Traité sur la charte de l’énergie : encore 24 nouveaux litiges malgré le retrait de l’UE

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Novethic | 22 mai 2025

Traité sur la charte de l’énergie : encore 24 nouveaux litiges malgré le retrait de l’UE

Par Concepcion Alvarez

Le Traité sur la charte de l’énergie, qui permet aux investisseurs d’attaquer en justice les gouvernements dès lors que ces derniers modifient leurs politiques énergétiques, est encore bien vigoureux. L’institut Veblen a comptabilisé 24 nouveaux litiges entre avril 2022 et décembre 2024.

Le Traité sur la charte de l’Energie (TCE) est encore loin d’être derrière nous. Bien que l’Union européenne – et avant elle de nombreux pays membres dont la France - aient décidé de sortir de ce traité qui freine la transition énergétique du continent, les litiges se poursuivent tout de même, voire s’accélèrent. L’institut Veblen, qui vient de publier un rapport sur le sujet, comptabilise 24 nouveaux litiges connus dans le cadre de ce TCE entre avril 2022 et décembre 2024.

"Ces affaires en cours démontrent que le TCE demeure un outil stratégique pour les investisseurs dans les combustibles fossiles afin de contourner les réglementations environnementales et climatiques et d’en atténuer les impacts financiers", dénoncent les autrices du rapport. Ce recours "systématique" au TCE soulève "de sérieuses inquiétudes quant à la capacité des États à mettre en œuvre des réglementations environnementales et climatiques rigoureuses sans faire face à de coûteux arbitrages", ajoutent-elles.

ExxonMobil contre les Pays-Bas

Le Traité sur la charte de l’énergie, signé en 1994, à la sortie de la guerre froide, par une cinquantaine de pays dont l’Union européenne, les pays de l’ancien bloc soviétique, le Japon ou encore l’Afghanistan, donne la possibilité aux multinationales et aux investisseurs d’attaquer en justice les gouvernements dès lors que ces derniers modifient leurs politiques énergétiques : que ce soit en abandonnant les énergies fossiles, mais aussi en réduisant les subventions aux énergies renouvelables.

D’après le décompte de l’institut Veblen, 16 des 24 litiges dénombrés concernent des projets d’énergie fossiles, 20 litiges concernent un pays membre de l’UE ou l’UE directement et 14 litiges sont même intra-communautaires, c’est-à-dire qu’ils sont menés par un investisseur ou une entreprise européenne contre un Etat membre. La Cour de justice de l’Union européenne avait pourtant jugé, en 2021, que de tels litiges intracommunautaires fondés sur le TCE étaient incompatibles avec le droit de l’UE.

Parmi les affaires les plus emblématiques, on peut citer celle qui oppose ExxonMobil au gouvernement néerlandais. En septembre 2024, la filiale belge du pétrolier a entamé une procédure d’arbitrage concernant son investissement dans le champ gazier de Groningue, exploité conjointement avec Shell dans le cadre d’une joint-venture. Le litige a pour origine la décision du gouvernement néerlandais d’arrêter progressivement la production de gaz dans ce champ en raison de l’activité sismique liée à l’extraction dans la région. Les dommages et intérêts pourraient atteindre des milliards d’euros – étant donné que le champ gazier de Groningue était l’un des plus grands d’Europe, avec d’importantes réserves inexploitées.

Neutraliser la clause de survie

Comment expliquer que ces litiges se poursuivent ? L’une des raisons principales tient dans la clause dite de survie qui permet de poursuivre un Etat membre du TCE pendant vingt ans après sa sortie du traité. Pour la contourner, la Commission européenne a publié une proposition confirmant l’inapplicabilité des procédures d’arbitrage intra-UE au titre du TCE. Cette proposition fait suite à une déclaration commune de juin 2024 signée par tous les États membres, à l’exception de la Hongrie. Le texte a déjà été approuvé par les commissions ITRE et INTA du Parlement européen et sera soumis au vote en plénière en juin. Le 8 mai 2025, la présidence polonaise du Conseil a invité les États membres à approuver la proposition de la Commission.

Mais pour aller plus loin, l’institut Veblen appelle l’Union européenne à engager des négociations en vue de neutraliser cette clause de survie avec d’autres États tiers qui se sont déjà retirés du TCE, comme le Royaume-Uni, ou qui pourrait le faire à l’avenir. "Ceci est particulièrement important puisqu’un tiers (8 sur 24) des demandes d’arbitrage ont été déposées par des investisseurs basés au Royaume-Uni, dont six contre des pays ayant notifié leur retrait ou contre l’UE", note l’institut.

"Il y a eu un pic d’attention politique autour du TCE en 2022 mais derrière, il n’y a pas de service après-vente pour atténuer au maximum les risques de litiges. C’est vraiment surprenant", réagit auprès de Novethic Mathilde Dupré, co-directrice au sein de l’Institut Veblen, et co-autrice du rapport. Elle appelle également, au-delà du TCE, à s’attaquer à l’ensemble des accords de protection des investissements qui ne seraient pas alignés avec nos objectifs climatiques, et notamment l’Accord de Paris. "Juridiquement, on sait faire mais il n’y a pas de volonté politique", regrette-t-elle.

source : Novethic

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