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Mercosur : les gagnants ne seront pas ceux que l’on croit

Le Point | 16 mars 2018

Mercosur : les gagnants ne seront pas ceux que l’on croit

Par Emmanuel Berretta

Au Salon de l’agriculture, l’invité vedette n’était ni Emmanuel Macron ni la poule qu’il a reçue en pension, mais bien la négociation de l’accord de libre-échange avec les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay). Une négociation présentée par certains comme le nouvel Armageddon du bœuf français, une filière déjà en souffrance. En vérité, les Sud-Américains savent déjà que l’Union européenne ne pratiquera qu’une ouverture très limitée de son marché du bœuf (1 % tout au plus), soit entre 70 000 et 100 000 tonnes par an sans frais de douane. Un chiffre à mettre en rapport avec les 185 000 tonnes de bœuf déjà exportées par le Mercosur en Europe (mais avec droits de douane).

Marine Le Pen, en particulier, avait dénoncé cette « concurrence déloyale » faite à nos éleveurs ainsi que les « aléas sanitaires » d’une telle importation due à la « corruption » des agences de certification brésiliennes. En fait, le système de contrôle de la qualité de la viande actuellement convenu dans le cadre des négociations n’a rien à voir avec ce que décrit la présidente du Front national.

Des contrôles plus coûteux pour le Mercosur

S’il est vrai que le bœuf sud-américain est très compétitif, les contrôles exigés par l’Union européenne avant importation vont entraîner d’importants surcoûts pour les éleveurs du Mercosur (Mercado Común del Sur, marché commun du Sud). Il est ainsi prévu que les audits de qualité soient payés par les pays du Mercosur, mais ces contrôles seront exercés sur place par les inspecteurs de l’UE ou par des contrôleurs agréés par eux (des Suisses, par exemple).

Au Brésil, seuls certains États auront le droit d’exporter de la viande bovine. Et à l’intérieur de ces États, seules certaines fermes se soumettant à des règles spécifiques bénéficieront de l’agrément d’exportation. Le bétail devra rester dans l’État autorisé 90 jours avant l’export et dans la ferme agréée 40 jours avant. Les troupeaux devront être séparés des autres fermes non agréées (les bêtes ont tendance à se mélanger dans les vastes prairies). Ce sont autant de surcoûts à la charge des exportateurs sud-américains. Enfin, en cas d’alerte sanitaire, 100 % des expéditions de viande devront être contrôlées au départ du Mercosur et 20 % à l’arrivée en Europe.

Le Mercosur 4 fois plus gros que le Ceta

Si Bruxelles tente de faire avancer les négociations, ce n’est pas pour achever la filière bovine française – dont les difficultés doivent être traitées par ailleurs –, mais bien parce que l’accord avec le Mercosur, s’il est conclu, est extrêmement profitable à l’Europe, et en particulier à trois pays, l’Allemagne, la France et l’Italie. Le Mercosur est bien plus important que l’accord avec le Canada via le Ceta. La suppression des droits de douane générerait un gain de 4 milliards d’euros pour les exportateurs européens si l’on s’en tient au niveau actuel des échanges, contre un gain estimé à 500 millions pour le Ceta. Jean-Claude Juncker ne cesse de répéter que, pour chaque milliard d’euros exportés hors l’Union européenne, 14 000 emplois sont créés en Europe.

En l’espèce, les quatre pays du Mercosur ont accepté une ouverture très large de leur marché (sauf sur les produits laitiers) tandis que l’Europe ne pratique qu’une ouverture contingentée. Le Mercosur – l’une des zones les plus protectrices du monde – accepte, en effet, de baisser ses droits de douane très élevés (jusqu’à 35 % pour certains biens) sans fixer de contingent pour des secteurs-clés de l’export européen comme l’automobile et les pièces détachées, la chimie, la pharmacie, les cosmétiques...

Peugeot attend le Mercosur avec impatience

Précisément, les discussions achoppent actuellement sur le marché automobile. Le Brésil est le plus fermé des quatre pays. C’est d’ailleurs sur le quota des voitures que l’accord avec le Mercosur avait échoué la première fois en 2004. En fait, certains constructeurs européens sont déjà implantés dans les pays du Mercosur et y fabriquent, sur place, de petits modèles. Un marché de la pièce détachée falsifiée à travers une myriade de PME familiales y a pris racine. Si l’Union européenne pousse à l’ouverture de ce marché automobile, c’est justement pour que les voitures soient construites en Europe par des ouvriers européens, puis exportées par bateau dans le Mercosur. C’est le travail des ouvriers européens que l’UE défend, en l’occurrence. Du reste, les constructeurs européens déjà installés ne sont pas ravis de cette ouverture, car ils n’ont pas envie que d’autres concurrents européens viennent bousculer leurs positions acquises... PSA, en France, piaffe de voir s’ouvrir le Mercosur.

Deuxième pierre d’achoppement des discussions : l’ouverture des services maritimes. Un accord entre le Brésil et l’Argentine, conclu du temps du régime péroniste en Argentine, crée une discrimination envers les bateaux européens et les oblige à naviguer à vide. L’UE souhaite desserrer l’étau de manière à ce qu’au moins un navire de marchandises partant de Rotterdam, par exemple, puisse décharger et recharger entre Santos et Buenos Aires. Ce qui n’est pas possible aujourd’hui... L’Argentine n’y est pas hostile, mais le Brésil est récalcitrant.

Une liste de 357 indications géographiques protégées

Comme nous l’évoquions plus haut, le blocage est fort dans le secteur des laitages. Là encore, le Brésil est très défensif. Ce secteur traverse une crise en Amérique du Sud. Les négociateurs de l’UE réclament seulement l’ouverture des fromages à pâte dure. Quant à l’éthanol (fabriqué à partir de la canne à sucre), il serait admis en Europe 600 000 tonnes en provenance du Mercosur, soit une offre 40 % moins alléchante que celle formulée par la Commission en 2004, lors de la première négociation. Les deux tiers de cet éthanol seraient fléchés vers l’industrie européenne, qui se plaint d’en manquer.

S’agissant des indications géographiques protégées (le « camembert de Normandie », le « pruneau d’Agen », etc.), le texte de l’accord est très bon pour l’Europe, qui a réclamé la protection de 357 indications géographiques (c’est la liste la plus longue jamais défendue par l’Europe). Le Mercosur bute sur une trentaine d’appellations déjà commercialisées sur leur territoire par des firmes agroalimentaires américaines qui imitent – à qualité moindre – des IGP européennes vedettes, notamment italiennes...
Défense des brevets et droits d’auteur

Par ailleurs, l’accord en négociation protège bien la propriété intellectuelle (avec un gros bras de fer), ouvre aux entreprises européennes les marchés publics au niveau fédéral (plus difficilement, au niveau local) et prend en compte le bien-être animal, le développement durable et le changement climatique, car les quatre pays du Mercosur ont signé l’accord de Paris.

Il n’y a pas de date butoir pour signer cet accord. La désorganisation entre les quatre pays du Mercosur qui ont du mal à se coordonner (l’Argentine étant le plus allant) est principalement à l’origine du retard.


 source: Le Point