bilaterals.org logo
bilaterals.org logo
   

L’institutionnalisation d’un mouvement social : l’opposition au CAFTA au Costa Rica

Todas las versiones de este artículo: [English] [Español] [français]

L’institutionnalisation d’un mouvement social : l’opposition au CAFTA au Costa Rica

Maria Eugenia Trejos [*]
Novembre 2007

1. Le processus de négociation et de prise de décision entourant le CAFTA

L’accord de libre-échange de l’Amérique centrale (US-Dominican Republic-Central America Free Trade Agreement, CAFTA) a été négocié en 2003 et en début 2004. Cinq pays d’Amérique centrale (Guatemala, Honduras, El Salvador, Nicaragua et Costa Rica) y ont tout d’abord participé. Puis, la République dominicaine les a rejoints, en négociant dans un premier temps un ALE avec les États-Unis, puis en rejoignant les autres pays.

Les négociations pour le compte du Costa Rica ont été menées par une équipe de professionnels du ministère du commerce extérieur (COMEX), qui était liée aux intérêts des grandes sociétés transnationales et qui ont, dans plusieurs cas, reçu de jolies gratifications de la part de la Fondation Costa Rica-États-Unis, héritière de l’Agence pour le développement international américaine, USAID. Les négociations stratégiques de notre pays ont été menées par un personnel payé par notre homologue.

La phase de négociation a loin d’avoir été simple. Au départ, de nombreux secteurs ont demandé de pouvoir participer à la définition de paramètres sur ce qui serait négocié, ainsi qu’à pouvoir en contrôler le processus de près. Le COMEX a établi un mécanisme de « consultation » par lequel des organisations invitées prétendaient apparaître comme des participants au processus. Néanmoins, des centaines de recommandations et de promesses furent faites sans que le gouvernement ne s’engage définitivement dans aucune d’elles. Le mécanisme de participation n’était que de pure forme en termes de représentation des secteurs populaires. Des annonces furent publiées dans certains journaux nationaux, plusieurs secteurs furent appelés à exposer leurs vues sans qu’on leur dise comment leurs vues seraient traitées, des forums d’information devaient tenir informés les représentants de nombreuses organisations sur la façon dont le processus de négociation se tiendrait, et une chambre dite « parallèle », un espace dans lequel les négociateurs pourraient parler aux organisations et aux entreprises (celles du moins qui avaient les moyens de participer) sur le cours des négociations, fut organisée. Il n’y a pas eu de procédure rendant les engagements un tant soit peu obligatoires ou même une tentative de réaliser une forme d’accord, quelle qu’elle soit, entre les négociateurs et les organisations sociales.

Les mouvements populaires furent traités comme de simples receveurs. Leurs arguments, plus que justifiés, ne furent pas pris en ligne de compte. Cela devint de plus en plus évident lorsque le texte du CAFTA a été publié, bien après que les négociations aient été conclues, puisqu’au cours des pourparlers, les textes avaient été déclarés « confidentiels » afin de « ne pas dévoiler la stratégie nationale » et ce, même à des membres du parlement qui en avaient demandé l’accès. Par exemple, lors d’une réunion avec la vice-ministre Gabriela Llobet, qui était également chargée des questions de l’environnement, deux organisations reçurent des copies des chapitres touchant à l’environnement des ALE États-Unis-Chili et États-Unis-Singapour (en anglais) et on leur demanda de commenter le CAFTA. Ceci, malgré le fait que l’assistant de Mme Llobet avait déjà déclaré qu’il existait un projet de chapitre sur l’environnement préparé par les États-Unis et qu’elle ne voyait aucun inconvénient à ce que ces organisations y aient accès afin d’exprimer leur opinion. [1]

Même après la fin des négociations, il était impossible d’obtenir de la documentation sur le processus puisqu’on avait prétendu qu’elle avait été « perdue » avec le changement de ministres du gouvernement précédent. En fait, les seules personnes ayant accès au processus de négociation, en tant que conseillers du gouvernement, étaient les représentants des chambres du commerce. À un tel point que l’un de leurs chefs d’entreprises est actuellement ministre du commerce extérieur.

Tandis que les négociations se sont achevées en janvier 2004 et que l’ALE a été signé par le président en août, le texte n’a été présenté au parlement pour approbation qu’en octobre 2005, à cause de la résistance croissante qui exprimait plusieurs sortes de contradictions : entre les mouvements populaires et le gouvernement ; entre le gouvernement et une partie de la communauté des affaires ; et au sein du gouvernement. Le conflit interne du gouvernement s’est achevé par la démission la presque totalité de l’équipe de négociation du CAFTA.

L’élan final donné au CAFTA est venu de l’actuel gouvernement, celui d’Oscar Arias, qui a pris ses fonctions en mai 2006 au milieu d’une immense marche de protestation - une première dans l’histoire électorale du Costa Rica — après des résultats électoraux extrêmement serrés (à peine 1% d’avance sur le Parti Action Citoyenne) et de nombreuses questions entourant le résultat et la position du président réélu. Arias a été ré-institué par la chambre constitutionnelle rejetant une décision législative de 1969. (Arias avait déjà été président pendant les années 1986-1990.) Pour ce gouvernement, le CAFTA était depuis le commencement une question centrale et il était prêt à le faire approuver par tous les moyens.

L’examen du congrès commença en juin 2006 par une procédure qui a été décrite comme étant antidémocratique et qui a été transmise à des instances supérieures, tel le tribunal constitutionnel. La commission du congrès qui statuait sur l’ALE entendit quelques groupes opposés à l’accord, mais refusa de recevoir les 60 groupes qui avaient demandé audience. Elle refusa de consulter les peuples autochtones comme le recommandait le conseil législatif technique et ce, conformément à la convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT), et elle prit sa décision sans avoir discuté, ni voté, les plus de 300 amendements en attente, et sans débattre des contenus de l’accord.

Audiences devant la
commission des
affaires internationales
Pour Contre Neutre
ou
ambiguë
Total
Total 35 (58%) 18 (30%) 7 (12%) 60

Différents secteurs de l’opposition au CAFTA ont vu leurs tentatives d’être entendus contrecarrées. Même ceux qui avaient accès aux audiences de la commission se sont rendu compte que personne ne débattait, ni n’avait le moindre intérêt à discuter sérieusement le contenu du traité. Les efforts portaient sur la répartition de la parole et les législateurs étaient limités car leur temps de parole était chronométré et chaque créneau comprenait un temps de réponse. Le débat était une farce « démocratique », renforçant l’image que le pays changeait de direction : un système démocratique qui avait gêné l’adoption de l’accord était mis sur la touche et un courant continu de procédures truquées et autoritaires avait pris sa place.

L’opposition grandissante au CAFTA, malgré une campagne de millions et de millions de dollars menée par ses partisans, a conduit à une polarisation accrue du pays, avec d’un côté les forces pro-CAFTA et de l’autre, les forces anti-CAFTA. Cependant, c’est du rang du mouvement de l’opposition qu’a surgi une proposition qui semble avoir été utilisée par les défenseurs du CAFTA comme un moyen de venir à bout de l’impasse : organiser un référendum national, qui a eu lieu le 7 octobre 2007.

2. Les motifs de la résistance au Costa Rica : un état social largement développé

2.1. Une vaste couverture de services sociaux

Le développement d’un l’état-providence, du milieu des années 1940 au milieu des années 1970, a conduit à une expansion importante des services publics, en comparaison meilleure que celle réalisée dans d’autres pays de la région. En dépit de l’instauration de politiques néolibérales, qui commença au milieu des années 1980, [2] les indicateurs sociaux sont toujours élevés : l’indice de développement humain est de 0,838 (le Costa Rica se place 47e dans le monde), son taux d’analphabétisme est d’à peine 4%, approximativement 82% de la population est couverte par une assurance santé, l’espérance de vie à la naissance est de 78 ans, le pourcentage de personnes bénéficiant d’un accès à l’eau salubre est de 75%, l’électricité atteint 97% de la population et on compte 31,6 lignes téléphoniques pour 100 habitants. En outre, les coûts d’électricité, de la téléphonie terrestre et mobile et de l’Internet du Costa Rica sont parmi les plus bas du continent. [3] Cela a été possible grâce à un projet social garantissant que certains services stratégiques soient fournis par l’État, dans une logique solidaire et une couverture complète. Cette expansion des services publics reste un élément central de la résistance au Costa Rica : les gens qui ont accès à tous ces services savent évidemment ce qu’ils ont à perdre et ont manifesté leur détermination à le défendre.

2.2 Un secteur intellectuel étendu et prestigieux

Faisant partie de l’état social, le Costa Rica a développé un système universitaire de haute qualité et d’une autonomie suffisante pour permettre l’émergence d’une pensée critique parmi un groupe important de professionnels. Ce secteur a entrepris une tâche d’analyse de l’ALE afin de faciliter une prise de position. Ainsi, non seulement l’opposition au CAFTA est-elle allée au-delà des mots et s’est basée sur l’analyse du texte, mais les personnes ont également pu progressivement découvrir le contenu de l’accord et les critiques à son sujet ont augmenté parallèlement à l’engagement pris par les intellectuels de s’impliquer directement et de bloquer son adoption. Dès lors que les négociations se sont achevées, la production de documentation de toutes sortes a commencé. Nous avons publié de nombreux livres et encore davantage d’articles, plusieurs vidéos et du matériel audio, des dépliants, des prospectus, des chansons, des poèmes, des jingles, des posters, des satires, etc. et ce, afin de répandre l’analyse du contenu de l’ALE. Ce matériel a été répandu par une large distribution et par beaucoup de dialogue avec les communautés, en partant du plateau central tout proche jusqu’aux communautés rurales les plus éloignées, et les peuples autochtones. Différentes méthodologies d’éducation populaire ont pu rendre le contenu très dense et labyrinthique d’un accord de 3.000 pages facile à comprendre. Pour ce faire, nous avons bénéficié du soutien de centaines d’activistes prêts à donner leur temps, leur argent et leur savoir à ce travail.

Les gens, déjà préoccupés et méfiants par rapport à l’énorme bombardement de propagande pro-CAFTA, furent alors capables d’apprendre ce que le traité contenait, de comprendre ce qu’il impliquait et de prendre position contre lui. Un processus, qui a plus tard donné la formation spontanée de plus de 130 comités patriotiques dans tout le pays, a commencé à s’enraciner.

2.3 Une institutionnalisation démocratique qui fonctionne ... jusqu’à un certain point

Jusqu’au gouvernement actuel, qui a pris ses fonctions en 2006, les institutions démocratiques ont été relativement fonctionnelles au Costa Rica. Les procédures parlementaires ont empêché l’adoption à la hâte de lois ou de traités internationaux, et de nombreux membres du parlement étaient opposés au CAFTA. La branche exécutive était contrôlée par un secteur agrippé à un style de gouvernance traditionnelle au Costa Rica, visant à nourrir un consensus et à rechercher des mécanismes de compréhension mutuelle lorsqu’elle était confrontée à une possibilité d’explosion sociale. Par conséquent, le CAFTA a traîné longtemps, sans même qu’un débat parlementaire ne débute.

Cela allait changer avec le gouvernement Arias ... Mais, pendant la période allant du début 2004 au début 2006, les règles mêmes établies par les secteurs dirigeants les empêchèrent d’avancer dans la ratification de l’accord. Par exemple, le pouvoir exécutif établit une « commission de personnes remarquables » qui prit longtemps à délivrer une position ambivalente sur l’accord. Cela laissa le temps nécessaire pour mieux exposer les impacts fondamentaux qu’aurait le CAFTA s’il était adopté, et permit au mouvement d’opposition de grossir de façon considérable.

3. Diversité et hétérogénéité de la participation

Des représentants de tous les mouvements sociaux ont participé au mouvement contre le CAFTA : les syndicats, les paysans, les étudiants, les peuples autochtones, les coopératives, les environnementalistes, les professionnels, les femmes, certains secteurs confessionnels et des artistes. Trois des quatre universités publiques ont annoncé leur opposition au CAFTA, opposition basée sur une analyse en profondeur, et dans ces quatre universités, des fronts de lutte contre le CAFTA se sont formés. Le Médiateur pris également position contre le CAFTA et a émis un rapport complet et détaillé sur son contenu.

Des personnalités de grande notoriété appartenant aux sphères culturelles et intellectuelles (par exemple, plusieurs lauréats de prix nationaux) se sont jointes très activement au mouvement, ainsi que nombre d’artistes célèbres. Venant de l’arène politique, deux anciens présidents, plusieurs anciens candidats présidentiels (provenant de grands partis), plusieurs anciens directeurs d’institutions publiques, des anciens ministres et des anciennes premières dames ont également rejoint le mouvement. Et même au sein du Parti de la libération nationale, au pouvoir, un front uni a été créé contre l’adoption de l’accord. Finalement, le secteur de la communauté des entreprises a joué un rôle prédominant, y compris les producteurs de riz, les usines pharmaceutiques fabricant des médicaments génériques, les exploitants de ranch, etc. Une organisation d’hommes d’affaires du Costa Rica, qui étaient opposés au CAFTA, a même été formée.

Ces évènements donnèrent une grande légitimité au mouvement d’opposition et ils ont rendu la campagne médiatique pro-CAFTA, qui ciblait ses attaques sur certains dirigeants syndicalistes, pensant que cela discréditerait le mouvement, inefficace. De plus en plus de gens voyaient que toutes ces personnes rejoignaient le mouvement de rejet au CAFTA, alors que seuls les grosses entreprises et le gouvernement lui étaient favorables. Parallèlement, un niveau de méfiance a surgi, dû à ce que les Costaricains ressentent lorsque quelqu’un essaie de leur imposer quelque chose : une partie de l’opposition des personnes était précisément générée par la campagne à coups de millions de dollars en faveur du CAFTA et par l’insistance du gouvernement pour que le pays l’adopte. Il faut se souvenir que ce gouvernement a commencé ses activités dans un climat de controverse sur la réélection présidentielle et l’issue d’un vote uniquement soutenu par un quart de l’électorat.

Il y eut également une diversité de formes de participation et d’expression. Des comités et des fronts de lutte se sont formés dans tout le pays, et ils ont organisé plusieurs sortes d’activités, en général par le contact personnel avec les personnes et, dans ce sens, très différentes de la façon impersonnelle avec laquelle le bloc pro-CAFTA les atteignait, principalement par les médias. [4] Cette œuvre s’amplifia tellement que chaque semaine, de nouveaux comités ou de nouveaux fronts de lutte voyaient le jour.

4. Organisation de la résistance

La résistance à l’adoption du CAFTA a connu quatre phases :

4.1 Avant la signature de l’ALE

Au cours de cette période, pendant 2003 et au début de 2004, le mouvement était principalement divisé en deux secteurs : ceux opposés à tout ALE avec les États-Unis et ceux essayant d’incorporer certaines dispositions dans un traité en cours de négociation. Il y avait beaucoup de divisions et de fragmentation, et des efforts séparés étaient faits pour faire face au processus de négociation.

Aucun des deux secteurs ne savait ce sur quoi l’on était en train de se mettre d’accord — les gens n’avaient accès qu’aux rapports venant du COMEX — pas aux documents émergeant des vrais pourparlers. Pas même ceux qui souhaitaient incorporer des dispositions et participaient à la dite « chambre parallèle » n’avaient accès aux documents ou aux informations sur l’évolution des négociations, tandis que l’équipe de négociation ne prenait conseil et accord qu’auprès de l’industrie et dissimulait les informations aux autres participants.

4.2 Entre la signature et les élections de février 2006

Une fois l’accord signé et finalement rendu public, ceux qui avaient essayé de limiter les dégâts et d’incorporer des dispositions un peu moins défavorables sur toutes les questions, se rendirent compte que rien, dans le CAFTA, ne favorisait autre chose que le capital transnational et ses représentants à l’intérieur du pays. La ligne de partage se trouvait maintenant entre ceux qui pensaient que l’accord devait être renégocié et ceux qui voulaient le refuser tout net. Parmi les premiers, se trouvaient ceux qui, dans la phase finale, menèrent le mouvement pour un référendum.

Pourtant, le secteur de l’opposition gagna en unité et un comité de liaison, qui établit des mécanismes de liaison entre les différents secteurs opposés au CAFTA, se forma. Ces instruments d’unité ne représentaient pas le mouvement dans son entier, mais il permit aux personnes d’organiser des actions auxquelles tous pouvaient participer.

4.3 Après les élections de 2006

Les élections de 2006 ont mené à la mise en place du gouvernement Arias, dont le projet central était l’approbation au CAFTA et l’adoption de sa législation d’application. Ceci stimula l’unité du mouvement contre l’ALE parce qu’il n’y avait pas de négociation possible avec le gouvernement et il n’y avait pas non plus de renégociation possible de l’accord. Le gouvernement élargit sa campagne et fit des démarches pour l’approbation législative de l’accord et de ses lois d’application complémentaires. Le projet de loi passa devant la commission des affaires internationales — avec les problèmes mentionnés plus haut — qui, finalement allait l’adopter et le transmettre à la séance plénière.

Le mouvement du «NON au CAFTA» grandit. De nouveaux coordinateurs et fronts de lutte étaient développés et deux des plus grandes manifestations contre l’accord se sont tenues en octobre 2006 et en février 2007. Les manifestations se sont principalement tenues dans le centre-ville de San José, mais il y a eu des mouvements simultanés dans de nombreuses régions du pays. La polarisation du pays augmentait et, avec elle, la tension sociale.

Nous sommes ensuite passés à la quatrième phase.

4.4 L’institutionnalisation du mouvement

Au sein du front d’opposition contre le CAFTA, un groupe de citoyens a eu l’idée de proposer de tenir un référendum. Lorsque l’idée fut abordée pour la première fois, avant les élections de 2006, il est probable qu’il y avait quelques arguments favorables. Cependant, c’était une question qui divisait le mouvement. Lorsque la pétition émanant de la société civile et demandant un référendum sur le futur du CAFTA fut présentée au tribunal suprême électoral (TSE), le pays sortait juste d’un processus électoral, réélisant le président Arias, dans lequel le rôle du tribunal avait été sérieusement contesté. La demande fut tout d’abord rejetée par le TSE.

Mais, après l’énorme manifestation de février 2007, apparemment en accord avec le gouvernement, le TSE approuva la tenue d’un référendum. Il fut convenu par le président Arias et ratifié par le parlement et il fut prévu pour octobre 2007. Avec cette résolution, selon nous, le mouvement a été institutionnalisé : les dirigeants s’étaient appropriés la lutte et l’avaient faite pivoter vers leur propre camp.

Comme certains l’avaient prévu, les conditions sous lesquelles le référendum fut conduit au Costa Rica n’ont pas garanti une participation équilibrée. Tout d’abord, les médias qui atteignaient le plus de monde étaient clairement favorables au CAFTA et n’informaient pas sur le mouvement d’opposition, ni ne lui fournissait un accès. Deuxièmement, le TSE n’a pas donné un accès égal des deux camps aux médias, il n’a pas non plus fourni les ressources permettant d’exposer différents points de vue. En conséquence, le camp pro-CAFTA disposa d’un trésor de guerre de millions et de millions de dollars fourni par le secteur des affaires, alors que les opposants au CAFTA devaient poursuivre sur la base du travail personnel ou de petits groupes. Troisièmement, le tribunal a statué sur le fait que les procureurs du référendum devaient être nommés par les partis politiques, ce qui entrava le travail du mouvement d’opposition puisqu’il n’était enregistré auprès d’aucun d’eux. Quatrièmement, le TSE a prononcé des décisions qui cherchaient à éviter la participation des universités publiques, prétendant qu’elles auraient utilisé des fonds publics dans une claire et dangereuse violation de l’autonomie de l’université, alors qu’il acceptait que le président et ses ministres utilisent leur temps — et les fonds publics — pour faire campagne en faveur du CAFTA. « Nous allons passer un accord, » a déclaré Arias, lors d’une réunion officielle avec des citoyens d’une communauté lointaine située dans le sud du pays. « Vous, vous votez pour le CAFTA et nous, nous vous construirons un grand aéroport. »

Ainsi, le futur du CAFTA a été décidé par un processus électoral, et non sur la base d’une lutte sociale qui s’était développée. Ce processus n’avait pas les conditions de base requises pour garantir aux personnes l’accès à l’information des deux parties au débat et il y avait des doutes bien fondés au sujet de l’impartialité du TSE à l’issue du processus.

Cependant, le mouvement et l’organisation sociale grandirent tous deux pendant cette période, avec la création de plus de comités et de davantage de façons d’exposer le contenu de l’ALE. Ce mouvement pourrait être la graine d’un processus qui, au-delà de l’adoption ou du rejet du CAFTA, mène à une transformation sociétale plus radicale.

5. Une issue frustrante mais porteuse d’espoir

Le CAFTA a été approuvé le 7 octobre 2007 par une majorité de votes en sa faveur. Alors qu’il n’y a pas eu de fraude directe aux urnes à proprement parler, nous pouvons sans aucun doute dénoncer les conditions inégales des deux parties et la fraude médiatique. À l’avenir, le gouvernement sera placé sous la surveillance étroite du mouvement social qui s’est développé pendant cette lutte et qui a ouvert de nouveaux espaces permettant d’imaginer un modèle différent de société. Quelle est donc la situation, un mois après le choc initial de l’issue du référendum ressenti dans les rangs du camp du NON ?

Le référendum : légitimer le projet néolibéral

Le mouvement du NON, avec sa riche vie sociale et culturelle, avec ses voies alternatives à la participation au pouvoir politique national, a conservé son espace loin des institutions contrôlées par les classes dirigeantes, tel qu’il avait été jusqu’alors. Cependant, l’organisation du référendum a utilisé des arguments idéologiques profondément ancrés chez notre peuple et il n’y a eu que très peu de personnes pour y voir une démobilisation et un piège.

Oscar Arias avait déjà utilisé le mécanisme de la « démocratie électorale » contre le mouvement populaire lorsqu’il avait « sauvé » la guerre américaine contre le mouvement sandiniste en proposant des élections législatives. Son expérience dans ces domaines et dans le développement de stratégie — apparemment en collusion avec le TSE, les chambres de commerce, l’ambassade américaine et les médias nationaux et internationaux — ne pouvait que mener à la légitimation du CAFTA, qui a maintenant été adopté par un vote « majoritaire » dans le pays. Même la chambre constitutionnelle a participé à cette stratégie en s’abstenant de dénoncer les inconstitutionnalités flagrantes de l’ALE.

Le processus du référendum était, tout comme nos élections présidentielles, criblé d’anomalies. En premier lieu, parce que le TSE n’était pas impartial :

  • Il n’a appliqué aucune règle visant à garantir l’égalité des chances des deux parties au débat ; il a publié dans les principaux quotidiens nationaux, en tant que « résumé du CAFTA », un texte préparé par le groupe « État de la nation », totalement partial et en faveur de la position du OUI.
  • Il n’a pas empêché les irrégularités telles que les menaces et les campagnes visant à semer la peur qui ont eu libre cours sur les lieux de travail du pays.
  • Il a permis l’ingérence de secteurs qui n’auraient pas dû participer, telles que des personnalités publiques du gouvernement Bush et l’ambassadeur des États-Unis qui a personnellement participé à des campagnes publicitaires et des visites d’entreprises et ce, même alors que la période de campagne était officiellement suspendue.
  • Pendant la période de suspension, le TSE a permis au président et à son frère, le ministre de la présidence, d’aller se prononcer à la télévision en faveur du OUI, soit une violation flagrante de l’article 24 de la loi matérielle sur les référendums.

Deuxièmement, parce que les médias n’ont pas fourni l’accès à l’information que le public était en droit de connaitre.

Troisièmement, parce que le gouvernement a pleinement participé et ce, avec toutes les ressources qui nous appartiennent, à la campagne du OUI, utilisant chaque mécanisme pour générer des menaces et des craintes, sous le regard et avec la permission du TSE.
Dans ces conditions, personne ne pouvait s’attendre à ce que le camp du NON gagne - et nous ne savons même pas s’il a gagné, étant donné que nous n’avons pas disposé d’une représentation appropriée aux bureaux de vote.

Les comités patriotiques : le germe d’une société alternative

Dans le paysage costaricain d’institutions épuisées et corrompues, le combat contre le CAFTA a été perdu au moment précis où la tenue du référendum a été acceptée. Cependant, c’est au cours du processus de référendum à proprement parler que les dits comités patriotiques ont gagné en puissance et en dynamisme.

La plupart de ces comités se sont engagés non seulement en média alternatif, mais également en autonomie et en horizontalité, avec de la créativité et de l’espace pour tous les participants, sans règlements ou leaders asphyxiants et autoproclamés, dans le désir et la détermination requis pour la reconstruction de la société. Ils sont, par conséquent, des remplaçants potentiels des institutions existantes.

Mais nous ne pouvons pas attendre de tous les comités patriotiques qu’ils suivent la même voie. Il y aura ceux contrôlés par des leaders autoproclamés ou par des partis politiques qui poursuivront leurs propres intérêts. Il y aura ceux qui s’emmêleront dans les institutions actuelles, manquant de la capacité de tirer les leçons de l’expérience passée. Mais, certains seront capables de reconnaître le moment auquel leurs actions pourront former la base d’un nouveau cadre institutionnel dans lequel les différents secteurs populaires définiront et contrôleront par eux-mêmes la direction que le pays devra prendre.

Notas:

[*Avec la collaboration d’Eva Carazo, Isaac Rojas, Silvia Rodríguez et Luis Paulino Vargas (par ordre alphabétique).

[1Isaac Rojas, représentant la FECON (Fédération pour la conservation de l’environnement), et Manuel López, représentant les COECOCEIBA-Amigos de la Tierra (Communautés écologistes de la Ceiba-Amis de la Terre), Costa Rica, ont participé à cette réunion.

[2L’application de la politique néolibérale a commencé dans les années 1980 et a commencé à modifier cette orientation. Néanmoins, la résistance sociale, le style de gouvernement et la « zone tampon » laissée par les politiques sociales antérieurs expliquent pourquoi, au niveau des indicateurs, le néolibéralisme n’a pas encore eu de fort impact sur la situation sociale. Pourtant, à cause de ces nouvelles politiques, une claire détérioration de la qualité des services publics, de la redistribution des revenus et une augmentation de la précarisation de l’emploi sont désormais évidentes.

[3Données provenant de : « Forum mondial sur l’éducation : Éducation pour tous », rapport par pays, à l’adresse http://www.unesco.org ; Programme sur l’état du pays, à l’adresse http://www.estadonacion.or.cr ; Gerardo Fumero Paniagua, "El Estado solidario frente a la globalización. Debate sobre el TLC y el ICE", San José, Costa Rica, 2006.

[4Il ne faut pas négliger la présence de nombreuses entreprises dans lesquelles ils ont donné des discours devant un public prudent, et le terrorisèrent par la menace de perdre leurs emplois si le CAFTA n’était pas approuvé. Puisqu’il n’existe pas de syndicats dans le secteur privé au Costa Rica (il n’y a pas de liberté de se syndiquer), seul le bloc pro-CAFTA a eu accès aux entreprises, toutes situées dans des zones franches industrielles pour l’exportation.


 Fuente: