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Sortir du libre échange avec l’Europe, la dernière tentation d’Alger

Maghreb Emergent | 29 février 2016

Sortir du libre échange avec l’Europe, la dernière tentation d’Alger

par Ihsane El kadi

Le gouvernement algérien a-t-il tenté le diable en suspendant durant 24 heures les franchises douanières de ses partenaires européens et arabes ? D’abord les faits. Ils sont implacables. Les douaniers algériens ont été instruits par leur direction générale par un facsimilé le mardi 23 février considérant « caduques, l’ensemble des franchises délivrées ». La correspondance est claire. Sa référence aussi.

Une instruction du premier ministre datée du 14 février. La suspension des franchises – remise de taxe douanières par rapport au régime commun- a été immédiatement appliquée sur tous les points d’entrée d’Algérie. Les transitaires des industriels et des importateurs se sont vus inviter, le mardi à partir de la fin de matinée, à payer des frais de douanes additionnels avant l’enlèvement de leurs matières premières, demi-produits et autres marchandises bénéficiant habituellement de taux de douanes modérés (franchises), car venant de l’Union Européenne ou de la Zone arabe de libre échange, les zones en partenariat avec l’Algérie. C’est pour cela que la presse, et en priorité la presse spécialisée (Maghreb Emergent) a été alerté. Les diplomates, officiels, et autres intervenants bienveillants pour le gouvernement qui ont intervenu sous l’anonymat pour expliquer que la suspension de l’accord tarifaire avec l’Union Européenne était une invention de la presse et qu’il s’agissait juste d’un malentendu, ont été léger avec les faits. Au moment où ils apportaient un démenti de pacotille, les produits provenant de l’UE et de la Zale étaient toujours soumis au plein tarif douanier. Et donc les franchises étaient toujours suspendu une bonne partie de la journée du mercredi. Jusqu’à ce qu’un autre facsimilé de la direction des douanes ne vienne corriger le premier pour en restreindre le champ d’application aux produits soumis à licence. L’Algérie a donc bien suspendu le processus de libre échange avec ses partenaires européens et arabes durant 24 heures. Le scenario de « l’erreur » par les services des douanes est bien sur peu convaincant. C’est faire offense à l’armada de juristes de qualité dont dispose cette administration coiffée d’ailleurs par un homme de textes, le DG Kaddour Bentahar, que de croire qu’elle a tout coupé alors qu’il ne fallait couper que quelques positions tarifaires sous régime de licence. Une fois les faits ainsi rétablit, affleure la question de savoir pourquoi quel est le message que le gouvernement algérien a voulu délivrer ? Il saute aux yeux. Dire à l’Europe qu’elle a plus à perdre qu’à gagner en cherchant à maintenir le calendrier et les termes du démantèlement tarifaire tel qu’il a été accepté par Alger. A Bruxelles s’ouvrait en effet le jeudi 25 février le 1 er round de la négociation entre l’Algérie et l’Union Européenne sur la remise à plat de l’accord tarifaire, chapitre essentiel de l’accord d’association de 2002, entré en vigueur le 1 er septembre 2005.

L’accord tarifaire de libre échange entre l’Algérie et l’Union Européenne a plus profité aux exportations européennes que l’inverse, et va l’être encore plus dans l’avenir. Mais est ce que pour autant l’Algérie peut le modifier en passant par le rapport de force d’une suspension temporaire des franchises en cours dont profite l’Europe communautaire ? Habib Yousfi président de la CGEOA, pense sans doute que oui. Il a encensé la suspension des franchises et dénoncé l’accord asymétrique qui n’a profité que la partie européenne. Mais retirer les avantages tarifaires pour les produits provenant des zones sous accord de libre échange implique d’accepter que les prix de nombreux produits importés augmentent. Le gouvernement le sait. Bruxelles aussi. Des chefs d’entreprises ont mis au travail leur équipe financière dès le mercredi 24 février au matin pour sortir les impacts de coûts qu’une suppression des franchises allait provoquer pour leur produits. Les surcoûts restent contenus sous les 15%. Pas nécessairement répercutés intégralement dans les prix sortie d’usine. Il faudrait une étude d’évaluation sérieuse pour savoir de combien de points de base une suspension des accords douaniers de l’Algérie impacterait l’inflation. Bien sur le gouvernement ne fonctionne pas comme cela. Il agit sans faire tourner les modèles estimatifs, se trompe – souvent- persiste- toujours-. Et rectifie le tir après avoir essuyé les plâtres. C’est le cas pour le crédit documentaire obligatoire et, bientôt, pour le 51-49 dans tous les secteurs d’investissements (hors distribution). Alger veut sensiblement créer un rapport de force pour remettre à plat à son avantage les accords douaniers vite accepté dans le rush de 2001-2002 du Bouteflika arrivant et voulant renouer avec le monde. Il en est né un accord dénoncé déjà à l’époque comme dangereusement déséquilibré pour le tissu industriel algérien. Le fait est que l’accord est similaire dans ses grandes lignes avec ce qu’ont signé a Bruxelles, les voisins maghrébins, l’Egypte ou encore la Jordanie. Mais alors pourquoi cela est il si problématique pour Alger ?

L’Algérie a rapidement perdu de vue la logique d’ensemble de son engagement suggéré dans l’accord d’association avec l’Union Européenne. Il s’agit, pour son volet économique d’accepter l’intégration dans une zone de libre échange. Cela implique clairement que la position de mono-exportateur doit évoluer au cours du processus d’intégration. Sous le régime du pétrole à 100 dollars l’Algérie a brutalement oublié à nouveau de le faire. Elle a accentué sa demande domestique par la distribution de moyens de paiement aux administrations (maitres d’ouvrages) et aux ménages. Sans pouvoir développer le volet implicite de l’accord ; profiter de la baisse des barrières à l’entrée de l’Europe pour faire comme le Maroc et la Tunisie : s’intégrer dans la chaine de valeur régionale. Le gouvernement a pris, en 2008-2009, le virage inverse. Il a multiplié les contraintes à l’investissement étranger en Algérie. Il s’est détourné de la possibilité de vendre des biens et des services sur le marché européen. Il a choisi d’aggraver l’asymétrie de départ entre deux systèmes d’offre européenne et algérienne. Comment corriger en 2016 cette grave erreur de cap ? Changer de gouvernance économique en Algérie ? Cela devrait bien sur être le point de départ de toute renégociation avec l’Union Européenne. Mais en attendant, il y a des pistes évidentes à scruter : le marché agricole européen, et celui de l’électricité verte. L’Algérie doit venir à Bruxelles pour obtenir des accès améliorés à ses exportations à venir sur le marché européens. Accessoirement pour réaménager l’accès des produits européens à l’Algérie. Peut être se rapprocher de ses voisins maghrébins pour peser ensemble, en particulier pour l’extension des quotas des produits frais. La vérité est que le gros du démantèlement tarifaire est joué. Suspendre les franchises est un procédé ponctuel qui n’équivaut pas une bonne feuille de route de négociation. Le nombre de franchises douanières algériennes sur le marché européen réellement utilisées est dérisoire. C’est cette dérision qu’il convient de suspendre.


 source: Maghreb Emergent