Pourquoi les femmes africaines doivent dire non aux Ape et au néolibéralisme

Le Soleil (Dakar) | 8 janvier 2008

Pourquoi les femmes africaines doivent dire non aux Ape et au néolibéralisme

En se demandant si les Ape sont une façon programmée de déstructurer l’Afrique et nos économies et en donnant le ton de la lutte, le Président A. Wade a posé un acte majeur, mais c’est surtout la Société civile qui vient d’obtenir un allié à la mesure de ses ambitions.

Me Wade apparaît désormais comme étant le chef de file de la rébellion internationale qui se met en place. Nul doute que bien des organisations se mobiliseront aux côtés d’un allié capable de porter leur lutte à des niveaux jamais égalés. Cela fait plus de dix ans que la Société civile mène un combat contre les accords commerciaux entre l’Europe et l’Afrique. Je laisserais le soin à de nombreuses organisations comme Enda Syspro, le Congad, le Roppa, Oxfam et à des experts tels que Cheikh Tidiane Dièye, Taofikh Ben Abdallah, Moussa Dembélé, Ndiogou Fall et bien d’autres, de l’expliquer aux populations africaines. Je voudrais simplement dire pourquoi les femmes africaines doivent se mobiliser contre les Ape.

Les Ape et la féminisation de la pauvreté

Les Ape ne sont qu’une forme d’expression de la politique ultra libérale de l’ouverture du marché, qui au nom de la compétitivité fondée sur l’accroissement de la productivité et une concurrence sans merci, a placé les pays africains dans une situation qu’aucun des pays développés n’a connue au cours de son histoire. La plupart ayant été peu ou pas concurrencés sur leurs marchés à l’époque de leur "développement".

La mondialisation capitaliste a consacré une exclusion des pays africains qui avec 11% de la population mondiale ne représentent que 1,4% du commerce mondial et ne reçoivent que 1,7% des flux des capitaux d’investissements, entraînant une pauvreté massive qui frappe plus de 600 millions de ménages, les femmes en constituant la frange la plus importante. Il faut alors interroger l’option du marché libéral, ainsi que les accords commerciaux et leurs conséquences sur les femmes qui constituent le pilier de la survie des populations en Afrique.

Les commerçantes sénégalaises, les Nana Benz togolaises, les Golden Ladies ghanéennes et béninoises ont vu leurs activités décliner du fait de la concurrence sauvage, laissant des milliers de familles dans la précarité absolue.

L’ouverture des marchés a porté atteinte aux politiques d’intégration africaines. Les exportations des produits halieutiques des pays d’Afrique de l’Ouest vers l’Afrique centrale ont diminué, non pas du fait de la guerre dans cette région, mais à cause des accords de pêche. Le pillage des ressources a nuit aux femmes qui sont dans ce secteur.

 La signature des Ape signifie une perte de 30 à 70% des recettes pour les Etats africains, ce qui va porter un coup fatal aux politiques d’amélioration des conditions de vie des femmes. Il y aura moins de ressources à investir dans les services sociaux, notamment la Santé, au moment où les Africaines sont les plus touchées par la maladie et la mort. En Afrique Sub-saharienne se trouvent 50% des décès lié à la mortalité maternelle et 13,5 millions de femmes sont d’infectées par le Vih/Sida ;

 Signer les Ape signifie faire peser davantage de responsabilités sur les épaules déjà alourdies des femmes, car lorsque les entreprises fermeront leurs portes, lorsque que les hommes seront condamnés au chômage et les jeunes à l’exil, les femmes seront seules pour assurer la survie de la famille, mais pour combien de temps !

 Signer les Ape, c’est accepter que l’agriculture et les secteurs de transformation, qui accueillent 70 à 80% des femmes, soient totalement déstructurés ;

 Signer les Ape, c’est aussi accepter la disparition de notre artisanat. Déjà, avec l’ouverture des marchés, les articles fabriqués par les femmes sont recopiés et des produits de qualité médiocre déversés sur les marchés africains, ce qui anéantit par-là même tous leurs efforts ;

 Signer les Ape, c’est ouvrir les privatisations des services de base comme l’eau et l’énergie à des étrangers intéressés par le seul profit avec des impacts considérables pour les unités de production des femmes.

Au-delà des Ape : Construire une nouvelle vision stratégique de l’Afrique

Les politiques commerciales (Omc, Ape) ne sont rien d’autre qu’une forme d’expression du capitalisme sauvage dicté par les ultra-libéraux. Il faut rappeler que le libéralisme fondateur des Lockes et Montesquieu voulait rompre avec le conservatisme. Obligés de s’allier contre le communisme, leurs luttes reprendront après la chute du mur de Berlin avec une victoire des conservateurs. En réalité, aujourd’hui sous la nouvelle étiquette de néolibéraux, ce sont d’authentiques conservateurs qui gouvernent le monde. Il faut aussi rappeler que ce néolibéralisme est incapable de promouvoir l’égalité de Genre, car fondé sur des rapports d’exclusion, d’exploitation, de domination et d’inégalité entre race et entre sexes. Ce qui est dénoncé aujourd’hui s’inscrit dans la continuité de ce que les théoriciens de la dépendance de l’école Latino-américaine, comme Arguiri Emmanuel dénonçait dans les années 70 avec la théorie de l’échange inégal. Le capitalisme occidental n’a jamais changé d’objectif avec l’Afrique depuis la traite négrière. Il a certes une formidable capacité d’adaptation, mais la vision reste la même, à savoir laisser l’Afrique à la périphérie du développement, comme dirait Samir Amin et l’utiliser comme réservoir pour son propre développement.

Au-delà des Ape, il nous faut marquer un temps de réflexion et nous interroger sur toutes les politiques dont nous sommes victimes, qu’elles s’appellent Omd, Dsrp, voire Nepad ; car le paradigme qui fonde l’idéologie néolibérale commune qui les gouverne nous est défavorable et si les tendances actuelles continuent, l’Afrique subsaharienne sera la seule région du monde à avoir un taux de pauvreté plus important en 2015 qu’en 2000.

Au-delà des Ape, il s’agit d’examiner notre insertion dans le capitalisme mondial et par conséquent, d’examiner nos rapports avec les Américains et les Chinois, entre autres. L’Afrique ne peut plus accepter que les règles du jeu soient édictées par les seuls pays riches ; c’est pourquoi nous devons faire en sorte que des institutions, telles que l’Union africaine, soient un moyen d’affirmation de la souveraineté d’un espace sous-régional africain face aux grand pôles économique : Union européenne, Alena, Mercusor, etc.

Le temps des alliances stratégiques

La Société civile doit continuer à exercer une pression sociale à chaque fois que les actes posés par les politiques ne vont pas dans le sens des intérêts des populations. Cependant, il est venu le temps des alliances contre les Ape, pour la dignité et la survie du continent africain. Le combat contre les Ape, je l’espère, marquera la naissance d’une nouvelle ère pour la construction d’une véritable citoyenneté africaine. Il constitue un moment de réflexion sur le devenir du « continent noir » de Hegel, méprisé par l’Occident, pour la construction d’une grande nation prospère, qui traitera d’égal à égal avec tous les autres pays du monde.

Les femmes et le combat contre les Ape et le néolibéralisme

Les femmes ont été avec les hommes de toutes les luttes contre les colonisateurs et souvent au prix de leur vie. Au Sénégal, Ndatté Yala première résistante nationale a pris les armes contre Faidherbe en 1854. Mais partout en Afrique, toutes catégories confondues, les femmes ont mené la lutte sur tous les fronts. Elles se sont soulevées contre l’imposition au Nigeria (1925, 1929), au Togo (1933) ou au Cameroun (1931). Elles ont soutenu les luttes politiques et syndicales au Nigeria en 1947 avec Michael Imodou, ainsi qu’au Sénégal en 1947 avec les cheminots.

En Côte d’ivoire en 1949, suite à l’arrestation des leaders du Pdci, elles firent trembler le pouvoir colonial. En Afrique du Sud, le combat contre l’exclusion citadine des femmes noires a été le pivot de leur lutte contre l’apartheid. Même en Haïti, les femmes étaient au cœur de l’insurrection populaire déclenchée en 1865.

Comme hier dans la lutte pour l’indépendance politique du continent, il s’agit aujourd’hui, dans la lutte contre les Ape (une lutte pour les indépendances économiques), de s’atteler à ce que les Africaines participent à cette nouvelle épopée avec tous leurs talents et toute leur générosité, afin de garantir un avenir meilleur à leurs enfants.

Dr Fatou SARR Chercheure Laboratoire Genre de l’Ifan

source : Le Soleil

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