Scinder l’accord UE‑Mercosur ou comment contourner un débat démocratique essentiel
Photo: Confédération paysanne

CNCD 11.11.11 | 19 juin 2025

Scinder l’accord UE‑Mercosur ou comment contourner un débat démocratique essentiel

par Lora Verheecke

Après plus de 25 ans de négociations, l’Union européenne et les pays du Mercosur ont finalisé le volet commercial de leur accord d’association. La Commission européenne s’apprête désormais à soumettre ce texte au vote du Conseil de l’Union européenne, puis au Parlement européen. Mais cette démarche soulève de vives critiques : en procédant à une « scission » du traité pour isoler la partie commerciale des volets politique et de coopération, la Commission contourne non seulement les exigences du mandat qui lui avait été confié, mais aussi plusieurs principes fondamentaux inscrits dans le Traité sur l’Union européenne. C’est ce que met en lumière une analyse juridique, copubliée par Friends of the Earth Europe et le CNCD-11.11.11.

Une opposition massive

L’accord de libre-échange UE-Mercosur fait l’objet d’une contestation importante, en raison de ses risques graves sur l’agriculture, la santé, l’environnement, ainsi que sur les droits humains — y compris les droits des travailleurs et des travailleuses.

Il est également critiqué pour son opacité et l’absence de véritable participation citoyenne dans son élaboration. La médiatrice de l’Union européenne a, à plusieurs reprises, invité la Commission à rendre publiques davantage d’études d’impact, notamment environnementales et sociales, mais ces demandes sont restées lettre morte.

Sur le terrain, la contestation s’est traduite par des mobilisations croissantes : dès 2024, des manifestations ont eu lieu dans plusieurs pays européens, notamment en Belgique, en France, en Espagne et en Pologne. En Belgique, le Parlement wallon a même adopté une résolution exprimant clairement son opposition à l’accord.

La « scission » : contourner les oppositions pour imposer le traité

Le mandat initial confié à la Commission européenne par le Conseil prévoyait un traitement conjoint des trois volets de l’accord d’association UE-Mercosur : le dialogue politique, la coopération et le commerce. Une telle procédure implique l’unanimité des États membres ainsi que l’approbation des parlements nationaux.

Face aux nombreuses oppositions exprimées dans plusieurs États membres, la Commission européenne a choisi de dissocier les volets de l’accord. Elle propose désormais de traiter séparément la partie commerciale, qui relève de la compétence exclusive de l’Union européenne et peut donc être ratifiée à la majorité qualifiée, du pilier politique et coopératif, relevant d’une compétence mixte, qui exigerait l’unanimité.

Cette « scission » permettrait d’éviter le passage par les parlements nationaux et de court-circuiter l’opposition de certains États membres, notamment la France et la Belgique. La résistance de la Wallonie à l’accord EU-Canada (CETA) est encore dans les mémoires.

Ainsi, à ce jour, seules les dispositions commerciales ont été finalisées et rendues publiques, en décembre 2024. Les deux autres volets restent à ce jour inaccessibles. La Commission entend soumettre le texte commercial au vote des ministres du Commerce des États membres, réunis au sein du Conseil de l’Union européenne, puis au Parlement européen — dernière étape avant son entrée en application.

Avertissements juridiques

Des juristes considèrent que cette stratégie de « scission » enfreint à la fois le mandat initial confié à la Commission par le Conseil, le droit européen et les principes de coopération loyale entre les États membres.

L’analyse menée par le Professeur Markus Krajewski et Julian Werner démontre qu’une telle dissociation des volets de l’accord violerait non seulement le mandat du Conseil, mais également les dispositions générales du droit de l’Union.

Face à cette dérive institutionnelle, les auteurs recommandent qu’un État membre ou le Parlement européen saisisse sans délai la Cour de justice de l’Union européenne, en s’appuyant sur l’article 218 du Traité sur le fonctionnement de l’UE.

Par ailleurs, Amandine Van den Berghe, dans une analyse juridique pour Client Earth, renforce cette mise en garde en soulignant que la procédure envisagée porterait également atteinte au principe fondamental de coopération loyale, inscrit aux articles 4(3) et 13(2) du Traité sur l’Union européenne (TUE).

En contournant délibérément l’opposition citoyenne, cette manœuvre affaiblit considérablement les mécanismes de contrôle démocratique prévus par les traités, d’autant plus dans un contexte où cinq parlements nationaux ou régionaux ont déjà rejeté formellement l’accord UE-Mercosur. Cela alimente également la défiance envers les institutions européennes et donne des arguments aux forces eurosceptiques et d’extrême droite.

C’est pourquoi le CNCD 11.11.11 a co-publié cette note avec les Amis de la Terre Europe et appelle aux responsables politiques belges à tout mettre en œuvre pour instaurer un véritable débat démocratique sur le modèle d’échanges commerciaux souhaité par les Européen·ne·s.

source : CNCD 11.11.11

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