APE - Les Européens veulent casser la solidarité régionale

Le Quotidien (Dakar) | 7 novembre 2007

APE - Les Européens veulent casser la solidarité régionale : Mamadou Cissokho dénonce les manoeuvres de corruption

Mamadou Cissokho

(Envoyé spécial à Bruxelles) — Alors que les nombreuses régions des Etats Acp ont déjà fait connaître leur intention de ne pas signer les Accords de partenariat économique au 31 décembre prochain, l’Union européenne agite une carotte pour ceux des pays en développement qui casseraient les dynamiques régionales pour signer individuellement. En leur promettant, bien entendu, tous les avantages d’un Ape complet. Les paysans africains, par la voix de Mamadou Cissokho, ont fortement dénoncé cette manière de procéder.

«Nous sommes venus vous parler parce que nous pensons qu’aujourd’hui, il y a urgence !» Le temps maussade de Bruxelles ne refroidit pas l’ardeur et la fougue de Mamadou Cissokho. D’un ton saccadé, il assène : «Nous pensons que l’on sort du cadre légitime et collectif pour rentrer dans ce que nous appelons la corruption institutionnelle.»

Ce terme dur, qui plonge la grande salle de l’Allée Jacqmotte, sur la rue Haute à Bruxelles, dans un silence qui ne doit rien au froid qui plombe la ville, s’en prend à la nouvelle politique de la Commission européenne vis-à-vis de ses partenaires dans les négociations sur les Accords de partenariat économique (Ape). M. Cissokho fustigeait ainsi, lundi dernier, à la veille de l’ouverture de la Conférence des ministres de Commerce des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (Acp) avec ceux de l’Union européenne (Ue), qui doit faire le point sur ces négociations, à moins de deux mois de l’échéance pour la signature de ces accords, la nouvelle méthode de l’Union européenne.

Depuis quelques temps, les négociateurs européens ont dû faire le constat de leur déconfiture. Les pays de la région Cedeao ont clairement affirmé, depuis leur rencontre ministérielle de suivi d’Abidjan, en octobre dernier, qu’ils n’allaient pas signer ces accords à ladite date. Et l’Afrique de l’Est de son côté, a fait état d’une si longue liste de conditionnalités, qu’il revenait quasiment à dire qu’elle n’était pas disposée à signer en l’état. Dès lors, le 23 octobre dernier, la Commission européenne a publié un communiqué qui réitérait sa volonté à ne pas demander de moratoire à l’Omc, pour l’application de l’accord de Cotonou, qui arrive à échéance au 31 décembre. A la place, les fonctionnaires européens ont fait savoir qu’ils étaient disposés à accorder le libre accès de leur marché à tout pays Acp qui accepterait de signer une quelconque partie de ces accords.

JUBILATION EUROPEENNE

D’ailleurs, Guillaume Durand, un fonctionnaire de la DG Trade, le département du Commerce de la Commission européenne, l’a encore déclaré de manière nette hier, à Bruxelles : «Nous mettrons tout en oeuvre pour que les pays qui auront paraphé au moins un accord des Ape puissent bénéficier de l’accès total au marché européen.» Il ajoute que ces pays savent qu’ils ont tout intérêt à signer avant la date-butoir, sous peine de perdre tous les avantages que leur accorde le cadre de l’accord de Cotonou. Son collègue, Vincent Aussilloux, du même département, disait la veille, avec jubilation : «En l’absence d’accord avant le 31 décembre 2007, certains pays producteurs de banane vont tomber dans le Système généralisé des préférences, et leurs produits vont subir des hausses de tarifs douaniers qui vont leur faire perdre leur compétitivité. Les consciences se réveillent maintenant, et nous commençons à avoir des réactions positives.» Ces deux fonctionnaires se sont exprimés, à un jour d’écart, lors d’un atelier organisé par les Ong belges 11.11.11 et le Groupe de recherche pour une stratégie économique alternative (Gresea), les 5 et 6 novembre derniers, et qui portait sur «Les accords bilatéraux et régionaux, moteur de l’intégration régionale ou nouveau cheval de Troie du Libre échange ?»

C’est cette manière de faire que Mamadou Cissokho a dénoncé. Venu à Bruxelles pour rencontrer des organisations paysannes européennes, ainsi que des structures de la société civile européenne hostiles à la signature de ces Ape dans leur état actuel, le vieux leader paysan sénégalais a tenu à montrer clairement le danger qu’il y a à laisser la Commission européenne arriver à ses fins : «Ce que la Commission veut faire, c’est tout simplement casser tout le travail difficile que nous avons fait pour arriver à l’intégration. Vous savez bien la difficulté de se mettre ensemble, vous l’avez fait, et vous n’avez pas fini. Au moment où on commence enfin à avoir des espoirs dans la Cedeao, la Cemac, le Comesa, etc. voilà que l’Europe arrive pour dire à certains pays : «Vous n’avez pas besoin de suivre la région, vous allez signer et on va vous donner de l’argent.»

Il indique la duplicité et le double langage de l’Europe, qui fait fi de ses engagements écoulés : «La référence des Ape, c’est l’Accord de Cotonou, et dans Cotonou, on a beaucoup insisté sur le fait que le partenariat qui inclut le respect mutuel, le respect de la souveraineté des Etats, et l’engagement de l’Europe de soutenir l’intégration régionale dans les espaces des Acp. Ce sont pour nous, des actes juridiques, signés par des chefs d’Etats du sud et de l’Europe. C’est l’Accord de Cotonou qui couvre tout le processus, et cet accord dit que l’on négocie les Ape par région. Alors, quand on voit aujourd’hui l’Europe revenir pour dire que des pays peuvent signer à titre individuel des accords, non pas avec la France, l’Italie ou l’Allemagne, mais avec l’Europe, cela veut dire que, pour eux, l’Europe doit rester une mais que nous on peut être dix, vingt, trois voire cinquante, cela n’est pas important.»

Mohamed GUEYE

source : Le Quotidien

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