L’Islande hors de l’AELE: et alors?

swissinfo | 18 mai 2009

L’Islande hors de l’AELE: et alors?

Le crash financier islandais a poussé les gens dans la rue et pourrait précipiter l’adhésion de l’île à l’Union européenne.

Avec le renversement de majorité consécutif au crash financier de l’automne, l’Islande envisage d’adhérer à l’Union européenne. Avec quels effets pour l’Association européenne de libre-échange, dont fait partie la Suisse? L’avis du Norvégien Kåre Bryn, son Secrétaire général.

Selon de récents sondages, deux Islandais sur trois se disent favorables à l’ouverture de négociations en vues d’une adhésion à l’Union européenne (UE). Le processus pourrait durer moins de deux ans aux dires de la cheffe du nouveau gouvernement. Or l’Islande est un des quatre membres «résiduels» de l’AELE, dont fait aussi partie la Suisse.

swissinfo: Vous attendez-vous à ce que l’Islande rejoigne l’Union européenne?

Kåre Bryn: Il est beaucoup trop tôt pour le dire. Il semble probable que l’Islande fera une demande d’adhésion. Mais un référendum sera organisé sur le plan intérieur et l’opinion des Islandais paraît assez incertaine. Il m’est donc impossible d’avoir une vision catégorique.

swissinfo: Quelles seraient pour l’AELE les implications d’une adhésion de l’Islande à l’UE?

K.B.: Le résultat serait que l’Islande quitterait l’AELE. C’est aussi simple que ça.

swissinfo: Une AELE à trois pays aussi différents sur le plan économique que la Suisse, le Liechtenstein et la Norvège aurait-elle encore un sens?

K.B.: Je ne crois pas que le départ de l’Islande changerait fondamentalement la situation. L’Islande reste un petit pays, avec à peine plus de 300’000 habitants. Un faible pourcentage de la population de l’AELE. La situation ne serait donc pas dramatique pour les trois autres pays en matière de négociations commerciales.

L’AELE administre aussi l’Espace Economique Européen, dont seuls la Norvège et le Liechtenstein sont membres, en plus de l’Islande. Là aussi, personne, ni du côté norvégien, ni de celui de l’Union européenne, n’évoque le moindre changement dans l’organisation de l’EEE. Il semble là aussi exister un consensus politique. L’EEE continuera, même à deux pays.

swissinfo: Mais à trois «petits» pays, l’AELE apparaitrait encore plus minuscule...

K.B.: Il faut considérer ce que nos pays accomplissent à travers l’AELE. Nous négocions des accords de libre-échange partout dans le monde. 17 signés jusqu’ici.

Entre 1960 et 1990, l’activité de l’AELE était essentiellement centrée sur les relations internes, entre les pays qui la constituaient. Elle était dominée par la Grande-Bretagne et comptait sept membres.

Depuis les années nonante, l’AELE s’occupe de l’EEE, dont la Suisse ne fait pas partie, et se consacre à la négociation des accords de libre-échange sur toute la planète. Certes, nous avons moins de membres, mais un champ d’action bien plus large qu’avant 1990. C’est le paradoxe. Mais aussi longtemps que la Norvège et la Suisse trouveront efficace de travailler par le biais de l’AELE, elle poursuivra son travail.

swissinfo: Justement, la Suisse et la Norvège vont-elles continuer longtemps à y trouver leur intérêt?

K.B.: Tout ce que je vois et tout ce que j’entends me fait répondre que oui.

swissinfo: Mais la Suisse discute libre-échange en solitaire avec la Chine, le Japon, les Etats-Unis. Ne va-t-on pas vers un abandon progressif de l’AELE?

K.B.: Non, je ne crois pas. La Chine est un cas spécial, la Norvège négocie bilatéralement depuis un an avec elle, comme le fait l’Islande. Le Japon est aussi un cas particulier. Mais cela n’affecte en rien les 17 autres accords. La coopération par le biais de l’AELE n’est pas une obligation mais une possibilité utilisée lorsque ses membres et leurs partenaires en voient l’utilité. Notamment en termes de capacités. Tout ceci tient avant tout d’une façon pragmatique d’opérer.

swissinfo: A deux petits pays face à la grande Union européenne, l’EEE résisterait-il, lui, au départ de l’Islande?

K.B.: A nouveau, le partant éventuel n’est pas un grand pays mais un partenaire junior. Le versant institutionnel développé pour l’EEE est très complexe. Il pourrait être question de revoir cette organisation si l’EEE ne concerne plus que deux pays. Mais je ne pense pas que la substance [les accords et autres décisions] en sera affectée.

Les signaux venant de l’Union européenne nous disent la même chose. Le cas islandais ne doit pas affecter la substance de l’accord. Que la Norvège et le Liechtenstein poursuivent à deux peut paraître étrange, mais c’est un résultat de l’histoire.

swissinfo: En Suisse, la question européenne refait progressivement surface. Un changement de statut de l’Islande ne serait-il pas l’occasion pour les trois membres restants de l’AELE de simplifier ensemble leur relation avec l’UE?

K.B.: Il s’agit d’une question politique très complexe. Elle n’est pas facile à traiter en Suisse. Elle est au moins aussi compliquée en Norvège. Il est peu probable que les partis politiques norvégiens proposent l’adhésion à l’Union européenne. L’opinion publique y est opposée depuis plusieurs années. Je n’y crois pas dans un avenir proche.

swissinfo: Mais n’y aurait-t-il pas moyen de simplifier cette architecture européenne si compliquée?

K.B.: Techniquement, la chose serait tout à fait possible. Est-elle possible politiquement? C’est la question. Je ne suis pas certain de ce qu’en diraient les peuples suisse et norvégien. La réalité politique étant ce qu’elle est, à vues humaines, il est difficile d’envisager de grands changements dans cette architecture.

Pierre-François Besson, swissinfo.ch

source : swissinfo

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