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Les élections au Brésil pourraient donner un nouvel élan aux accords de libre-échange

Swiss Info | 7 septembre 2022

Les élections au Brésil pourraient donner un nouvel élan aux accords de libre-échange

par Sibilla Bondolfi, Alexander Thoele

Tandis que les accords de libre-échange avec les pays européens patinent, l’Amérique latine s’ouvre vers l’Asie. Mais les prochaines élections présidentielles au Brésil pourraient être déterminantes pour la Suisse, qui souhaite ratifier un accord de libre-échange avec le géant sud-américain.

Le gouvernement Lula a été le plus corrompu de l’histoire du Brésil, a lancé, lors d’un duel télévisé, le président sortant Jair Bolsonaro à son adversaire. L’ancien chef d’Etat Luiz Inácio Lula da Silva a aussitôt répliqué: «Ce pays que j’ai gouverné est un pays que le président actuel est en train de détruire.»

La campagne électorale bat son plein. Pour Berne, le résultat des élections brésiliennes d’octobre est important. Le futur président du Brésil aura une influence sur l’accès de la Suisse au marché latino-américain.

Retard

En collaboration avec les autres Etats de l’AELE – la Norvège, le Liechtenstein et l’Islande –, la Suisse a négocié un accord de libre-échange avec les pays du Mercosur que sont l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay. Mais la date de ratification demeure inconnue.

Selon Manfred Elsig, directeur adjoint du World Trade Institute de l’Université de Berne, l’accord serait prêt à être ratifié par la Suisse d’un point de vue purement économique, car les craintes de l’agriculture helvétique quant au degré de libéralisation des produits agricoles ont pu être en grande partie levées. En revanche, «le fait que l’actuel président brésilien et sa politique en Amazonie aient suscité de nombreuses critiques en Suisse pose des difficultés. Les organisations non gouvernementales considèrent qu’un accord commercial serait un mauvais signal.»

Des protestations ont eu lieu tant en Amérique latine qu’en Suisse contre le traité, qualifié autant de «néo-colonialiste» que d’«absurdité en matière de politique climatique».

Les organisations non gouvernementales (ONG) ne seraient pas mécontentes de voir l’accord de libre-échange disparaître au fin fond d’un tiroir, comme le confirme Alliance Sud, la coalition d’ONG suisses actives dans le domaine de la coopération internationale.

Protection de l’environnement versus libre-échange

Pour l’Union européenne (UE) également, la déforestation de la forêt tropicale au Brésil représente l’un des obstacles à la ratification de l’accord de libre-échange négocié pendant des décennies avec le Mercosur. Le Parlement européen insiste pour que des améliorations soient apportées dans le domaine de l’environnement. L’UE souhaite, avec l’aide du Brésil, conclure ces avenants d’ici à la fin de l’année, et espère que les élections favoriseront l’accord avec le Mercosur.

Cela profiterait également à la Suisse. Les différends commerciaux entre l’UE et le Mercosur contribuent à retarder la ratification de l’accord avec l’AELE. «Nous partageons pleinement les préoccupations de l’UE concernant la situation environnementale et sommes en contact avec la Commission européenne», écrit le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), tout en soulignant que la situation est différente. L’accord UE-Mercosur entraînerait de nouveaux échanges commerciaux de produits à fort impact écologique, alors que le traité AELE-Mercosur n’aurait pas d’impact environnemental significatif, d’après une étude de l’Université de Berne. Selon la modélisation, la déforestation imputable à l’accord de libre-échange de l’AELE avec les pays du Mercosur pourrait augmenter de 0,02% à 0,1% dans le pire des cas. Les autrices et auteurs de l’étude estiment néanmoins que l’effet sera faible, voire inexistant.

Berne ne doit pas nécessairement attendre la conclusion des négociations entre l’UE et le Mercosur, selon Manfred Elsig. Les vents contraires semblent plus forts dans l’UE qu’en Suisse.

Lula ou Bolsonaro?

Jair Bolsonaro est actuellement à la traîne dans les sondages. L’UE place de grands espoirs en Luiz Lula. Celui-ci a promis de réviser l’accord avec l’UE et de le compléter par des clauses sur les droits humains et la protection de l’environnement, pour que le texte puisse tout de même être ratifié. «Nous partons du principe que le gouvernement de Luiz Lula aurait, lui aussi, intérêt à conclure l’accord», explique le SECO.

Mais n’est-ce pas qu’une simple promesse de campagne électorale? Philippe G. Nell, ambassadeur honoraire de la Chambre de commerce Suisse-Amérique latine, déclare: «Lors de ses deux premières présidences, Lula n’a pas mis l’accent sur le libre-échange par le biais du Mercosur, mais sur des progrès dans le domaine social. Dans le cadre d’un éventuel nouveau mandat, il prévoit de se concentrer, au niveau international, sur le renforcement de la coopération Sud-Sud avec l’Afrique et l’Amérique latine.»

«Luiz Lula et son Parti des travailleurs tenteront donc de renforcer la place économique brésilienne en Amérique latine, sans l’exposer à plus de concurrence via des accords de libre-échange avec les pays industrialisés.» Aussi, la perspective de conclure un accord, tant pour l’UE que pour les pays de l’AELE, devrait s’éloigner en cas de nouvelle présidence de Lula, d’après Philippe G. Nell.

De son côté, le sénateur brésilien Nelsinho Trad, président du groupe d’amitié parlementaire Brésil-Suisse fondé en avril 2022, relève que, si le président joue un rôle important dans l’orientation de la politique commerciale extérieure du pays, c’est le Congrès, c’est-à-dire le Parlement, qui ratifie les accords internationaux: «Le Congrès n’a pas encore eu l’occasion de débattre de la ratification de l’accord de libre-échange entre le Mercosur et l’AELE.» Le social-démocrate est néanmoins convaincu que le Parlement approuvera le texte. Selon lui, le groupe d’amitié parlementaire Brésil-Suisse, qui est un instrument d’échange entre les parlements, peut contribuer au débat au Sénat.

Plus de concessions commerciales

Toutefois, la crise persistante chez le voisin, l’Argentine, qui connaît l’un des taux d’inflation les plus élevés du monde et de graves problèmes de balance des paiements, n’incitera pas le gouvernement brésilien à ouvrir davantage son économie à la concurrence internationale, souligne Philippe G. Nell.

Le président argentin récemment élu, Alberto Fernández, demande plus de concessions commerciales dans le régime d’importation de l’UE et donc de l’AELE. «Le Brésil ira dans une direction similaire en cas d’élection de Lula», envisage Manfred Elsig. Bien que Luiz Lula fasse preuve de plus de sensibilité aux questions environnementales, il souhaitera certainement obtenir un meilleur accès au marché pour l’industrie et l’agriculture brésiliennes.

L’Asie plutôt que l’Europe

Mais le Mercosur pourrait s’ouvrir prioritairement à l’Asie et seulement de manière secondaire à l’Europe. L’alliance a récemment conclu un accord de libre-échange avec Singapour et des négociations similaires sont en cours avec la Corée du Sud. De plus, le Brésil souhaite discuter d’un accord avec l’Indonésie et l’Uruguay veut, si nécessaire en faisant cavalier seul, pratiquer le libre-échange avec la Chine.

L’Amérique du Sud dispose de matières premières, produit des denrées alimentaires et constitue un grand marché. Cela fait de la région un partenaire économiquement intéressant, notamment au vu des répercussions de la guerre en Ukraine.

L’UE a récemment annoncé qu’elle avait fait de l’accord de libre-échange avec le Mercosur une priorité pour gagner du terrain en Amérique latine face à la Chine.

La Suisse aussi entend maintenir le traité: «Nous nous efforçons de parvenir à un accord dès que possible», assure le SECO. Un meilleur accès aux marchés du Mercosur revêt une grande importance pour l’économie helvétique. «C’est précisément dans des périodes de turbulences comme celles-ci que des conditions-cadres stables sont essentielles pour notre économie d’exportation», indique le SECO. Selon le Conseil fédéral, l’accord permettra à moyen terme d’exonérer de droits de douane environ 95% des exportations suisses vers les pays du Mercosur.

«Il est encore trop tôt pour laisser l’accord dormir dans un tiroir», selon Manfred Elsig. Il ne manquerait pas grand-chose pour que l’accord AELE-Mercosur obtienne un soutien politique suffisant – des deux côtés. Dans ce cas, les ONG auraient prématurément enterré ce traité économique transcontinental.


 source: Swiss Info