Bananes - Les producteurs ivoiriens inquiets : Anxieuse attente des Ape

Le Quotidien (Dakar) | 8 novembre 2007

BANANES - Les producteurs ivoiriens inquiets : Anxieuse attente des Ape

Mohamed GUEYE

(Envoyé spécial à Bruxelles) - Incapables de supporter une forte hausse des droits à l’exportation, les producteurs de bananes de Côte d’Ivoire poussent à la signature des Ape. Au grand dam de leurs collègues africains.

La banane de la Côte d’Ivoire a fourni aux fonctionnaires de la Commission européenne (Ce) l’allié africain, le cheval de Troie dont ils avaient besoin pour tenter de casser la solidarité dont les pays de la Cedeao ont fait montre jusqu’à présent, sur la question des Ape. Alors que la date du 31 décembre approche, et que le commissaire européen chargé du Commerce, Peter Mandelson, ne veut pas présenter un bilan négatif sur cette question, la pression sur les pays africains a fortement augmenté. Et il semble que les Européens ont trouvé, parmi les producteurs ivoiriens de bananes et d’ananas, des alliés objectifs. Mardi dernier, au cours d’une rencontre informelle entre certains ambassadeurs des pays de la Cedeao, accrédités à Bruxelles, et des producteurs africains venus pour des manifestations en marge de la rencontre ministérielle Acp-Ue, la langue de bois a été oubliée.

Le président de l’Association nationale des organisations des producteurs d’ananas et de bananes de Côte d’Ivoire (Anopaci), M. Ngoan Aka Matthias, a été brutal dans son langage : «Pourquoi la Côte d’ivoire doit-elle sacrifier l’existence de plus de 50 000 travailleurs de la banane et leurs familles, au nom de la solidarité régionale ? Qu’est-ce que cette solidarité a-t-elle fait de concret pour nous ? Que fera-t-elle pour nous demain, quand nous ne serons pas en mesure de payer les droits de douane de l’Europe ?» Revendiquant avec force sa qualité de «membre fondateur du Roppa», M. Ngoan Aka affirme qu’il va demander aux dirigeants de son pays de signer les accords avec l’Union européenne.

A ceux qui lui font remarquer que c’est un piège de l’Union européenne dans laquelle les membres de son association tombent, il affiche : «Moi, je suis un paysan. Je ne crois qu’à ce que je vois. Et ce que je vois pour le moment, c’est que l’Ue ne veut pas reculer, et elle nous a même déjà communiqué les tarifs auxquels nos produits seront soumis dès la fin de l’accord de Cotonou, qui impose les préférences commerciales non réciproques.» Les services douaniers européens ont fait savoir aux producteurs de bananes de Côte d’Ivoire et du Cameroun, qu’ils allaient devoir payer 176 euros la tonne de bananes exportée, «ce qui nous revient à 115 francs Cfa le kilo», détaille Ngoan Matthias.

ARBRES ABATTUS

En aparté, l’Ivoirien dira même à son partenaire du Roppa, Mamadou Cissokho : «Au pays, les gens commencent à abattre les bananiers, tellement l’inquiétude est grande. Personne ne pourra payer des tarifs aussi élevés. Et, tu sais que le marché européen est de loin le plus profitable pour nous.» Il explique que, pour des raisons de conservation du produit, il est quasiment impossible de vendre la banane ivoirienne dans une contrée aussi éloignée que la Chine : «Le temps qu’elle arrive, elle sera marron !» Et d’ajouter que les autres pays, surtout ceux du Sud, ne sont pas en mesure de payer le prix pour un produit de la qualité de cette banane. «Ce sont souvent des bananes de seconde qualité que nous envoyons dans des pays voisins comme le Nigeria ou le Sénégal.»

La Côte d’Ivoire est le premier producteur de bananes en Afrique de l’Ouest, et le second de la zone, en ce qui concerne l’ananas, où elle vient après son voisin ghanéen. La production de bananes est de 250 000 tonnes dans ce pays. Ngoan Aka précise : «Le binôme ananas-banane vient juste derrière le binôme café-cacao en Côte d’Ivoire. Nous injectons, bon an mal an, environ 5 milliards de francs Cfa dans les caisses de l’Etat, sous forme d’impôts et de taxes diverses. Sans compter près de 75 milliards que nous payons en salaires et frais divers, malgré la crise politique de ces dernières années.» Ces sacrifices, pense le président des producteurs ivoiriens, sont trop grands pour rester improductifs. Et il ajoute que ce n’est pas tout : «Il faut 15 millions de francs Cfa pour produire un hectare de bananes, et 5 millions pour un ha d’ananas. Si les Ape ne sont pas signés, et que nous soyons obligés de payer les droits de douane, nous allons devoir fermer boutique.» Il réfute quand on lui dit que les grands producteurs de bananes en Côte d’Ivoire sont des expatriés, essentiellement français. Il assure que le petit nombre de Français impliqués dans le secteur, ne peut cacher la proportion des nationaux, qui restent de loin majoritaires. Néanmoins, Mamadou Cissokho, de même que le représentant de la Cedeao à Bruxelles, M. Alpha Yaya Sow, pense que la Côte d’Ivoire pourrait être ramenée à une vision plus réaliste des choses.

Mais Cissokho objecte que, «la Côte d’Ivoire n’est pas seule dans son cas. Tout ce qu’elle produit, le Ghana également le produit, et les deux pays vendent vers les mêmes clients. Il n’y a pas de raison que les paysans ghanéens comprennent les enjeux de ces Ape et pas les Ivoiriens. Il suffit qu’on leur explique comme il faut». Il ajoute néanmoins : «Mohamed Ibn Chambas de la Cedeao, comme les autres fonctionnaires internationaux, ont tous des parents paysans. Ils ne vont pas les abandonner. Personne ne va sacrifier personne si nous restons solidaires. On a besoin de se parler plus et de se comprendre.» Ibrahima Ouedraogo, de la cellule malienne du Roppa, explique : «Toute cette histoire, montre l’intérêt de la mobilisation. Car, même si les dirigeants ne signent pas le 31 décembre, qui peut garantir qu’ils ne vont pas signer le lendemain, sous une très forte pression ?»

C’est dans cette atmosphère d’inquiétude sur l’avenir, et de manifestations contre certains dirigeants africains par leurs compatriotes, que la Conférence ministérielle s’est ouverte hier, au siège du parlement européen à Bruxelles, le Berlaymont.

source : Le Quotidien

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