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Zones de libre échange et Partenariat Grand Moyen Orient

Zones de libre échange et Partenariat Grand Moyen Orient :

Deux outils de domination impérialiste américaine sur l’Afrique du Nord, le Moyen Orient et l’Asie centrale

Au moment où était signé l’accord de libre échange entre le Maroc et les USA, on apprenait que le projet américain de Grand Moyen Orient serait à l’ordre du jour du prochain sommet du G8. Il ne s’agit pas là de hasards de calendrier mais bien d’une même stratégie visant à assurer le contrôle américain sur toute une région comprise entre le Maroc et le Pakistan.

Au cours de l’année 2002, alors que les armées américaine et des pays alliés envahissent et occupent l’Afghanistan, Georges Bush charge Colin Powell de tracer le cadre de la politique américaine pour le monde arabe. Ce sera le « US Middle East Partnership Initiative (MEPI) qui englobe une zone allant du Maroc au Pakistan.

Ce programme, qui sera soumis dans sa presque intégralité à la discussion du prochain G8 en juin 2004 sous
l’appellation de Grand Moyen Orient (Greater Middle East), a donc été pensé au moment de l’occupation de l’Afghanistan, alors que la guerre contre l’Irak était en gestation et que le gouvernement Sharon, avec l’appui de Bush Junior, intensifiait ses actions d’agression militaire et d’encerclement du peuple palestinien.

Il constitue le volet civil de la politique arabe américaine, avec pour slogan : « Promoting democratization in a troubled region ».

Ce projet s’appuie sur l’idée que l’Etat d’Israël est le seul pays démocratique de la région et le libéralisme décliné sous toutes ses facettes, la solution économique : privatisation, Zone de libre-échange avec le Maroc, libre circulation des capitaux, aide au secteur bancaire, etc....

Après un an d’occupation militaire, l’Irak est devenu un bourbier dans lequel l’administration Bush s’enlise chaque jour davantage. La résistance du peuple irakien ne désempare pas, les alliances commencent à se fissurer, les premières désertions de l’Armée américaine sont rendues publiques.
La théorie de la Croisade du Bien contre le Mal qui a sous-tendu toute la politique extérieure de Bush est mise à mal après la divulgation des atrocités commises par les armées de la coalition au cœur même de la citadelle répressive du régime de Saddam Hussein : la prison de Abou Ghraib.

Les Etats-Unis qui s’étaient passés de l’accord de l’ONU pour ouvrir les hostilités, ont à présent besoin de retrouver une légitimité et des alliances « civiles » qui n’ont pas fonctionné sur le plan militaire.

C’est pourquoi le projet de Grand Moyen Orient, au départ strictement américain, est proposé au débat du prochain sommet du G8, cadre plus complaisant que l’ONU, qui aura lieu début juin en Géorgie (USA).

Dans le contexte de crise que traverse l’administration Bush, ce projet ne semble avoir aucune crédibilité. Trop d’optimisme serait pourtant dangereux, car ce serait oublier qu’il y a de forts intérêts en jeu. La compétition européo-américaine sur la région méditerranéenne par partenariats et zones de libre-échange interposés et le partage du gâteau de la reconstruction de l’Irak en sont les deux principaux.

N’oublions pas que les bombardements sur Bagdad n’ont entraîné aucune interruption des négociations maroco-américaines sur la Zone de libre-échange.

ZONE DE LIBRE-ECHANGE

La mise en place de zones de libre-échange est l’un des piliers des politiques néo-libérales. La libre circulation des marchandises, des investissements et des capitaux permet aux multinationales d’implanter leurs activités comme elles l’entendent, de payer moins d’impôts et de mettre en concurrence les salaires, les avantages sociaux et les conditions de travail.

Initiées en janvier 2003, les négociations maroco-américaines ont été menées dans le bruit assourdissant des chars et des bombes américaines sur l’Irak et ont abouti à la signature de l’accord de libre-échange dès le 2 mars 2004. Sa ratification par le Parlement est prévue pour le mois de juin prochain. Le Maroc devient ainsi, après la Jordanie, le deuxième pays du monde arabe à conclure un accord de libre-échange avec les Etats-Unis.

Un objectif avant tout politique

Comme le reconnaît en privé Robert Zoellick , représentant américain au commerce, cet accord de libre-échange compte peu pour les Etats-Unis au point de vue financier et économique (pour l’heure, les échanges commerciaux avec les USA représentent 4.7% du commerce extérieur marocain, contre 56.9% avec l’Union Européenne).

L’objectif essentiel est plutôt le renforcement de l’influence politique américaine dans la région, en contre-poids de celle exercée par l’Union européenne et en appui, au moins tacite, à sa politique d’agression contre le peuple irakien et de spoliation de ses richesses. En échange, le Maroc pouvait espérer un appui américain sur la question du Sahara, mais sans doute a-t-il sous-estimé l’attraction exercée par l’Algérie, qui a à son tour opéré le tournant libéral et dispose de richesses pétrolières tant convoitées par la puissance américaine.

Un marché de dupes ?

Qu’ont donc mis les Etats-Unis dans le panier des négociateurs -sous forme de pressions ou de contre-parties-, pour rendre si urgent un partenariat commercial entre une superpuissance à l’économie ultra-protégée et subventionnée et un pays à l’économie fragile qui accepte de s’ouvrir sans filet à la concurrence, à un moment aussi sensible pour les populations arabes ?

Qu’un tel accord puisse faire le bonheur d’une poignée de négociants et d’industriels marocains ayant reçu des garanties d’accès privilégié au marché américain est de l’ordre du probable. Que les producteurs marocains dans leur majorité puissent se positionner sur un marché américain surprotégé et plus compétitif et dans le même temps se défendre contre une arrivée massive de produits américains concurrentiels, voilà qui relève de l’utopie - ou du mensonge ! Même si dans certains domaines (l’agriculture en particulier), un étalement des démantèlements douaniers et des quotas commercialisables est prévu, l’aboutissement de ces accords reste l’ouverture totale des deux marchés l’un à l’autre. Compte tenu des disparités de développement entre les deux pays, cela signifie une ouverture complète des marchés marocains aux produits américains et une compétition déloyale pour les producteurs marocains. Qu’ils aient deux mois ou six ans pour s’y préparer ne changera pas grand chose à l’affaire.

Un coût social élevé

Le projet euroméditerranéen de zone de libre échange -que nous avons par ailleurs critiqué - a prévu une enveloppe financière (MEDA) qui aide à la mise en conformité de l’économie et de la législation marocaines avec les règles imposées par l’OMC, quelques miettes étant prévues pour amortir le coût social prévu de l’opération. D’ores et déjà, des secteurs comme les conserveries ou le textile sont durement touchés . Rien de tel n’est mis en place dans le cadre des négociations avec les Etats-Unis. Les représentants des patrons ont été associés aux négociations, un lobby d’entreprises a été créé : la USA-Morocco FTA Coalition, mais les syndicats et organisations représentatives des travailleurs n’ont pas été consultés. En revanche, un certain nombre de pré-requis ont été imposés au Maroc : un nouveau code du travail qui favorise la flexibilité, les licenciements, les restrictions au droit de grève ; un système de justice au service des entreprises ; un système d’éducation qui réponde étroitement aux besoins des entreprises et du marché.

Quelques exemples

La propriété intellectuelle

Les droits de propriété intellectuelle (DPI) sont de plus en plus longs (20 ans dans le cadre de l’OMC) et concernent de plus en plus de secteurs : droits d’auteurs, brevets (sur les inventions, médicaments, logiciels, mais aussi sur les organismes vivants et le génome humain). La réglementation dans le cadre de l’Organisation Mondiale du commerce connue sous le nom d’accords ADPIC (aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce), renforce les positions des multinationales et exclut les pauvres d’un accès aux biens essentiels que sont les médicaments, les semences ou l’éducation.

Dans le domaine de l’agriculture, grâce aux biotechnologies, une poignée de multinationales s’apprête à breveter des savoir-faire ancestraux et à se partager les DPI de quelques dizaines de plantes qui fourniront à elles seules l’essentiel de l’alimentation mondiale de demain. L’enjeu de l’accord de libre-échange sur les DPI est de renforcer encore les droits sur la Propriété intellectuelle au-delà des délais fixés par l’OMC. Ce qui en clair signifie que l’accès aux produits brevetés, les médicaments en particulier, sera encore plus onéreux qu’il ne l’est actuellement.

Secteur textile : Un exemple

L’entreprise textile américaine Jordache, qui a été associée aux négociations, est implantée au Maroc depuis 13 ans et aussi au Kenya, en Jordanie (autre pays arabe à avoir signé un accord de libre-échange avec les Etats-Unis), au Mexique et prochainement à Madagascar. Elle exporte intégralement sa production, pour moitié vers les USA, pour l’autre moitié vers l’Europe, mais se plaint des droits de douane trop élevés pour l’importation de matières premières et de sources d’énergie locales trop chères, d’une main d’œuvre trop onéreuse (le SMIG marocain est d’ environ 160 $ par mois et les accords prévoient même que les entreprises ne seront pas tenues de le respecter!).

Evidemment le point de comparaison n’est pas les tarifs en vigueur aux USA mais ceux du Kenya, du Mexique et de la Jordanie où ses profits peuvent être plus élevés. Pouvant réaliser des bénéfices plus juteux ailleurs, l’entreprise menace de fermer ses portes (et a déjà licencié 600 personnes, soit la moitié du personnel), mais elle serait prête à revoir sa copie si les accords de libre-échange comportent non seulement la levée des taxes douanières, mais aussi une réponse à ses exigences concernant « l’environnement commercial » au Maroc.
Source : http://www.amcham-morocco.com

Agriculture

Malgré la mise en place de quotas progressifs concernant le blé, la logique d’ensemble de l’accord est une ouverture totale des marchés d’ici à quelques années. Le maïs et l’orge seront eux en accès libre sur le marché, dès la ratification de l’accord. Sachant que l’agriculture fait vivre pratiquement 50% de la population marocaine, une bonne partie vivant d’une production de subsistance, on peut imaginer les dégâts qu’entraînera inévitablement une ouverture totale du marché marocain aux céréales américaines hyper-subventionnées. Il faut donc s’attendre à une déstructuration complète du monde rural, avec ses conséquences en termes d’exode rural et de paupérisation des campagnes (plus de 3.5 millions de marocains vivent déjà aujourd’hui avec moins d’un dollar par jour et 75 % d’entre eux vivent à la campagne) et à l’abandon de toute notion de sécurité alimentaire. Cette crainte est encore renforcée par le fait que les accords sont totalement silencieux sur la question des OGM (dont les Etats-Unis sont gros exportateurs), ainsi que sur la question des semences (on sait que les géants de l’agrobusiness tentent d’imposer des types de semences non reproductibles)

LE PROJET DE GRAND MOYEN ORIENT

Le projet de Grand Moyen Orient soumis à la discussion du G8 reprend pratiquement tous les aspects du Middle East Partnership Initiative qui constitue un cadre de partenariat entre les Etats-Unis et les pays du Moyen-Orient et de l’ Afrique du Nord mis en place depuis 2002 et qui constitue le volet économique et social de la politique américaine dans la région, parallèle à la stratégie militaire imaginée dès avant les attentats du 11 septembre.

Leur argumentaire...

Le projet déclare répondre à la volonté du monde arabe qui pense « que la démocratie est meilleure que toute autre forme de gouvernement »(sic). Il s’appuie sur les rapports 2002 et 2003 sur le développement humain rédigés pour le PNUD par des experts arabes qui identifient trois points nodaux pour le développement humain dans la région : la liberté, l’accès au savoir et l’intégration des femmes et sur les statistiques de ces mêmes rapports pour décréter l’urgence de réformes.

Ce projet propose une interpénétration de tous les niveaux d’intervention : Etats-Unis, organismes de l’ONU, G8, Coalition pour la reconstruction de l’Iraq et de l’Afghanistan, partenariat euromediterranéen, Middle East Partnership Initiative, OTAN même. Une absente de taille : La Ligue arabe ! Mais c’est le G8 qui est proposé comme parrain de l’initiative. Un certain flou entoure la dimension géographique du projet qui s’étendrait du Maroc au Pakistan.

Le projet propose trois axes d’intervention :

 Promouvoir la démocratie, par le biais de formation et d’assistance technique et juridique aux élites politiques et au processus électoral ; aux journalistes, aux ONG (dans chacun de ces domaines les femmes sont la première cible) La création d’une ONG (sic) figure même dans le programme !
 Construire une société du savoir, par le biais de campagnes d’alphabétisation et de scolarisation, de formations d’enseignants, d’édition de manuels et de l’introduction, avec l’aide du secteur privé, des nouvelles technologies de l’information et de la communication, d’un appui à une libéralisation de l’éducation et d’un partenariat avec les écoles supérieures de Gestion.
 Accroître les chances économiques en développant l’initiative privée : appui aux sociétés de micro-crédit, libéralisation des transactions et services financiers et désengagement de l’Etat, plus grande intégration des pays de la zone dans l’Organisation Mondiale du Commerce, création de zones franches commerciales, création d’une société financière et d’une banque régionales.

...Et le nôtre

Une zone géographique taillée de toutes pièces

La zone qui semble concernée par le projet ne correspond à rien sur le plan historique, culturel ou politique. Mais elle permet d’intégrer l’Iran, Israël et l’Afghanistan, voire le Pakistan ce qui permettrait trois choses : la banalisation de la présence d’Israel qui devient un des relais du projet ; le contrôle de plus de la moitié des ressources pétrolières mondiales et le contrôle d’un certain nombre de pays particulièrement hostile aux Etats-Unis. Est-ce pour conserver un certain flou et/ou une marge de manœuvre que la définition de cette zone ne figure pas dans le projet présenté au G8 ?

Une drôle de conception de la démocratie

 Le G8 est une réunion informelle des grands de ce monde. Il n’a aucune légitimité ni aucune structure pour prendre en charge un tel projet. Parrainer ce projet serait à la fois une façon institutionnaliser un groupe qui n’a ni légitimité ni mandat (cela a déjà été le cas pour le projet NEPAD concernant l’Afrique) et réintégrer l’Union européenne dans une solution de sortie de crise pour la région. L’articulation avec d’autres instances et projets (ONU, autres accords de partenariat...) est très imprécise.
 La procédure est étonnante : ce projet qui concerne avant tout le monde arabe est d’abord discuté par des instances extérieures à la zone. [En fait, des discussions de coulisse ont déjà eu lieu avec les régimes arabes : négociations ZLE (Maroc, Jordanie, Tunisie), report du sommet de la Ligue arabe...] Quant à répondre à une demande arabe, l’argument ne tient pas la route. L’un des rédacteurs du Rapport sur le Développement humain dans le monde arabe (Nader Fergany), supposé donner de la légitimité au projet, a été le 1° à le critiquer et les peuples arabes seront les derniers à être consultés.
 Proposer ce projet à l’heure où la démocratie est apportée au peuple irakien sur un plateau de bombes frise le ridicule.

Formatage et récupération

Ce projet vise plutôt à organiser le formatage des élites politiques, médiatiques, associatives, intellectuelles de la région ; à neutraliser les élites dirigeantes arabes qui auraient encore des vélléités de non-allégence et à contrôler les systèmes de formation, d’information ainsi que les rouages politiques.

Sur le plan économique

Il s’agit d’un rouage de plus pour accélérer et élargir l’intégration des pays arabes dans le marché mondial et au sein de l’OMC, contrôler une zone où se produit plus de la moitié du pétrole et du gaz mondial, accélérer la mise en place des zones de libre-échange et l’extension du modèle néo-libéral au service des multinationales. L’unique perspective de développement qui est proposé à usage des populations, est l’extension des organismes de micro-crédit ! Un bout de sparadrap sur une jambe de bois ! Quant à l’aide au développement de l’USAID, elle est passée, pour le Maroc, de 18,5 millions de $ en 1995 à 8,5 millions de $ en 2003.

Le projet est-il crédible ?

Sur le fond comme sur la forme, le projet GME pourrait apparaître comme totalement discrédité avant même que de commencer, et devoir tomber de lui-même comme un fruit pourri. Mais ce serait oublier comment, malgré l’évidence du mensonge et de la mauvaise foi, une large partie de la classe politique et dirigeante mondiale a feint de croire aux arguments américains pour lancer la guerre en Irak.
Et, pour ne parler que du Maroc, ce serait oublier la légèreté avec laquelle le gouvernement marocain, sans états d’âme, a négocié la ZLE avec les USA. Ce serait oublier l’empressement avec lequel toute une partie de la presse marocaine relaie tout l’argumentaire américain autour de ce projet. Ce serait oublier avec quelle facilité les politiciens, les industriels mais aussi les cadres associatifs se jettent sur toute manne financière qui tombe du ciel.

Nous ne sommes pas dupes :

La démocratie et le libre-échange que proposent les USA sont des projets impérialistes de contrôle de la région et de pillage de ses richesses qui viennent compléter leur politique d’agression militaire.

Le G8 n’est pas une instance internationale légitime. Le fait de réunir les pays les plus puissants de la planète ne lui donne pas le droit de décider du sort de tous les peuples du monde.

Aussi convient-il de réaffirmer le droit des peuples à l’autodétermination, tant sur le plan politique qu’économique.

La démocratie ne s’exporte pas « clés en main », le développement ne se construit pas en dehors de la volonté des travailleurs. Un tel projet, émanant d’un état qui se comporte en Etat voyou, pillard et criminel de guerre ne peut qu’être rejeté.


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