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Négociations agricoles Maroc-UE : Statu quo et navigation à vue

Négociations agricoles Maroc-UE: Statu quo et navigation à vue

· Prochain round pas encore défini

· Chacun pose ses pions et joue la surenchère

· L’Apefel demande l’intégration à l’Organisation commune du marché des fruits et légumes

Les négociations agricoles entre Rabat et Bruxelles stagnent depuis le dernier round tenu le 28 juin dernier, date où l’offre marocaine a été présentée. [1]

Pour rappel, l’enjeu de ces négociations est la libéralisation progressive du secteur agricole marocain. Les partenaires devraient se réunir courant de novembre, mais aucune date n’est précisée. Pour l’heure, les négociateurs ont mis en place un comité technique pour s’entendre sur les statistiques et les bases de données sur lesquelles reposent les offres respectives.

Objectif: «Uniformiser les informations sur les produits échangés et leur volume». Politiquement, cela s’appelle gagner du temps.

Le comité technique, où sont représentées les deux parties, s’est réuni le 21 septembre et devrait rendre son travail «quand il l’aura terminé», dit, peu prolixe, le secrétaire général de l’Agriculture, Moha Marghi, négociateur en chef de la partie marocaine.

Selon Marghi, «le Maroc ne se fixe pas de délai d’ici la fin de l’année». L’UE préfèrerait en finir avant 2007 comme convenu initialement dans le cadre des négociations.

Au jour d’aujourd’hui, l’offre initiale européenne, largement présentée sur nos colonnes (cf. L’Economiste des 4 et 17 mai 2006, www.leconomiste.com) a été jugée contraignante par les professionnels marocains.

Quant à l’offre marocaine, elle comporte un point faible de forme: elle a été présentée à la dernière minute à Bruxelles, trois jours après sa présentation au Premier ministre, Driss Jettou.

Dans ce processus, le ministre de l’Agriculture, Mohand Laenser, semble «sous-traiter» la responsabilité politique de ce dossier auprès de son SG. Il se garde bien de donner sa vision des choses. Peut-être se place-t-il en recours stratégique au cas où, à force de jouer les surenchères et les indifférents (comme l’exige toute négociation bien menée), il faille «recoller les morceaux».

Toujours est-il que les professionnels des fruits et légumes ne sont pas contents et entendent le faire savoir. Actifs, ils n’ont pas de feed-back de la part de l’Administration quant à leur requête. Et leur proposition n’a pas été défendue auprès des partenaires européens.

L’Apefel (Association des producteurs et exportateurs de fruits et légumes), qui a transmis plusieurs lettres au ministre de l’Agriculture (dont L’Economiste détient copie), demande une position claire de la part du Maroc sur ses engagements avec l’UE.

L’Apefel défend l’idée d’une intégration à l’organisation commune du marché des fruits et légumes, et ce, en utilisant le cadre de la politique de voisinage.

Ce qui n’est pas en contradiction avec l’esprit de la feuille de route, et donne en plus un contenu concret à la demande marocaine d’un statut avancé avec l’Union européenne.

«Notre proposition (...) vise la libre circulation des fruits et légumes et de l’huile d’olive dans la cadre de la participation de ces filières au marché unique», explique dans ses lettres l’Apefel. Du point de vue de l’Association, ce régime «équivaut à mettre en place un régime effectif de libre-échange, sans que la concurrence qu’il impose ne s’avère inéquitable et injuste par le jeu des subventions et des règles internes à l’Union européenne».

Dialogue de sourds

L’Apefel se dit «consternée» par l’offre marocaine présentée le 28 juin dernier, qui, selon l’Association, ne prend pas en considération la vision des producteurs-exportateurs. L’offre initiale marocaine demande le démantèlement de la sacro-sainte PAC (Politique agricole commune) pour l’accès des produits marocains au marché unique. Laquelle PAC, quand bien même est en réforme, ne serait pas touchée d’ici à 2013 au moins. Cela sans tenir compte du fait que cette Politique est une affaire communautaire. Par ailleurs, les Européens font de la résistance aux requêtes de baisse des subventions à l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Autant dire que ce n’est pas le chemin le plus facile à choisir.

La PAC est loin dans le temps et dans le fond du processus de Barcelone qui prévoit l’instauration de la zone de libre-échange Euromed d’ici à 2012.

«La lecture de l’offre présentée par le Maroc à la partie européenne au cours du round de négociations du 28 juin 2006 nous a consternés. Elle montre que notre dialogue est un dialogue de sourds et que, sans explication et sans débat réel, nos propositions n’ont pas été prises en compte», dit une lettre adressée au ministre, (lequel courrier est resté sans réponse, selon les représentants de l’Apefel). «Dans aucune de nos rencontres avec l’équipe de négociateurs nous n’avons eu droit à un dialogue approfondi, franc, et, pour tout dire, professionnel, quant aux grandes lignes de notre proposition». Par ailleurs, les professionnels jugent l’offre initiale de la partie marocaine «irréaliste et moins pertinente».

Les professionnels semblent remontés contre un ministère qui ne les a pas concertés «sur le contenu concret de l’offre marocaine». Jugez-en vous-même: Inquiets de l’évolution de ce dossier et de ses conséquences sur notre activité, nous souhaitons aujourd’hui comprendre les raisons du rejet par vos services de nos propositions et les arguments qui fondent l’offre effectivement présentée à la partie européenne». Interrogations toujours sans réponses.

La petite histoire

Ces négociations sont très particulières. Elles touchent à un «secteur socialement sensible» (c’est l’argument phare présenté en général). Ce sont les dernières négociations du genre, donc un virage décisif pour le Maroc. Et pour la première fois le Royaume devra donner des concessions tarifaires à l’Union européenne dans le cadre de la libéralisation progressive de son secteur. Ces négociations concernent les produits agricoles frais, les produits agricoles transformés et les produits de la pêche -régime commercial qui n’a rien à voir avec l’octroi des licences dans le cadre de l’accord de pêche-. L’approche de ces négociations est celle de la liste négative. Au lieu de négocier produit par produit, les deux partenaires conviennent de libéraliser le secteur à l’exception d’une liste de produits, (liste négative) que chacun jugera «sensible».

L’enjeu pour le Maroc: protéger ses produits sensibles, mais aussi «garantir un accès le plus large possible de nos produits exportés vers l’Europe» (dixit Moha Marghi, SG du ministère de l’Agriculture), ce, en conditionnant l’offre européenne à une aide aux réformes agricoles structurelles.

Ci-dessous les dates-clés des rencontres entre Rabat et Bruxelles

■ 22 février 2006 à Rabat
Début des négociations agricoles.
Cadre de négociations: la feuille de route euroméditerranéenne approuvée lors des consultations de février 2005. La Commission européenne a obtenu un mandat de négociations qui concerne les douze pays du pourtour méditerranéen, mais les négociations sont bilatérales.
■ 02 mai à Bruxelles
Les négociateurs européens sont «déçus» par un round infructueux sans avancées. L’UE présente son offre initiale jugée contraignante par les professionnels marocains.
■ 28 juin à Rabat
Remise de l’offre marocaine. Création d’un comité technique «pour uniformiser la base de données sur les échanges agricoles et ajuster les propositions respectives en fonction des données».
■ 21 septembre à Rabat
Réunion du comité technique pour remettre ses propositions. Une réunion sans portée aucune. Elle s’est attachée à discuter des différences dans les statistiques.

Jihad RIZK

Notas:

[1La remise de l’offre marocaine s’est faite non sans cafouillages diplomatiques. Ce qui a coûté des points à la force de négociation marocaine; cf. L’Economiste du 30 juin 2006, www.leconomiste.com


 Fuente: L’Economiste