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L’ALECA, un accord léonin. La Tunisie y laissera des plumes !

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African Manager | 17 avril 2019

L’ALECA, un accord léonin. La Tunisie y laissera des plumes !

Présenté comme un axe du futur pour la Tunisie, l’ALECA (Accord de Libre Echange Complet et Approfondi) n’est pas exempt de risques, majeurs, faut-t-il insister, car en prise réelle sur deux secteurs plus que vitaux pour le pays, l’agriculture et les services. Les rounds des négociations s’enchaînent accentuant les craintes que les Tunisiens payent un lourd tribut en se plaçant sous l’emprise des dispositions d’un traité généralement jugé léonin.

Trois chercheurs de la Fondation autrichienne pour la recherche en développement (ÖFSE) à Vienne, estiment que « la pression disproportionnée de l’Union européenne en faveur de la libéralisation des échanges risque d’exacerber les tensions politiques dans la dernière démocratie en Afrique du Nord ».

Avec l’ALECA, l’Union Européenne veut supprimer les restrictions commerciales restantes, en particulier dans les domaines de l’agriculture et de l’alimentation. En outre, les négociations portent sur l’ouverture des marchés des services tunisiens, ainsi que sur l’adoption de la législation de l’UE en matière de droits de propriété intellectuelle, de réglementations sectorielles, d’aides d’État et de marchés publics. Les investissements de l’UE seraient stimulés par la suppression des obstacles à l’investissement et l’extension des droits des investisseurs, soulignent les chercheurs.

Ils ajoutent que compte tenu de l’ampleur de l’intégration de la Tunisie au marché de l’UE (représentant 60% du commerce bilatéral et 70% des investissements directs étrangers dans le pays), il est essentiel de promouvoir des relations économiques bénéfiques avec l’UE. Seulement, avertissent-ils, les mesures de libéralisation proposées par l’UE risqueraient d’aggraver la crise économique en Tunisie. La suppression des barrières tarifaires pour les produits agricoles affecterait particulièrement les petits agriculteurs, avec des effets négatifs sur les revenus ruraux, l’emploi et la position des femmes.

Dans un rapport et une note de politique récemment publiés, ils évoquent, à titre d’estimation, une perte de revenu d’environ 0,5 à 1,5% du produit intérieur brut (PIB) dans un scénario de libéralisation totale. L’ouverture aux fournisseurs de l’UE pourrait entraîner des économies de coûts dans les marchés publics, mais cela saperait également son rôle important de soutien à l’économie locale des régions périphériques.

De plus, l’adoption de la législation de l’UE réduirait les coûts de transaction pour les exportateurs tunisiens, mais sa mise en œuvre constituerait un lourd fardeau pour le gouvernement et le secteur privé. « Nous estimons qu’une harmonisation complète des normes entraînerait une réduction du revenu national tunisien d’environ 0,9% du PIB. En outre, l’harmonisation de la réglementation nécessiterait un soutien technique et financier, auquel l’UE ne s’est pas encore engagée. Enfin, les disciplines envisagées en matière d’investissement, d’aides d’État et de passation des marchés envisagés réduiraient l’espace indispensable de la politique économique », affirment les analystes de la fondation ÖFSE.

Point d’engagement

Paradoxalement, l’UE n’a jusqu’à présent pris aucun engagement sur des questions d’importance pour la partie tunisienne. Celles-ci comprennent, en premier lieu, la simplification des règles d’origine pour l’industrie du textile/habillement, principal secteur d’exportation du pays. Le passage à la «règle de transformation unique» augmenterait la compétitivité, car cela permettrait aux entreprises de se procurer des tissus dans le monde entier. Mais l’UE n’a pas réagi positivement, car ses propres industries textiles et celles de la Turquie sont les principales sources d’importation de textiles en Tunisie en vertu des règles en vigueur en matière de règles d’origine.

Ensuite, la réforme du système de quotas de l’UE pour l’exportation de l’huile d’olive tunisienne, dont elle est le plus grand exportateur vers l’UE. Il protège les producteurs de l’UE en limitant les exportations d’huile d’olive tunisienne à 56 700 tonnes par an. Sous ce système , les exportations vers l’Union européenne sont massives et la commercialisation d’huile plus rentable, de marque et en bouteille, est entravée. Jusqu’à présent, l’UE n’a pas répondu aux demandes de suppression ou même d’augmentation du quota, ni de gestion plus libérale de celui-ci.

Vient enfin l’accès facilité au marché pour les fournisseurs de services tunisiens. La Tunisie a un secteur des TIC émergent, basé sur une main-d’œuvre jeune et bien formée, qui bénéficierait grandement d’une augmentation des relations commerciales avec l’UE. La mobilité à court terme des travailleurs du secteur des services vers l’UE est cruciale pour garantir les commandes et être en mesure de livrer les contrats efficacement. La facilitation de l’entrée pour les visites d’affaires dans l’UE est donc essentielle. Les négociations séparées sur un accord visant à faciliter la délivrance de visas progressant lentement, toutefois, aucun progrès significatif n’a été réalisé, notent les chercheurs autrichiens.

Impacts négatifs

Bien que l’UE apporte un soutien considérable à la transition politique en Tunisie depuis 2011, elle préconise maintenant un accord commercial qui aurait des impacts économiques négatifs et imposerait des coûts d’ajustement élevés à son partenaire. Pour autant que la Tunisie soit en principe favorable à l’intensification des relations avec l’UE, les frustrations suscitées par l’ALECA sont nombreuses.

L’UE doit donc respecter son engagement en matière de cohérence des politiques pour le développement. Il doit aligner son programme commercial sur l’objectif primordial de la stabilisation politique et économique de la démocratie tunisienne jeune et de plus en plus fragile. Cela nécessiterait qu’il réponde aux besoins à court terme et évite de lester les capacités du partenaire avec un programme de négociation extrêmement ambitieux, recommande la fondation ÖFSE.


 source: African Manager