Egypte - États-Unis : Discussions en vue

Al-Ahram Hebdo (Le Caire), le 9 mars 2005

L’enquête

Egypte - états-unis . Washington se dit enfin prêt à entamer des négociations pour l’établissement d’une zone de libre-échange entre les deux pays. Une décision soudaine, accueillie avec suspicion par les Egyptiens. Explications.

Discussions en vue

Une délégation de la mission économique égyptienne appelée « Frapper aux portes » s’est rendue cette semaine aux Etats-Unis afin de préparer la visite du président Hosni Moubarak, attendu le mois prochain à la Maison Blanche.

Ces déplacements s’inscrivent dans le cadre de l’intensification des relations économiques entre les deux pays après l’annonce de l’ouverture de négociations pour l’établissement d’une zone de libre-échange entre l’Egypte et les Etats-Unis (Free Trade Agreement, FTA). Des négociations maintes fois reportées en raison du retard pris par le gouvernement égyptien à appliquer les réformes économiques requises par son vis-à-vis américain.

La semaine dernière, une importante réunion s’est en effet tenue entre le ministre du Commerce extérieur et de l’Industrie, Rachid Mohamad Rachid, et l’assistante du représentant américain au Commerce pour l’Europe et la Méditerranée, Catherine Noveli, à l’issue de laquelle décision a été prise d’entamer les négociations sur la FTA, même si aucune date n’a encore été précisée. « D’importantes questions demeurent et doivent être examinées. Mais nous sommes impressionnés par la détermination des Egyptiens à mener à bien les réformes », a souligné Noveli, à la sortie de cette réunion. Côté égyptien, Rachid a annoncé la formation de groupes de travail égypto-américains qui comprennent des représentants des douanes, de l’agriculture, des télécommunications, de la justice et de la propriété intellectuelle. Ils constitueront les intérêts communs des deux parties de la négociation, ce qui risque d’être une tâche plutôt délicate.

Car il faut dire que, malgré des déclarations officielles très optimistes, le scepticisme règne. Plusieurs observateurs se plaignent du fait que les Américains se contentent de faire des promesses qu’ils ne tiennent pas par la suite. D’abord, ils n’ont cessé de réclamer des réformes économiques, ensuite, ils ont appuyé l’établissement d’une coopération économique avec Israël à travers le QIZ, puis, dernièrement, un bras de fer avec le gouvernement égyptien a été déclenché par le lobby des firmes pharmaceutiques américaines pour entraver les négociations sur la FTA.

Un enchaînement d’événements qui nourrit la suspicion d’un expert comme Gouda Abdel-Khaleq, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, qui se demande : « Comment les Etats-Unis peuvent-ils annoncer le début de négociations sur une zone de libre-échange, alors qu’on vient de signer le QIZ le mois dernier ? Ce n’est pas logique, je doute qu’il y ait vraiment un début de négociations ». Une opinion qu’est loin de partager Samir Radwan, directeur de l’Economic Research Forum, pour qui « le QIZ a été signé pour réaliser le souhait des Etats-Unis de voir l’Egypte entretenir des relations avec Israël et son but est donc plus politique que purement économique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’annonce de l’ouverture prochaine de négociations sur la FTA vient comme une récompense ».

Les Etats-Unis ont en effet entamé des négociations sur des zones de libre-échange avec d’autres pays arabes, comme le Sultanat d’Oman et les Emirats arabes unis et a déjà conclu un accord de FTA avec la Jordanie et le Maroc. Ce qui a nourri la méfiance des observateurs égyptiens a été cette campagne virulente menée depuis un mois par les firmes américaines du médicament qui ont clairement annoncé qu’elles seraient prêtes à entraver les négociations sur la FTA au cas où le ministère de la Santé s’entêtait à ne pas répondre à leurs demandes. Même si le ministre du Commerce extérieur, Rachid Mohamad Rachid, considère que cette campagne n’aura « aucune influence sur les négociations », il affirme dans le même temps que « l’on tient à résoudre ces problèmes ». Les Etats-Unis veulent sans doute préserver les intérêts de ces firmes.

En dehors du cadre des accords avec l’OMC, les Américains souhaitent conclure des accords bilatéraux avec les pays en voie de développement. « Les médicaments génériques feront sans doute l’objet d’un examen particulier au cours des négociations sur la FTA. Les négociateurs égyptiens devraient se montrer prudents », met en garde Radwan.

En revanche, du côté des milieux d’affaires égyptiens, l’heure est à l’impatience. Selon un rapport du Centre égyptien des études économiques (ECES), une zone de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Egypte a d’abord des retombées politiques pour les Américains, alors que pour les Egyptiens, le gain ne peut être qu’économique. Les enjeux, en effet, d’un tel accord ne sont pas seulement économiques et la politique y joue un rôle de première importance.

Les Etats-Unis constituent, en termes d’échanges commerciaux, l’un des principaux partenaires de l’Egypte après l’Union Européenne (UE). Les exportations égyptiennes vers les Etats-Unis se sont élevées à 542,2 millions de dollars en 2003, alors que les importations, elles, ont atteint 1,3 milliard de dollars pendant la même année. Et, toujours selon le rapport du ECES, les retombées pour les Egyptiens d’une zone de libre-échange avec les Etats-Unis seront certes positives mais minimes, alors que les dividendes politiques que vont en tirer les Américains seront bien plus importants.

« L’essentiel est d’avoir une stratégie bien claire en ce qui concerne la capacité d’exportation. La question qui doit être résolue du côté égyptien est : Comment bénéficier de l’ouverture de ces marchés, que ce soit avec l’UE ou les Etats-Unis ? », ajoute Radwan. Depuis 1995, officiels et hommes d’affaires égyptiens ont tenté lors de toutes les occasions de convaincre leurs homologues américains de l’établissement d’une zone de libre-échange, mais ces tentatives se sont toutes soldées par des échecs. Qu’en sera-t-il cette fois-ci ?.

Ibtessam Zayed


Un dur jeu d’équilibre

Les Emirats arabes unis et les Etats-Unis entameront, dans le courant mars, un nouveau round de négociations pour la signature de la convention sur une zone de libre-échange. Ce qui n’est pas pour plaire aux autres pays du Golfe.

L’idée de créer une zone de libre-échange (FTA) a été conçue par l’équipe du président Bush en 2003 dans le but de réaliser le projet américain de création, d’ici à 2013, d’une convention de libre-échange dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. La première étape donc de ce projet se fonde sur la signature par les Etats-Unis de l’accord de la FTA avec chacun des pays de la région dans un cadre bilatéral.

« Les Emirats bénéficieront de la signature de la convention de libre-échange qui aura des effets positifs sur l’accès des exportations des Emirats au marché américain », c’est ainsi que le ministre émirati des Finances et de l’Industrie, Khaled Ali Al-Bostani, a commenté l’enthousiasme de son pays pour la signature d’un tel accord.

Un enthousiasme qui n’est pas partagé par le Conseil de Coopération des pays du Golfe (CCG), qui juge que Washington néglige délibérément tous les blocs économiques, préférant les cadres bilatéraux. Raison pour laquelle l’Arabie saoudite accuse les Emirats arabes unis et Bahreïn (qui a déjà signé l’accord de la FTA en septembre dernier) d’aller à l’encontre des tendances du CCG. Riyad insiste sur l’importance de conclure un tel accord en tant que bloc, à l’exemple de l’Union européenne. Mais la question qui se pose encore est de savoir si les Emirats bénéficieront de l’accord FTA autant que les Etats-Unis.

Cet accord portera dans un premier temps sur une réduction des barrières douanières qui devront plus tard être totalement supprimées. Selon une étude de la Chambre de commerce et de l’industrie de Doubaï, les Etats-Unis ont inclus des clauses dans la FTA en faveur de leurs intérêts économiques sans tenir compte de ceux de leur partenaire.

Ces clauses portent notamment sur l’ouverture du marché des services à l’exemple des télécommunications et des assurances, ajoutant une exemption de 95 % des tarifs douaniers. Cette étude de la Chambre de commerce de Doubaï critique également les Etats-Unis qui tentent d’accélérer la conclusion de la FTA sans tenir compte du temps nécessaire aux Emirats pour la mise en application de l’accord, sans leur donner non plus celui d’étudier les impacts économiques et sociaux de la FTA sur le moyen et le long termes. Par ailleurs, la FTA n’accorde aucune place aux aides financières et techniques accordées jusque-là par Washington aux Emirats.

Le Conseil des ministres des Emirats a donc finalement décidé, il y a deux semaines de cela, la formation d’un conseil de consultation qui planchera sur les recommandations pour étayer le point de vue du gouvernement des Emirats dans la négociation avant de signer la FTA. Pour mieux examiner les effets de cette convention sur l’économie des Emirats, Bostani a fait appel, fin janvier dernier, à un bureau de consulting international, Maxell Stamp, qui a envoyé un groupe d’experts aux Emirats pour rencontrer les représentants du gouvernement, mais aussi les hommes d’affaires, et affiner ainsi ses recommandations pour les prochaines négociations. L’étude porte principalement sur l’impact de l’entrée des exportations des deux pays, y compris celles de services tels que les télécommunications, les services financiers et les transports. « Nous examinerons aussi les résultats des négociations entre les Etats-Unis et les pays qui ont déjà signé l’accord de la FTA, notamment le Bahreïn, le Maroc et la Jordanie », souligne Khaled Ali Al-Bostani.

Il est à noter que les exportations américaines vers les Emirats se sont élevées à 3,5 milliards de dollars en 2003, tandis que celles des Emirats vers les Etats-Unis ont atteint 1,1 milliard de dollars pour la même période. Les Emirats arabes unis sont considérés comme un pays très important pour les Etats-Unis car les trente plus grandes compagnies américaines y sont déjà implantées. Les Emirats avaient déjà signé, le 15 mars 2004, la convention du commerce et de l’investissement (Trade and Investment Framework Agreement, TIFA) pour renforcer leur secteur privé.

Dans ce cadre, Robert Zoellick, le représentant américain au commerce, a souligné que la TIFA avait pour but de soutenir l’activité du secteur privé, ouvrant de nouvelles opportunités de travail aux entreprises américaines se trouvant aux Emirats. Cela est d’autant plus intéressant pour les Américains que la législation émiratie est très ferme en ce qui concerne la part de contribution étrangère dans les entreprises locales, part qui ne doit pas dépasser le seuil des 49 % du capital. Washington demande donc l’annulation de ces entraves, qui si elles venaient à tomber, permettraient aux compagnies américaines d’envahir le marché des Emirats en toute liberté.

Dahlia Réda

source : Al-Ahram

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