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Libre-échange Etats-Unis/Maroc : Il y a encore du travail...

L’économiste | 10 août 2004

Libre-échange Etats-Unis/Maroc : Il y a encore du travail...

Par le Dr Adam Mekaoui, avocat, Cabinet August & Debouzy*

« Un accord de libre-échange avec le Maroc renforcera notre relation (déjà) privilégiée avec un partenaire économique et politique clé au Moyen-Orient ». Au-delà des usages diplomatiques, la déclaration du représentant fédéral du Commerce, Robert B. Zoellick, met en lumière l’intérêt d’un accord de libre-échange entre les Etats-Unis et le Maroc. Les deux pays ont en effet des liens historiques et des intérêts géopolitiques communs, que le faible niveau de leurs échanges économiques a jusqu’à présent occultés.

En effet, les échanges entre les deux partenaires (850,3 millions de dollars en 2003) se sont développés dans un cadre institutionnel assez modeste : un accord sur la non double imposition (1977), un bilateral investment treaty (1985), un trade and investment framework agreement (1995) et un open sky agreement en 2001.

Repositionnement

Toutefois, il semblerait que le jeu complexe issu de l’après-11 septembre ait fait du Maroc un vecteur de choix pour une stratégie moyen-orientale et africaine plus large. C’est ainsi qu’en avril 2002, le Roi du Maroc et le Président des Etats-Unis ont appelé à la négociation et à la conclusion de l’accord qui a été signé (après sept rounds de négociations) à Washington le 15 juin 2004.

Le Maroc exporte sur le marché américain (moyenne des droits de douane de 4%) des phosphates, des transistors, des semi-conducteurs et des minéraux. Les Etats-Unis exportent sur le marché marocain (moyenne des droits de douane de 20%) des grains, des pièces manufacturées et des avions.

En vertu de l’accord, les Etats-Unis et le Maroc accordent le traitement national à leurs produits respectifs et s’engagent parallèlement à un programme d’élimination des tarifs douaniers, des barrières non tarifaires (BNT) telles que les licences à l’importation, quotas à l’importation, restrictions commerciales injustifiées affectant les nouvelles technologies américaines en particulier, et toutes autres restrictions commerciales.

Pour l’agriculture et l’industrie, le Maroc va être confronté à des choix difficiles. La mise en œuvre de l’accord va affecter le secteur agricole traditionnel ainsi que l’ensemble du monde rural.

Services transfrontières

Peu importe l’option retenue in fine, les départements ministériels concernés ne pourront faire l’économie d’une réorganisation du secteur, comprenant entre autres, le développement de nouvelles méthodes de production, d’irrigation, la reconversion de la main-d’œuvre agricole (dans le tourisme rural ou d’autres secteurs telle l’industrie d’exportation) et l’appui direct à la production (en remplacement des droits de douane). Les conséquences devraient être un repositionnement des entreprises afin d’anticiper et identifier les nouveaux marchés d’exportation, repenser le positionnement marché et l’utilisation des canaux de distribution commerciale adéquats (établissement de systèmes d’information relatifs aux secteurs cibles du marché américain).

Les engagements en matière de services couvrent la fourniture transfrontière, via les moyens électroniques et/ou franchissements transfrontières par les nationaux des deux parties, ainsi que la liberté d’établissement par le biais de la présence locale.

L’accès traditionnel au marché des services devrait être renforcé par des réglementations détaillées : les autorités réglementaires pertinentes devront adopter des procédures administratives ouvertes et transparentes, lancer des consultations avec les parties intéressées avant de mettre en place des réglementations, fournir les notices préalables et publier toutes les nouvelles réglementations.

Le Maroc devra accorder un accès substantiel à son marché basé sur l’approche de la “liste négative”, c’est-à-dire une liste limitée d’exceptions. Les obligations marocaines en matière d’accès au marché devraient prioritairement porter sur les secteurs télécoms, tourisme, transport, énergie, services financiers assurance, eau/environnement, équipements.

Les banques ainsi que les institutions financières américaines devraient à terme pouvoir offrir leurs services aux consommateurs marocains, établir des filiales et des succursales ainsi que prendre des participations dans des compagnies locales sans limitations (excepté dans des circonstances très limitées). A ce titre, l’autorisation de prises de participations étrangères de 100% dans le capital des compagnies d’assurance marocaines est un signe avant coureur de ce mouvement de libéralisation du secteur financier.

Grande nouveauté : Le règlement des différends

C’est la grande nouveauté de l’accord. Le mécanisme de règlement des différends est d’application lorsqu’une partie prend une mesure non conforme avec ses obligations en vertu de l’accord, ou qui annule ou compromet un avantage qui allait lui échoir en vertu des règles relatives à l’accès aux marchés, règles d’origine, marchés publics, commerce des services ou droits de propriété intellectuelle.

La partie plaignante est libre de choisir le forum adéquat. S’ouvre ensuite une période de consultations. En cas de non-règlement, l’affaire est renvoyée devant un comité mixte, puis à un groupe spécial qui présente aux parties un rapport initial, et dans un second temps, un rapport final. Si le groupe spécial détermine qu’une partie ne s’est pas conformée à ses obligations ou qu’une mesure prise annule ou compromet un avantage, il recommande l’élimination de ladite mesure. Si la partie visée par la plainte n’élimine pas ladite mesure, elle devra verser une indemnité à la partie plaignante. En cas de refus de paiement de l’indemnité, la partie plaignante pourra suspendre les avantages accordés à la partie visée par la plainte.

L’accord va accélérer la réforme de la justice commerciale, condition essentielle pour que la ZLE soit crédible (renforcement de la capacité des tribunaux de commerce, mise à jour des lois et réglementations relatives au commerce). Ainsi, la création des cours commerciales est relativement récente au Maroc (loi de 1997). Depuis 2000, l’Usaid fournit une assistance technique en matière de support analytique (politique commerciale) au ministère de la Justice ainsi qu’un support opérationnel pour la Cour commerciale d’Agadir. L’apport de l’Usaid (6 millions de dollars) pour le projet d’Agadir a eu un effet de levier pour financer la réforme du secteur judiciaire, à hauteur de 27,5 millions de dollars (UE, Banque Mondiale, Espagne et France).

En conclusion, dans un contexte mondial de réorganisation des économies nationales, marqué par de très fortes contraintes sur les marchés domestiques, l’accord constituera un instrument fort utile. Toutefois, les réformes vont peser en priorité sur le Royaume du Maroc, ce qui laisse entrevoir toute une série d’ajustements dans des secteurs fondamentaux tels que le monde rural, secteurs économiques d’exportation, travail des enfants, environnement, secteur informel, droits de propriété intellectuelle, liberté de mouvement de capitaux, services financiers.

* Le Cabinet August & Debouzy est un important cabinet de droit des affaires en France. Voir http://www.august-debouzy.com.


Petit rappel des prudences de l’accord

— Industrie
L’accord institue un accès réciproque aux marchés textiles et manufacturés. Il prévoit l’élimination des barrières douanières entre les deux partenaires avec des ajustements dans le temps pour les produits affectés par l’ouverture. Il existe des mesures de sauvegarde spéciales textiles. Si à la suite de la baisse des droits de douane, un textile est importé sur le territoire d’une partie en quantités telles que cela cause ou risque de causer un préjudice à la partie importatrice, celle-ci peut prendre des mesures de sauvegarde sous forme d’augmentation de droits de douane.

— Agriculture
Les signataires de l’accord s’engagent à éliminer les subventions à l’exportation en matière de produits agricoles ainsi que les financements des entreprises publiques exportatrices de produits agricoles. Dans ce domaine sensible, les craintes ne se sont pas fait attendre. “L’option Zéro” proposée initialement par les Etats-Unis, a finalement été écartée par les négociateurs marocains, car jugée dévastatrice. Il a donc été décidé un démantèlement progressif (de 0 à 18 ans), le tout couplé à un programme gouvernemental d’appui au secteur. Par ailleurs, les parties vont gérer des quotas tarifaires fonctionnant sur le principe d’un tarif préférentiel dans la limite d’une certaine quantité de produit (bœuf par exemple). Enfin, en vertu d’une clause préférentielle, les Etats-Unis bénéficient d’un alignement sur les concessions marocaines accordées à l’Union européenne au titre de l’accord euroméditerranéen de libre-échange.

Préparer les législations sociales et environnementales

Conformément au règlement des différends mis en place par l’accord, si une partie ne s’est pas conformée à la mise en oeuvre des législations sociales et environnementales et qu’aucune solution n’est trouvée pour y remédier, la partie plaignante peut demander une indemnité financière annuelle, celle-ci étant limitée à un montant maximal de 15 millions de dollars US.

— Social
Le Maroc va progressivement mettre en place une réglementation effective sur le travail des enfants. En vertu de l’accord, la législation sociale ne doit en aucun cas constituer un instrument d’incitation aux investissements américains. En clair, pas de dumping social. Le code marocain du travail autorise le travail dès l’âge de 15 ans. La mise en œuvre de ce principe est respectée dans certaines industries, par contre, elle l’est moins en ce qui concerne le secteur informel (cuir, métal, bois, céramique, agriculture, services : personnel de maison notamment). Parallèlement, le Maroc devra mettre en place des programmes de formation des jeunes non scolarisés dans les secteurs bénéficiaires (tourisme, produits manufacturés, agriculture d’exportation) ou menacés (agriculture traditionnelle, monde rural).

— Environnement
La législation marocaine sur l’environnement est en cours d’adoption. Elle concerne une protection de l’environnement minimale, une législation sur la qualité de l’air et une loi conditionnant les projets industriels à des études d’impact sur l’environnement.

Le Maroc devra développer sur la période 2004-2006 des réglementations et mécanismes renforçant cette législation. En vertu de l’accord, le Maroc ne pourra pas faire du dumping environnemental, c’est-à-dire inciter les investisseurs américains en jouant sur le faible niveau de protection de l’environnement. Toutefois, l’accord institue le droit de polluer.

Ainsi, il est fait référence à l’article 17.5 de l’accord aux “incitations à échanger ou à négocier des permis, crédits ou autres instruments en rapport avec l’environnement”, ce qui permettrait aux firmes américaines polluantes d’acheter des droits de polluer en conformité avec la législation.

Ajustement obligatoire mais attention à la piraterie !

— Simplification des procédures d’investissement
Sur le marché marocain, les investisseurs étrangers éprouvent encore des difficultés à mettre en oeuvre les autorisations d’investissement, acquérir des titres fonciers ou/se voir appliquer un traitement équitable en matière fiscale et ou comptable. Par ailleurs, sur un plan institutionnel, le Maroc n’a toujours pas de guichet unique. La gestion de la promotion de l’investissement par des départements ministériels différents est potentiellement créatrice de conflits de compétences et donc une perte d’efficacité dans un domaine jugé prioritaire. En vertu de la clause Investissements, les Etats-Unis et le Maroc s’accordent le traitement national, la clause de la nation la plus favorisée ainsi que la norme minimale de traitement (traitement juste et équitable, protection et sécurité intégrale).

— Droits de propriété intellectuelle
Le Maroc devrait appliquer une réglementation de ses droits de propriété intellectuelle (DPI) à partir des standards en vigueur dans l’accord sur les droits de propriété intellectuelle de l’OMC (ADPIC ou TRIP’s en anglais). Le Maroc a adopté une loi sur les DPI, mais elle n’est pas encore entrée en vigueur, ce qui a un effet dissuasif sur les investissements des industries pharmaceutiques et agricoles (développement de nouvelles variétés de plantes par exemple). Dans le domaine pharmaceutique, des ONG ont mis l’accent sur les dangers de l’accord, notamment en matière d’accès aux médicaments génériques. A noter toutefois que par un échange de lettres, les deux parties ont convenu que le chapitre DPI n’affecte en rien l’aptitude du Maroc à prendre les mesures qui s’imposent pour protéger la santé publique en encourageant l’accès aux médicaments (VIH, tuberculose, paludisme, urgences extrêmes ou catastrophes naturelles). Le chapitre DPI prévoit une application des standards US en matière de protection des marques, ainsi que de protection des informations confidentielles. Les Etats-Unis sont intéressés par l’application du principe “first in time, first in right” aux marques ainsi qu’aux indicateurs géographiques relatifs aux produits. Le premier qui dépose une marque, est le premier à pouvoir faire valoir ses droits.

Ainsi, l’accord va renforcer les procédures marocaines relatives à la protection des DPI telles que saisie, destruction de bien contrefaits ou piratés, matériels et/ou documents utilisés dans la contrefaçon. Le copyright devra être protégé de manière à garantir les seuls bénéficiaires...

A noter que la piraterie reste un problème au Maroc où il existe un secteur informel très dynamique et créateur d’emplois.


 source: Libre-échange Etats-Unis/Maroc : Il y a encore du travail...