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La résistance à l’ALE en Colombie

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La résistance à l’ALE en Colombie

Entretien avec Aurelio Suárez Montoya
par Silvana Buján
Novembre 2007

Quel est le niveau d’organisation de la résistance aux accords de libre-échange en Colombie ?

Il y a environ trois ans, lorsque le 8e cycle de négociations de la zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) a eu lieu, plusieurs centaines d’organisations populaires colombiennes, des syndicats, des écologistes, des agriculteurs et des centre de recherche indépendants ont créé le Réseau colombien d’action contre le libre-échange et la ZLEA, ou RECALCA. Ce groupe est devenu le noyau central de la lutte pour la résistance colombienne contre l’accord de libre-échange américain. Au travers du RECALCA, nous avons organisé de la recherche, des forums et des séminaires et soutenu plusieurs mobilisations de différents secteurs sociaux qui, d’une façon ou d’une autre, ont élevé leur voix contre l’ALE États-Unis-Colombie. Cet activisme s’est manifesté par la participation directe à des débats avec le congrès colombien, à la fois au sénat et à la chambre des représentants, par le soutien aux consultations publiques que les communautés indigènes, les agriculteurs, la jeunesse et les ouvriers ont mené sur l’ALE, en tant que « référendums du peuple » et qui se sont traduits par un rejet clair de l’accord au niveau populaire, ainsi que par plusieurs jours de mobilisation sociale contre l’ALE États-Unis-Colombie, que ce soit en tant que front coordonné, ou par groupements séparés.

Quel est le point de mire du RECALCA aujourd’hui ?

Il se concentre sur les nouveaux ALE que le gouvernement négocie et veut signer. Cela signifie l’ALE Chili-Colombie, l’ALE Triangle du Nord-Amérique centrale (avec le Guatemala, le Honduras et le Salvador), l’ALE Canada-Colombie, l’accord AELE-Colombie (l’AELE étant l’Islande, la Norvège, le Liechtenstein et la Suisse) et le soi-disant Accord d’association - qui n’est rien d’autre qu’un ALE - entre la Communauté andine et l’Union européenne.

Comment le gouvernement colombien a-t-il répondu à une telle mobilisation ?

Le gouvernement colombien - qui est manifestement néolibéral et autoritaire, et d’une nature extrêmement anti-démocratique - a fait la sourde oreille à son peuple. Il refuse d’écouter l’opinion d’un immense ensemble d’organisations, y compris les organisations paysannes, les petits et moyens producteurs (et même certaines agro-industries), les syndicats, les organisations écologistes et les communautés autochtones et afro-colombiennes. Le gouvernement colombien a simplement remplacé ces gens — la véritable société civile colombienne — par ce que le gouvernement appelle la « société civile » — en réalité, de minuscules organisations qu’il a créées et fondées pour donner un semblant de participation sociale aux négociations. Il a également ignoré non seulement les organisations sociales, les analystes indépendants et beaucoup d’universités, mais aussi des sénateurs et des parlementaires de l’opposition. Le noyau de l’ALE américain - avant que le protocole additionnel n’ait été négocié entre l’administration Bush et le parti démocrate américain - n’a été soutenu que par les voix de 55 sénateurs sur 102. Ce vote a adopté l’accord avec l’idée qu’il s’agissait du texte final — ce qui, en fait, s’est révélé ne pas être le cas. Il s’agit d’un accord approuvé à l’insu du pays. Ceux d’entre nous qui s’y sont opposés au cours de débats publics au congrès ont clairement démontré que ces négociations allaient causer de sérieux dommages à la souveraineté de la Colombie en ce qui concerne son territoire, sa justice, son économie et son alimentation. Malgré nos arguments, le gouvernement est allé de l’avant et a utilisé sa majorité parlementaire pour que l’ALE soit approuvé.

Quelle est la relation entre l’ALE et la souveraineté alimentaire en Colombie ?

L’accord de libre-échange États-Unis-Colombie a été négocié sur la base de deux critères. Premièrement, la Colombie a accepté de mettre ses tarifs douaniers à zéro pour tous les produits agricoles américains. D’ici cinq ans, 89% des importations américaines entreront en Colombie sans avoir à acquitter de tarif douanier. Dans dix ans, un groupe encore plus large d’articles tombera sous le coup de l’accord. Et dans 18 ans, tous les produits agricoles des États-Unis auront un tarif douanier zéro, à la frontière colombienne. Mais tandis que la Colombie négocie en ce sens, et c’est le second élément, les États-Unis n’ont pas éliminé leur système de subventions à l’agriculture, qui lui permet d’exporter leurs excédents - plus particulièrement les céréales, les oléagineux, la viande, les produits laitiers, les fruits et légumes tempérés - à des prix en deçà de leur coût de production. En d’autres termes, c’est du dumping. Donc, ce que le gouvernement a fait, c’est de légaliser le dumping agricole américain en Colombie. Dans ce sens, notre pays a choisi d’augmenter sa dépendance à l’alimentation étrangère (dépendance qui avait déjà commencé avec l’introduction du modèle néolibéral et de la dite ouverture économique). De fait, 51% de nos protéines et calories d’origine végétale et 33% de nos graisses végétales proviennent déjà de l’extérieur. Ceci va donc accroître notre dépendance alimentaire et diminuer notre autosuffisance en matière de production alimentaire de base.

Quelles sont les implications en rapport ?

Ceci implique non seulement un problème de souveraineté, mais cela va également causer la ruine et le déplacement de millions de familles rurales et de petits et moyens producteurs qui développent des activités de production pour le marché national. Par exemple, la capitale de la Colombie, Bogota, s’approvisionne pour 80% de sa consommation alimentaire auprès d’agriculteurs produisant dans un rayon de 300 km. Ces régions vont être frappées de plein fouet lorsque les importations alimentaires américaines vont inonder le marché. Les gros négociants, qui ont un contrôle quasi oligopolistique du marché alimentaire et agricole, préféreront abandonner leurs sources locales et acheter des produits américains à bas prix. Notre autosuffisance, notre autodétermination, la sécurité alimentaire des foyers et la souveraineté alimentaire du pays en seront affectées.

Est-ce-qu’en empêchant les agriculteurs colombiens de cultiver des aliments, on ne les force pas à cultiver des cultures illégales ?

Il y a quinze ans, dans le département de Nariño, l’une des plus grandes zones de cultures du blé du pays, il n’y avait que 100 hectares de coca. Aujourd’hui, on compte plus de 15.000 hectares de coca. Il est donc fort probable que les choses se passent ainsi. Les communautés paysannes et indigènes, et les secteurs les plus pauvres, seront soit déplacés, soit forcés de produire des cultures utilisées à des fins illégales, comme le coca ou le pavot, parce qu’elles sont les seuls à être rentables.

Quelle est la relation entre l’ALE et l’environnement ?

Si vous lisez dans le détail l’accord de libre-échange américain, le chapitre sur l’environnement stipule que les considérations environnementales ne sauraient bloquer le commerce, c’est-à-dire que le commerce a précédence sur les normes environnementales. Les réglementations environnementales de nos pays sont de plus en plus sujettes aux règles énoncées par ces traités supranationaux. Il n’y a rien dans l’ALE qui empêche les investisseurs de s’emparer de nos écosystèmes hydriques, de notre biodiversité, etc. Ils sont libres de s’engager dans des entreprises à but lucratif dans les dits services environnementaux, aux dépens de tout ce pour quoi l’on se bat en termes d’entretien de relations respectueuses et durables avec notre environnement et ce, afin de jouir d’un véritable développement humain.

Quelles sont les attentes pour l’avenir ?

L’ALE n’a pas encore été ratifié par le congrès des États-Unis. Pour l’instant, seul l’ALE avec le Pérou a été ratifié, à la fois par la chambre des représentants et par le sénat. Dans le cas de la Colombie, l’accord a été mis en attente grâce à l’opposition du parti démocrate, actuellement majoritaire dans les deux chambres, étant donné les dénonciations qui pleuvent et qui émanent à la fois de la communauté nationale et internationale contre le gouvernement d’Alvaro Uribe, dont la relation étroite avec les groupes paramilitaires et les trafiquants de drogue a contribué à une escalade de violence, plus particulièrement dans les zones rurales de la Colombie. Il y a une espèce de pause dans l’adoption de cet ALE. La principale candidate du parti démocrate pour la présidence américaine, Hillary Clinton, a déclaré être contre l’ALE avec la Colombie. Il est donc maintenant improbable qu’il soit approuvé par le congrès américain en 2007. L’année 2008 ne sera peut-être pas non plus très propice, puisque les États-Unis seront en processus électoral et que les grands secteurs de l’opinion publique américaine sont extrêmement sensibles sur la question du libre échange. Tout est donc suspendu. Pendant ce temps, notre réseau en Colombie et les organisations avec lesquelles nous travaillons se préparent à mener leur dernière bataille — la bataille juridique devant la cour constitutionnelle qui, avant que l’ALE ne soit finalement approuvée, doit décider si l’ALE est conforme aux règles énoncées dans notre constitution nationale. Mais soyons clairs. Lorsque l’ALE entrera en vigueur, c’est à ce moment-là que la résistance augmentera. Lorsque les gens commenceront à voir des changements dans les politiques publiques et privées, nous sommes sûrs que la résistance croîtra. La résistance ne s’arrête pas à l’adoption d’un ALE. C’est là qu’elle commence à prendre forme.

Aurelio Suarez Montoya est le directeur exécutif de l’Association nationale pour la sauvegarde agricole de Colombie (Asociación Nacional por la Salvación Agropecuaria de Colombia), une coalition de plus de 100.000 agriculteurs colombiens, et membre du RECALCA (Réseau colombien d’action contre le libre-échange et la ZLEA).

Pour plus d’information :
http://www.salvacionagropecuaria.net ou http://www.recalca.org.co


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