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Les citoyens allemands vent debout contre le traité Tafta

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Reporterre | 10 octobre 2015

Les citoyens allemands vent debout contre le traité Tafta

Violette Bonnebas

 Actualisation - Samedi 10 octobre, 21 heures : La manifestation a réuni plus de cent cinquante mille personnes à Berlin. Il semble que cette marche contre le TAFTA ait été la plus grande manifestation en Allemagne depuis 2003 contre la guerre en Irak.

 Berlin, correspondance

C’est l’un des pays les plus libéraux d’Europe et pourtant, c’est lui qui pourrait faire échouer les négociations commerciales entre l’Union européenne, le Canada et les États-Unis. L’Allemagne se prépare à défiler en nombre, ce samedi à Berlin, contre les traités de libre-échange CETA (l’Accord économique et commercial global) et Tafta (le Traité de libre-échange transatlantique, son autre nom étant le TTIP, le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement), dont le prochain round de négociations s’ouvre dans neuf jours à Miami. Les organisateurs attendent plus de 50.000 participants, venus de tout le pays. Cinq trains spéciaux et 600 bus ont été affrétés pour l’occasion.

Ce n’est pas un hasard si Berlin a été choisie pour lancer aujourd’hui la semaine d’action internationale antitraités transatlantiques. C’est en Allemagne que le mouvement de protestation est le plus important et le mieux organisé. En avril, plusieurs dizaines de milliers de personnes avaient déjà manifesté dans 170 communes allemandes, notamment à Munich, Stuttgart, Cologne et Leipzig - quand on peinait à rassembler en France et ailleurs.

Révélations d’Edward Snowden

L’ampleur de la contestation allemande se mesure également sur Internet : la pétition en ligne « Stop TTIP and CETA », remise mardi à Bruxelles, a rassemblé plus d’un million et demi de signatures outre-Rhin. C’est presque la moitié du total recueilli, trois fois plus qu’au Royaume-Uni, cinq fois plus qu’en France, vingt-deux fois plus qu’en Italie.

Les reproches adressés à ce projet de marché commun transatlantique sont multiples. Parmi eux, l’opacité des négociations. Il a fallu des fuites dans la presse pour que l’on entr’aperçoive le document servant de cadre aux discussions. C’est alors que les pommes de discorde ont commencé à mûrir : dégradation des services publics, introduction forcée d’OGM sur les marchés européens, risque d’impunité pour les multinationales, et bien d’autres.

« En Allemagne, la majorité des opposants n’est pas contre l’idée d’un nouveau marché commun, explique Steffen Hindelang, professeur de droit public à l’Université libre de Berlin. Mais le Tafta est un accord tellement vaste qu’il a fédéré contre lui une accumulation de mouvements aux revendications très différentes. » On retrouve ainsi des organisations altermondialistes (Attac, Campact), écologistes (Greenpeace, les Amis de la Terre), mais aussi des partis politiques allemands (die Grünen et die Linke) ainsi que la Confédération des syndicats allemands (DGB), proche des sociaux-démocrates. Et même, surprise, un collectif de petites et moyennes entreprises qui dénonce le risque de voir les multinationales leur verrouiller la porte des marchés.

Outre-Rhin, deux événements d’actualité ont fait basculer l’opinion en 2014, en pleine négociation. D’abord, les révélations d’Edward Snowden sur la surveillance états-unienne de l’État et des citoyens allemands. « Cette affaire a conduit à un scepticisme certain vis-à-vis des Américains », affirme Steffen Hindelang. L’Institut Delors confirme la corrélation, en notant une forte érosion dans les sondages du soutien allemand aux traités, dans le courant de l’année dernière.

« Riches et hystériques »

Deuxième catalyseur de la défiance, l’action en justice du groupe énergétique suédois Vattenfall contre la sortie allemande du nucléaire. Il réclame près de 4,7 milliards d’euros de dommages et intérêts à l’État allemand… non pas devant la justice allemande ou suédoise, mais devant une juridiction arbitrale basée à Washington, l’un de ces fameux tribunaux privés qui permettent aux entreprises de contester les décisions des États, et que le Tafta entend généraliser.

Si de larges pans de la société allemande réclament l’arrêt des négociations, le gouvernement d’Angela Merkel, lui, ne l’entend pas de cette oreille. Le vice-chancelier Sigmar Gabriel (SPD, sociaux-démocrates) a bien affirmé l’an dernier qu’il s’opposait au point concernant l’arbitrage des litiges États/entreprises, mais il a depuis adouci sa position. En janvier, il expliquait même à Davos que si les débats sur le Tafta étaient compliqués dans son pays, c’était « parce que les Allemands (étaient) riches et hystériques ».

Il se pourrait que les manifestants d’aujourd’hui aient plus de soutien politique à chercher du côté de Paris que de Berlin. Cette semaine, la France a menacé à deux reprises, par la voix de son secrétaire d’État aux Commerce extérieur, Mathias Fekl, de mettre fin aux négociations « si rien ne change dans un délai raisonnable, c’est-à-dire dans les jours qui viennent et dans le courant de l’année 2016 ».

UNE SEMAINE DE MOBILISATION EN EUROPE

La manifestation berlinoise lance une semaine d’action internationale pour les détracteurs du Tafta. Des centaines de rassemblements sont prévus jusqu’au 17 octobre dans la plupart des pays de l’Union européenne. L’agenda français est à retrouver ici.


 source: Reporterre