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L’Asie du Sud-Est refuse de « choisir » entre Washington et Pékin

Les Echos | 10 novembre 2022

L’Asie du Sud-Est refuse de « choisir » entre Washington et Pékin

Par Yann Rousseau

Réunis à partir de ce jeudi à Phnom Penh, au Cambodge, pour évoquer les crises régionales, dont l’impasse politique en Birmanie , les dirigeants de l’Asie du Sud-Est vont accueillir, ce week-end, Joe Biden. Le président américain tente de reconstruire l’influence de son pays dans une région stratégique, mais désarçonnée par l’indifférence manifestée par l’administration Trump.

Alors que l’ancien président républicain avait boudé, après 2017, les grands sommets de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean) qui regroupe l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande, Brunei, le Vietnam, le Laos, la Birmanie et le Cambodge, son successeur a promis de se montrer plus assidu.

Il cherche à regagner la confiance des capitales de la région soumises à une influence croissante de la Chine, devenue leur premier partenaire économique. « Il est crucial d’assurer cette présence symbolique. C’est un moyen pour les Etats-Unis de montrer qu’ils ne sont pas une puissance désintéressée ou peu fiable », explique Renato Cruz de Castro, professeur de relations internationales à la De La Salle University de Manille.

Compétition stratégique

Habituées, avec la guerre du Vietnam ou la guerre froide, à se retrouver au coeur des tensions géopolitiques, les nations d’Asie du Sud-est veulent conserver leur équilibre dans la nouvelle compétition stratégique qui oppose Washington à Pékin. « Depuis sa création en 1967, l’Asean a suivi cette règle d’équidistance ou d’équilibrage dans ses relations avec les grandes puissances », explique l’expert. « Les pays de la région ne veulent pas être embarqués dans cette rivalité et ne veulent pas être poussés à choisir un camp », résume Waffaa Kharisma du Centre for Strategic and International Studies, à Jakarta.

Si le Vietnam, les Philippines ou encore l’Indonésie ont des relations compliquées avec le régime de Pékin et souffrent de son agressivité en mer de Chine méridionale, l’ensemble de l’Asean profite de la croissance chinoise et attend un engagement économique similaire des Etats-Unis. « Washington doit offrir à la région une chance de se diversifier économiquement pour ne pas se retrouver enfermée dans le destin économique de la Chine » , insiste Renato Cruz de Castro. « La Chine a su apporter aux élites de la région ce qu’elles désiraient, c’est-à-dire du développement économique », ajoute Waffaa Kharisma.

Par le biais de son programme « Belt and Road initiative », Pékin a massivement investi, ces dernières années en Asie dans de grandes infrastructures, très visibles par les opinions publiques, et lâché d’importants prêts avec ses banques publiques, sans « donner de leçon » sur les « valeurs universelles ». « Les élites de la zone se disent que ce n’est pas la démocratie qui va vous nourrir, vous soigner ou vous protéger des catastrophes », sourit le chercheur indonésien.

Un nouveau pacte économique

Face à l’offensive chinoise, les Etats-Unis avaient, un temps, compté sur le Partenariat transpacifique (TPP) pour mettre en scène leur grand pivot vers l’Asie, mais le pacte s’est finalement fait sans l’Amérique. Donald Trump ayant soudain décrété, début 2017, que les Etats-Unis n’y participeraient pas.

A Phnom Penh, Joe Biden va, de nouveau, évoquer son « Indo-Pacific Economic Framework » (IPEF) mais les promesses d’ouverture du marché américain y sont très limitées. « Ce n’est qu’un bon apéritif. Ça ne va pas satisfaire l’estomac des pays de l’Asean », remarque Stephen Nagy, expert des relations internationales à l’International Christian University de Tokyo. Il suggère un accord commercial beaucoup plus ambitieux, tel qu’un TPP remanié, levant certaines barrières tarifaires américaines.

Mais la résistance des lobbys américains reste forte. Et les tensions politiques aux Etats-Unis, mises en lumière lors des Midterms , n’incitent pas la Maison-Blanche à se lancer dans un tel chantier.


 Fuente: Les Echos