Forte mobilisation paysanne contre l’Alena
Les paysans sont venus manifester en tracteur jusque devant le Palais national. (Photo : Gouy Patrice)

RFI | le 01/02/2008

Forte mobilisation paysanne contre l’Alena

par Patrice Gouy

Le 1er janvier 2008, entrait en vigueur l’Accord de libre échange nord-américain (Alena). Cette ouverture commerciale des frontières devrait ruiner petites et moyennes exploitations agricoles et entraîner une migration supplémentaire de 10 % des Mexicains aux Etats-Unis. Trois cents organisations agricoles de tous bords se sont retrouvées à Mexico pour réclamer la renégociation de ce traité, et une nouvelle politique agricole.

Des vaches sous le monument à la Révolution... Une distribution gratuite de 26 000 litres de lait... Une caravane de tracteurs et de moissonneuses-batteuses sur le Paseo de la Reforma, les champs Elysées mexicains : 130 à 150 000 paysans sont venus manifester ce 31 janvier à Mexico, pour former une grande alliance nationale et exiger une renégociation de l’Alena.

Dès les premières heures de la journée, des groupes de paysans ont formé des murailles humaines sur divers points de la frontière nord-américaine pour s’opposer à l’entrée sans taxes de 1 100 produits dont 4 hyper sensibles : le maïs, le haricot noir, la canne à sucre et le lait en poudre.

Pour Davis Padilla, du Barzon, cette mobilisation massive des paysans est une déclaration de guerre au gouvernement mexicain et aux fractions parlementaires du PRI (ancien régime) et du PAN (parti au pouvoir), qui refusent d’écouter les arguments du monde rural mexicain.

Héladio Ramirez, le président de la Commission du développement rural du Sénat, a demandé au gouvernement d’être prudent, car « le Mexique est au bord de l’instabilité sociale en raison de l’insupportable situation dans laquelle se trouve 30 millions de paysans ».

Même son de cloche à la Chambre des députés, où José Federico del Valle considère que « la libéralisation de tous les produits agricoles peut avoir de terribles conséquences pour les agriculteurs ».

Un bilan catastrophique pour le monde rural

Il y a 14 ans, lorsque le gouvernement mexicain signe l’Alena, il affirme que ce traité de libre commerce va créer des emplois et permettre au Mexique d’entrer de plein pied dans le premier monde.

Aujourd’hui, on s’aperçoit que, durant toutes ces années, les gouvernements ont regardé le monde rural se dégrader sans intervenir. Aucune politique agricole n’a été mise en place pour permettre aux exploitants d’être plus efficaces, pour éviter que les subsides ne disparaissent dans les poches des organisations corrompues ou ne soient accordés qu’aux groupes agro-industriels privilégiés par le gouvernement. Aucun effort n’a été entrepris pour former des techniciens compétents, pas plus qu’il n’y a eu de financement pour moderniser les exploitations agricoles.

« S’il y avait eu volonté politique, explique Max Correa, de l’ONG Sin Maïs no Hay País (Sans maïs, pas de pays), le gouvernement aurait mis en place des aides pour permettre aux paysans de regrouper leurs terres (85 % des agriculteurs possèdent en moyenne 2 hectares de terres), et pour réorganiser la production » (sur les 1,9 millions de producteurs de maïs, 79 000 seulement vendent leur grain sur le marché national ou international, ce qui veut dire que cette production est essentiellement de l’autoconsommation).

Ce manque d’action politique a entraîné une stagnation de la production. Le Mexique a produit 23 millions de tonnes de maïs en 2007 contre 18 en 1994, soit 30 % de plus en 14 ans. A peine 2 % de croissance par an, ce qui est insignifiant dans un pays à vocation agricole. Le bilan des 14 ans de l’Alena est donc sans appel. Le monde rural est resté archaïque.

Le poids de l’ouverture des frontières

Avec la disparition progressive des taxes à l’importation, le grain américain, fortement subventionné, est devenu moins cher que le grain mexicain. Ces importations ont donc entraîné un exode rural vers les villes et aux Etats-Unis. Selon Cruz Lopez Aguilar, le président de la puissante Confédération Nationale des Paysans (CNC) : « 5 millions d’emplois agricoles ont été perdus, 2 millions d’hectares sont en jachère, et 6 millions d’agriculteurs mexicains ont émigrés aux Etats-Unis ».

Le Mexique a alors perdu sa souveraineté alimentaire et a été contraint d’importer 10 millions de tonnes de maïs par an. Une situation d’autant plus grave que depuis que les Etats-Unis ont lancé leur plan Ethanol, les prix des grains se sont envolés, entraînant une hausse généralisée du panier de la ménagère.

« La hausse la plus scandaleuse est celle de la tortilla, la galette de maïs, base de l’alimentation des 50 millions de Mexicains les plus pauvres. Son prix a augmenté de 760 % en 14 ans ! Les responsables de ces hausses sont les spéculateurs, les entreprises de commercialisation qui provoquent la pénurie pour augmenter les prix sans que le gouvernement ne bronche, déclare Max Correa, c’est la raison pour laquelle il faut renégocier le chapitre agricole de l’Alena, moderniser notre agriculture et retrouver notre souveraineté alimentaire ».

Le Parti d’action nationale et le gouvernement s’y refusent, estimant que les bénéfices de ce traité doivent être pris dans leur ensemble et non chapitre par chapitre. Cruz Lopez Aguilar résume joliment la situation : « Nous avons été trompés ! Le gouvernement a volontairement abandonné les campagnes, et comme toujours lorsque l’on signe un traité, il y a toujours une offrande, et la vérité, c’est que le monde rural a été l’agneau du sacrifice sur l’autel libéral : le gouvernement nous a vendus ! ».

source : RFI

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