bilaterals.org logo
bilaterals.org logo
   

Le CETA, cinq ans après : les négociations se prolongent

RTBF | 31 décembre 2022

Le CETA, cinq ans après : les négociations se prolongent

Par Augustin Woillard, Margaux Dubrulle

Cet article a été réalisé dans le cadre d’un atelier de journalisme collaboratif piloté par l’Université de Montréal et l’Université Libre de Bruxelles, en collaboration avec Radio Canada et la RTBF.

L’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union Européenne, le CETA (Comprehensive Economic Trade Agreement), est provisoirement entré en vigueur en 2017. Cinq ans plus tard tous les pays de l’UE n’ont pas encore ratifié ce traité. Des questions persistent autour des mécanismes d’arbitrage des différends entre Etats et investisseurs privés.

"Tout le monde ne se soucierait pas de l’avis de la Wallonie, si l’avis de la Wallonie n’était pas décisif". Le ministre-président wallon, Paul Magnette, devant son Parlement en 2016, bloquait la ratification du CETA pour la Belgique. L’Union Européenne était donc bloquée à son tour. Pendant deux semaines, la petite Région wallonne a cristallisé les tensions de la société civile autour de ce traité : défense des normes de production européennes, protections des producteurs européens face à la concurrence canadienne, et surtout, inquiétudes démocratiques autour du nouveau mécanisme de règlement des différends investisseurs-Etats, le Système de Cour d’Investissement (SCI).

Cinq ans après, tous les Etats européens n’ont pas ratifié le CETA et le traité n’est pas totalement entré en vigueur.

90%, c’est le pourcentage du CETA appliqué à l’heure actuelle. Ces 90% concernent tous les articles relevant des compétences de l’Union Européenne : les tarifs douaniers, les quotas d’importation et d’exportation, les règles concernant la propriété intellectuelle et plus généralement, tout ce qui relève du commerce. Les 10% toujours en négociation concernent la protection des investisseurs et les règles d’arbitrage entre les entreprises privées et les Etats. Le fameux Système de Cour d’Investissement (SCI).

Le SCI : une efficacité qui reste à prouver

Dans le cadre du CETA, la Commission européenne et le gouvernement canadien veulent mettre en place une nouvelle instance internationale d’arbitrage commercial. La nécessité de cette nouvelle instance s’explique par de vives critiques de l’ancien système de régulation – RDIE (Règlement des Différends Investisseurs-Etats). A la différence du RDIE, le Système de Cour d’Investissement (SCI), est censé être permanent et plus transparent.

SCI : Système de Cour d’Investissement

Cette cour est une instance de régulation du commerce international. Le système est censé régler les différends entre investisseurs et Etats dans le cadre d’accords commerciaux de manière transparente et en protégeant le droit des Etats à réguler pour eux- mêmes. Les cours sont composées de tribunaux d’arbitrage de première instance et de tribunaux d’appel.

RDIE : Règlement des Différends Investisseurs-Etats

Les RDIE sont, selon le Dico du Commerce International des "mécanismes d’arbitrage des différends entre investisseurs et Etats. Concrètement le principe permet de déléguer à un tribunal supranational le règlement d’éventuels conflits entre une entreprise (généralement une multinationale) qui s’estimerait spoliée du fait d’une législation et un Etat. L’objectif est de donner plus de pouvoirs aux entreprises face aux Etats, en permettant par exemple à une multinationale américaine d’attaquer la France ou l’Union européenne devant un tribunal arbitral international, plutôt que devant la justice française ou européenne."

Les RDIE et le SCI sont des mécanismes qui permettent aux entreprises de poursuivre des Etats devant des tribunaux spéciaux (appelés tribunaux d’arbitrage). Ces instances relèvent du droit international du commerce et se basent sur les principes de compétition. Ainsi, si une entreprise estime que les régulations internes d’un Etat portent atteinte à la libre concurrence et à sa capacité à faire du commerce comme elle l’entend, alors elle peut porter plainte devant ces instances. Les RDIE ne sont pas régis par un régime international unique. Chaque accord donne lieu à des régimes de RDIE différents. Les termes y sont volontairement flous pour faciliter l’interprétation des tribunaux d’arbitrage. Les juges siégeant dans ces tribunaux ne se basent donc pas sur des règles ancrées mais établissent la jurisprudence au fur et à mesure.

Les RDIE sont apparus pour la première fois en 1959 lors d’un accord international entre l’Allemagne et le Pakistan. Ce mécanisme répondait à la peur des entreprises dans les Etats développés de subir des mauvais traitements dus à l’instabilité politique des Etats du Tiers-Monde.

Il y a un paradoxe de nature dans le fonctionnement des RDIE. Ce sont des mécanismes qui ont pour but de résoudre des différends entre acteurs commerciaux privés. Or, les traités internationaux bilatéraux incluent des Etats, acteurs qui tirent leur légitimité de l’intérêt général et non d’intérêts privés. Cette notion d’intérêt général (ou intérêt public) est complètement absente du système des RDIE.

Le SCI est composé de cours de justice à part entière et permanentes. La Commission affirme que ce système sera régi par les principes "d’équité et d’impartialité avec des juges indépendants pour statuer sur des affaires et des jurisprudences pour garantir le droit des gouvernements à réguler dans l’intérêt du public".

Ces bonnes intentions sont nuancées par des effets pratiques qui ressemblent grandement aux effets des RDIE. Un groupe d’ONG canadiennes et européennes s’est demandé si de grandes affaires de différends investisseurs-Etats auraient été réglées différemment sous le régime du SCI qu’elles ne l’ont été sous celui des RDIE. Les conclusions ne sont pas flatteuses pour le nouveau modèle :

  • Les investisseurs étrangers pourront toujours choisir à quelle instance ils souhaitent s’adresser. Ils ne seront toujours pas obligés de recourir aux cours et tribunaux domestiques et pourront passer directement devant les tribunaux d’arbitrage du SCI.
  • Les investisseurs étrangers sont toujours les seuls à pouvoir saisir ces tribunaux. Les citoyens et gouvernements qui se sentent lésés par les actions de certaines entreprises (notamment au niveau sanitaire et environnemental) ne peuvent toujours pas recourir à ce système. De plus, les investisseurs peuvent quitter la procédure du SCI à tout moment et se replier sur le mécanisme des RDIE.
  • Les juges siégeant dans les tribunaux d’arbitrage ne sont pas aussi indépendants qu’annoncé. Ce ne sont pas des salariés des cours mais ils sont payés à la journée (ce qui les incite de facto à trancher en faveur des investisseurs.)

Seuls les investisseurs peuvent saisir les cours. Les juges ne sont payés que lorsqu’ils rendent des jugements et si les juges ne tranchent pas en leur faveur, il y a des chances que les investisseurs ne saisissent plus la cour. Les juges ne seraient alors pas payés. De plus, il n’y a pas de garantie contre les conflits d’intérêts ni d’interdiction d’être rémunéré pour un travail similaire déjà fourni lors d’une procédure de RDIE.

Il faut rappeler que malgré ces critiques, la cour de Justice de l’UE a estimé que les tribunaux d’arbitrage ne présentaient pas de menace pour les valeurs démocratiques européennes. Après avoir été saisie par la Belgique en 2017, la Cour a estimé en 2019 que "le CETA contient des garanties suffisantes pour assurer l’indépendance des membres des tribunaux envisagés."

Le SCI n’a encore jamais été testé, et malgré les promesses de la Commission européenne, certains Etats membres ne semblent pas satisfaits du fonctionnement théorique de ce système.

L’opacité des comités de concertation

A ce stade les négociations autour du CETA se mènent au sein des comités de concertation. Il y en a 18 au total qui s’occupent chacun d’une thématique particulière. On y retrouve des officiels du gouvernement canadiens et des membres de la Commission européenne. Ces comités font l’objet de critiques pour leur fonctionnement opaque et leur manque d’inclusion de représentants des citoyens.

Mirjam Hägele, coordinatrice pour l’ONG européenne Foodwatch International exprime ses réserves au sujet de ces comités :

“Le problème avec les comités du CETA c’est qu’ils sont très puissants et que le Parlement n’a aucun contrôle sur eux. Ils travaillent de manière très opaque donc c’est difficile d’estimer quelles sont les positions des différentes parties. Tout est fait à huis clos. Il y a un manque de transparence et un manque de responsabilité.”

Le CETA est ce que l’on nomme un accord " de nouvelle génération ". Cela signifie qu’il est variable. En plus des 2300 pages du traité, des annexes sont laissées blanches pour pouvoir ajouter des règlements. Mirjam Hägele y voit un risque grave pour la souveraineté des Etats.

“Si un des Parlements parmi les Etats membres ratifie le CETA, il donne effectivement un chèque en blanc aux comités et à la Commission car il n’aura plus de contrôle sur les annexes du traité laissées expressément blanches.”

Tous ces enjeux démocratiques expliquent la durée des négociations. Le Parlement wallon a fini par donner sa confiance au gouvernement fédéral. Mais la Belgique, comme beaucoup d’Etats européens n’a pas encore suffisamment confiance dans cette partie du traité pour donner son assentiment. Le ton est donné par Selin Salün, porte-parole de Rudi Vervoort, ministre-président de la Région bruxelloise :

“Le gouvernement bruxellois n’évaluera l’opportunité de soumettre à son Parlement une ordonnance d’assentiment au CETA que sur base d’une évaluation du respect de l’ensemble des engagements pris lors de la signature de l’accord en 2016 par la Commission et le Conseil. [ndlr : Selin Salün parle ici des engagements pris pour faciliter l’accès au SCI pour les PME et les indépendants].”


 source: RTBF