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Réunion de groupes de femmes d’Asie-Pacifique à Bangkok : le commerce numérique au cœur des débats

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Feminist Convening on Food Sovereignty

bilaterals.org - 9 octobre 2022

Réunion de groupes de femmes d’Asie-Pacifique à Bangkok : le commerce numérique au cœur des débats

Du 29 au 31 août 2022, le Congrès féministe sur la souveraineté alimentaire du Forum Asie-Pacifique sur les femmes, le droit et le développement (Asia Pacific Forum on Women, Law and Development, en anglais, ou APWLD), qui s’est tenu à Bangkok, en Thaïlande, a réuni les membres, partenaires et alliés d’APWLD de la région Asie-Pacifique. Un panel a discuté de la question de la numérisation et des accords de libre-échange (ALE), faisant le lien avec l’hégémonie des grandes entreprises et les impacts sur la condition des femmes. Arieska Kurniawaty (Solidaritas Perempuan en Indonésie) a facilité la discussion entre Elenita Dano (Groupe d’action sur l’érosion, la technologie et la concentration ou ETC Group) et Kartini Samon (GRAIN).

Les accords bilatéraux de libre-échange et d’investissement, en vigueur aujourd’hui, sont frappants par leur exhaustivité et leur portée. Ils couvrent généralement un large éventail de domaines, ce qui multiplie leurs impacts sur les sociétés et des secteurs d’activité variés, provocant ainsi une résistance généralisée à leur encontre dans de nombreux pays. La numérisation a été l’une des principales questions émergeant dans de nombreuses négociations récentes d’accords.

La libéralisation du commerce et les ALE prennent racines dans la longue histoire de l’exploitation coloniale. L’objectif est aujourd’hui le même que celui des États coloniaux traditionnels, qui étaient conçus pour l’extraction des ressources naturelles. Sous la pression d’une économie mondialisée, les nations doivent laisser les multinationales les piller, et les ALE sont un outil puissant pour ces entreprises, notamment les accords "méga régionaux" qui leur accordent beaucoup de droits. Le règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS, selon l’acronyme en anglais), par exemple, qui est souvent inclus dans les ALE, impose des restrictions sur ce que les gouvernements sont autorisés à faire ou à ne pas faire. Les gouvernements peuvent être poursuivis devant un tribunal arbitral pour toute décision politique ayant un impact négatif sur les bénéfices escomptés des entreprises.

"Qui décide des clauses de ces accords commerciaux ?" note Kartini Samon. "Ce sont les multinationales. Elles sont souvent impliquées dans la rédaction des clauses des ALE. L’objectif est de lier les gouvernements et les entreprises, et de forcer l’acceptation de règles contraignantes."

Bien sûr, les femmes, en particulier, ont été touchées de manière disproportionnée. Par exemple, dans de nombreux endroits, la société attend toujours des femmes qu’elles mettent de la nourriture dans les assiettes. Lorsqu’un obstacle les en empêche, on assiste à une recrudescence de la violence au sein du foyer, même lorsque la situation est hors de leur contrôle. Dans l’agriculture traditionnelle, les femmes conservent les pratiques de sauvegarde des semences et de conservation des aliments. Toutes ces pratiques sont affectées quand les systèmes traditionnels sont perturbés. Nous avons assisté à de multiples crises alimentaires pendant les années folles des accords commerciaux. Et le lobbying en faveur d’ALE plus équitables n’aide en rien : il ne fait que détourner l’attention des véritables solutions.

Samon a souligné que, pendant la pandémie de COVID – lors de blocages d’approvisionnements alimentaires et de la fermeture des frontières –, nous avons vu qu’il est possible de faire du commerce alimentaire de manière différente. Des communautés ont démontré leur capacité à faire en sorte que tout le monde ait de la nourriture sur la table, malgré le fait que le libre-échange était impossible. Le Mouvement des travailleurs sans terre du Brésil a pu envoyer 600 tonnes de produits frais à 24 États du pays. En Indonésie, des communautés de pêcheurs et d’agriculteurs se sont réunies pour faire du troc et avoir des repas complets dans leurs foyers.

Mais, pendant ce temps, le pouvoir des multinationales continue d’accroître son hégémonie. Les grandes entreprises, les sociétés technologiques, l’agro-industrie et les banques investissent massivement dans l’alimentation et l’agriculture. Elenita Dano, d’ETC Group, étudie l’agriculture de précision depuis 20 ans. Les outils numériques sont importants pour l’agriculture de précision. Cette pratique part du principe que les agriculteurs font beaucoup d’erreurs, que les connaissances indigènes présentent de nombreuses lacunes, et que les machines sont, a contrario, précises et fiables. D’où la nécessité des outils numériques. Le pays occidentaux ont été inondés de tous ces outils numériques au cours des 20 dernières années, et ils leur faut maintenant un nouvel endroit pour étendre leur marché. Et cet endroit, ce sont les pays du Sud. Les outils numériques sont utilisés pour l’expansion impérialiste et la technologie a créé encore plus d’inégalités.

Dans les plantations de bananes aux Philippines, les agriculteurs utilisent désormais des drones, au lieu d’avions, pour pulvériser des engrais, car ils sont moins sujets à dérive (vol bas), sont moins sujets aux accidents (plus petits) et sont plus précis (meilleure visée). Cependant, ces drones augmentent, en fin de compte, l’utilisation de produits chimiques dans l’agriculture. La pandémie de COVID a été un autre moteur de la numérisation, les populations devenant dépendantes des livraisons électroniques. Les agriculteurs devaient donc être davantage connectés aux marchés en ligne.

Selon une étude récente d’ETC, la centralisation du pouvoir a été grandement favorisée par la numérisation. Six sociétés monopolisaient le marché des semences, mais aujourd’hui, seules quatre sociétés représentent environ 65 % de toutes les semences commerciales vendues dans le monde et près de 75 % de tous les produits agrochimiques. Beaucoup de grandes banques et autres entreprises ont également des investissements dans ces quatre sociétés. Elles utilisent la blockchain pour rationaliser les processus. De plus, cette centralisation leur permet de travailler ensemble et de déterminer les prix. Dans ce système, la concurrence fait partie du passé. Par exemple, Amazon a acquis Whole Foods en 2017 et s’est depuis imposé comme un important détaillant de produits d’épicerie.

Les nuages (clouds, en anglais) des grandes entreprises technologiques, comme Amazon, Microsoft et Google, sont l’endroit où sont stockées les données. Mais que sont exactement ces "nuages" ? Il s’agit de structures réelles situées dans des régions reculées du monde - souvent aux États-Unis. Ils sont également fortement liées aux conflits, car ils ont besoin de minerais, tel que le cobalt et le nickel, pour faire fonctionner leurs équipements. Par exemple, un conflit fait rage au Congo depuis plus de 20 ans, en rapport avec l’extraction de ces ressources naturelles.

Les vrais producteurs, ceux qui nourrissent 70% du monde, sont les paysans, les petits agriculteurs et les pêcheurs. Ils doivent se réapproprier ce statut. Ces communautés doivent être celles qui décident des technologies numériques qui leur conviennent, de celles qu’elles veulent utiliser et de celles qu’elles peuvent contrôler. Les entreprises parlent d’apporter la numérisation au monde entier, alors que la mécanisation n’a même pas encore atteint certains endroits. La numérisation n’est pas nécessaire. "En avons-nous vraiment besoin ?" demande Dano. Répondra-t-elle vraiment à nos besoins actuels ? Nous ne sommes pas obligés de nous y soumettre, bien que les grandes entreprises veulent nous le faire croire.


 Fuente: bilaterals.org