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Les impacts de la nouvelle phase de l’ALENA au Mexique : Sans maïs, il n’y a pas de pays...

Presse-toi à gauche | 9 janvier 2008

Les impacts de la nouvelle phase de l’ALENA au Mexique
Sans maïs, il n’y a pas de pays...

par Claudia Martinez

Le premier janvier 2008, le chapitre agricole de l’Accord de libre échange nord américain (ALENA) est entré en vigueur au Mexique, permettant une ouverture commerciale totale de produits très sensibles pour l’économie et l’alimentation mexicaine, entre autre le maïs et les haricots. Les organisations sociales et paysannes se mobilisent à travers le pays pour dénoncer cette nouvelle attaque à la sécurité alimentaire et à la survie même de la paysannerie.

Depuis l’entrée en vigueur de l’Accord de libre échange nord américain (ALENA) en 1994, entre le Canada, le Mexique et les États-unis, on ne cesse de nous répéter dans les médias de masse, que cet accord convient aux trois partis et que chacun y trouve son compte. Or, lorsque l’on regarde la détérioration de la situation économique et sociale au Mexique depuis 13 ans, force est de constater que l’application des politiques néolibérales a des conséquences catastrophiques sur la qualité de vie des mexicaines, particulièrement au niveau de la sécurité alimentaire et de la survie de la paysannerie. En fait, l’ALENA n’a bénéficié qu’à une minorité de grands producteurs du nord du pays qui avaient le capital, les instruments, la technologie et les infrastructures pour pouvoir être compétitifs, pendant que se dégrade jour après jour la qualité de vie de l’immense majorité.

Les chiffres démontrent que les promesses qui ont été faites sur les avantages de l’ALENA au Mexique ne se sont pas accomplies. On a dit que les aliments seraient moins chers, qu’il allait y avoir plus d’emplois et que les emplois allaient être mieux rémunérés. Rien de tout cela ne s’est avéré vrai. C’est exactement le contraire s’est produit.

En 1994, il y avait 12 millions de pauvres au Mexique. Aujourd’hui, il y en a plus de 50 millions. De ces 50 millions de pauvres, presque 20 millions, en pauvreté extrême, vivent à la campagne. Avant l’application du traité de libre échange, 26 000 Mexicains migraient chaque année vers les États-unis. Aujourd’hui, ils sont près de 600 000. Une personne perd la vie chaque jour en essayant de traverser la frontière. [1]

2008 : L’entrée en vigueur du chapitre agricole de l’ALENA

Le premier janvier 2008, le chapitre agricole de l’ALENA est entré en vigueur au Mexique, permettant une ouverture commerciale totale (levée des tarifs douaniers) de produits très sensibles pour l’économie et l’alimentation mexicaine, soit le maïs, les haricots, le sucre et le lait en poudre. Ce sont 8 millions de paysans qui seront affectéEs, sans parler de l’augmentation du prix des denrées de base qui affectera l’ensemble de la population.

Olegario Carrillo Meza, coordinateur de l’Union nationale des organisations régionales paysannes autonomes décrit la situation :

« La libéralisation commerciale promue par le néolibéralisme a provoqué de graves problèmes sociaux et économiques dans les communautés rurales dont la principale activité économique est l’agriculture : abandon et concentration de la terre, intensification de la migration de la campagne à la ville et aux États-unis, augmentation de la pauvreté, et augmentation de la marginalisation rurale et urbaine. »

De plus, « les transnationales de l’alimentation contrôlent les marchés et détruisent la capacité des petits producteurs qui ne peuvent pas entrer en compétition contre les importations sur leur propre marché. C’est la loi de la jungle, selon laquelle le grand mange le petit, avec comme résultat le fait que l’agriculture paysanne s’en va en ruine. Il est important de souligner que si les paysans mexicains produisent plus cher, ce n’est pas par manque d’efficacité, sinon parce que le prix des facteurs de production est plus grand et que les appuis qu’ils reçoivent de la part du gouvernement ne se comparent pas avec ceux que reçoivent de la part de leur propre gouvernement les agriculteurs des États-Unis et du Canada. Ce que veulent les paysans mexicains, c’est une relation commerciale équitative et juste. » [2]

Selon les autorités mexicaines, la crise de la production rurale n’a pas pour origine l’ALENA, sinon des raisons anciennes et structurelles.

Effectivement, la crise de la production rurale date des années 1970, lorsqu’il y a eu un changement dans la politique économique et que la production rurale a commencé à être démantelée. Cependant, cette nouvelle étape de L’ALENA vient mettre en évidence la marginalisation de l’agriculture, le manque de politiques publiques efficaces et le laisser-aller avec lequel on prétend pouvoir entrer en compétition avec deux puissances agricoles, le Canada et les États-Unis, qui subventionnent autour de 50% de leur production agricole.

Federico Ovalle Vaquera et Emilio López Gámez, de la Centrale Indépendante d’ouvriers agricoles et paysans, mentionnent qu’en 1993, le Mexique importait 156 000 tonnes de maïs, alors que pour cette année, on évalue l’importation à 10.8 millions de tonnes !

Actuellement, plus de 22% des grains de maïs consommés au Mexique sont importés. De plus, la balance commerciale agricole depuis 14 ans présente une perte de 2.5 millions de dollars américains par année. 70% des personnes habitants dans les zones rurales vivent la pauvreté. Le salaire rural s’est détérioré de 60% y jusqu’à maintenant, plus de 2 millions d’emplois ont été perdus dans ce secteur.

La perte du pouvoir d’achat du salaire minimum depuis 1994 est dévastatrice. Dans le cas de la tortilla, au lieu de 38,2 kilos en 1994, le salaire minimum ne permet aujourd’hui d’acheter que 5,7 kilos. Même chose pour les haricots, on est passé de 8,3 à 3,14 kilos. Dans le cas du lait, on ne peut à présent acheter que 5 litres alors qu’avant l’ALENA, c’est 16,3 litres que l’on pouvait acheter avec le salaire minimum. [3]

Il y a un réel danger que cette ouverture commerciale se traduise par une augmentation du prix des denrées de base, avec les risques sociaux qui y sont attachés.

Dans le cas particulier du maïs, qui est à la base de l’alimentation mexicaine, le prix s’est déjà élevé dangereusement depuis un an, parce que les États-Unis ont utilisé leurs excédents pour produire de l’éthanol et que le Mexique dépendait déjà, dans une grande proportion, des importations de maïs provenant des États-Unis. Le gouvernement a d’ailleurs dû imposer, à cause du mécontentement général, un prix plafond à la vente de tortilla, qui avait plus que doublé dans certaines régions du pays. Il menace d’ailleurs d’augmenter sensiblement ce prix plafond à partir du mois de février. Les choses ne risquent pas de s’améliorer avec cette nouvelle phase de l’ALENA et la dépendance alimentaire accrue qu’elle implique.

La résistance

Durant l’année 2007, des dizaines d’organisations paysannes ont élevé la voix pour demander une révision du chapitre agricole de l’ALENA, à cause de l’asymétrie ressentie vis-à-vis des États-unis et du Canada. Ces organisations proposaient un mécanisme de régulation des importations et des exportations, particulièrement pour le maïs et les haricots. Mais les députés du Parti action nationale (PAN) au pouvoir ainsi que du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), ont voté contre.

Dans ce contexte, des centaines de paysans continuent la bataille pour survivre et organisent la résistance pour que la dernière étape d’ouverture du secteur agricole, dans le cadre de l’ALENA, ne se convertisse pas en coup de grâce pour eux.

Le premier janvier 2008, des centaines de paysans et de militants d’organisations sociales du Mexique et des États-unis ont bloqué certains accès frontaliers avec les États-unis, pour rappeler que l’ALENA, ainsi que l’augmentation de l’importation des aliments, constituent une contre révolution sociale et agraire, qui prétend concentrer à nouveau dans une vingtaine de grandes corporations agroalimentaires mexicaines et transnationales les ressources qu’avaient réussi à récupérer les paysans et les indigènes du pays tout au long du 20ième siècle, à partir de la Révolution mexicaine.

Les organisations sociales veulent, par ces actions coordonnées à la frontière, (mais qui ont aussi pris différentes formes à travers le pays), construire un grand mouvement de résistance national en faveur de l’agriculture mexicaine. Et cela, pour protester contre le refus du gouvernement de renégocier l’accord commercial. À partir du 10 janvier, une série de caravanes se mettront en marche à partir de différents points du territoire national pour converger à Mexico.

Cette année s’annonce difficile au Mexique. En plus de l’ouverture commerciale totale sur les produits agricoles, les ressources naturelles du pays, entre autre le pétrole, sont menacées de privatisation par le gouvernement illégitime de Felipe Calderon (voir Le Mexique en crise). Il en va de même pour le système de santé public.

Cette volonté du gouvernement d’imposer des projets qui vont contre les intérêts de la majorité des mexicains va de paire avec une augmentation de la répression envers ceux et celles qui s’opposent aux projets néolibéraux. La solidarité internationale sera cruciale pour les organisations sociales, syndicales et paysannes mexicaines.

Footnotes:

[1La jornada, 30 décembre 2007.

[2Miriam Posadas y Matilde Pérez U. La Jornada, 30 décembre 2007. Grupos campesinos se organizan para no recibir “tiro de gracia” del TLCAN.

[3Miriam Posadas y Matilde Pérez U. La Jornada, 29 décembre 2007. El agro mexicano llega polarizado y mermado al último tramo del TLCAN.


 source: Presse-toi à gauche