que les renards puissent éprouver la capacité de résistance des poulets. En l’occurrence les 16 "poulets" d’AO avaient en 2014 un PIB moyen par tête 17,7 fois inférieur à celui du "renard" UE (1 547 € contre 27 335 €).

Il faut dire que les lobbies des grands groupes européens, notamment français, ont été à la manœuvre pour persuader les Chefs d’Etat d’AO qu’ils avaient tout à gagner à l’APE. C’est notamment le cas de la Compagnie Fruitière de Robert Fabre, qui produit et exporte l’essentiel des bananes et ananas de Côte d’Ivoire, Ghana et Cameroun sur ses propres bateaux, et des tomates cerises au Sénégal. C’est le Groupe Mimran, propriétaire des Grands Moulins d’Abidjan et de Dakar, qui a obtenu que le droit déjà minime (5% ad valorem) du tarif extérieur commun (TEC) de la CEDEAO sur les céréales (à l’exception du riz) soit éliminé dès 2020. C’est le groupe Bolloré, qui gère la plupart des infrastructures portuaires du Golfe de Guinée et est impliqué dans l’exportation de 65% du cacao de Côte-d’Ivoire.

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Footnotes:

[1European Commission, Regional integration and Trade
http://www.europe-cares.org/africa/partnership_next_en.html


 source: SOL