Le travail forcé s’invite dans les négociations de libre-échange entre la Suisse et la Chine

Le Temps | lundi10 septembre 2012

Le travail forcé s’invite dans les négociations de libre-échange entre la Suisse et la Chine

Par Ram Etwareea

Un accord avec Pékin serait une aubaine pour les entreprises helvétiques. Le dissident Harry Wu témoigne des dérives du régime

La «Plateforme Chine» constituée d’organisations non gouvernementales (ONG) suisses[1] ne relâche pas la pression sur le Département fédéral de l’économie. Alors que le sixième round des négociations pour un accord de libre-échange (ALE) avec la Chine a lieu ce mois à Berne, elle exige que tout accord contienne des clauses contraignantes sur les droits humains. Objectif: assurer que les produits chinois qui arrivent sur le marché suisse ne violent pas les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) et qu’il soit possible de prendre des mesures en cas de non-respect.

Les négociations pour un ALE avec la Chine ont débuté en janvier 2011. Si tout va bien, elles se concluront à la fin de 2012. Au fil des années, le commerce entre les deux pays n’a pas cessé de s’amplifier, les exportations suisses atteignant 27,2 milliards de francs en 2011. L’économie chinoise en pleine croissance est devenue un grand marché pour nos montres, nos instruments de précision, nos machines-outils et nos produits pharmaceutiques.

«La Chine est le quatrième plus grand importateur de produits suisses derrière l’Allemagne, les Etats-Unis et l’Italie, mais devant la France et le Royaume-Uni, selon un rapport publié en juin par le Swiss Center Shanghai, un bureau de conseil aux entreprises. Dans la dynamique actuelle, elle sera le deuxième client dans quatre à cinq ans, après l’Allemagne.»

De nombreux produits suisses sont toutefois frappés de taxes ou font l’objet de tracasseries administratives. Un ALE enlèverait ces entraves. Côté chinois, les importations directes en provenance de la Chine ne totalisent que 3,7 milliards. De ce fait, la Suisse est l’un des rares pays jouissant d’un excédent commercial favorable vis-à-vis du géant chinois. Berne nourrit aussi l’ambition d’être le premier, avant l’Union européenne, à signer un ALE avec Pékin, même si les exigences chinoises, notamment en matière d’accès au marché suisse à ses exportations agricoles, posent problème.

Dans une lettre envoyée à Johann Schneider-Ammann, conseiller fédéral en charge de l’Economie, en juillet à la veille d’une mission commerciale en Chine, la Plateforme lui a rappelé «l’existence des camps de travail forcé. Selon les évaluations, entre 3 et 5 millions de prisonniers, politiques en majorité, travaillent dans ces camps. On ne saurait admettre que des marchandises issues du travail forcé profitent de l’ALE et viennent concurrencer des produits helvétiques sur le marché intérieur».

Cette semaine Harry Wu, dissident chinois, vient soutenir les revendications de la Plateforme Chine, notamment à Genève, Berne et Zurich. Il devrait témoigner de sa propre expérience dans les camps de travail durant près de vingt ans, de son exil aux Etats-Unis, de son engagement contre le travail forcé en Chine et enfin de son arrestation et de son expulsion lorsqu’il est revenu enquêter au pays[2].

«Il est inadmissible que le régime communiste continue à bafouer les libertés politiques, religieuses et syndicales, a-t-il déclaré au Temps, avant de prendre l’avion pour Genève. Un ALE avec la Chine signifie que les consommateurs suisses ferment les yeux sur les prisons où sont fabriqués de nombreux produits d’exportation, notamment textile, jouets et pièces automobiles.»

Les négociateurs suisses n’ignorent pas la revendication de la Plateforme. Lors de son voyage en Chine, le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann a affirmé qu’une clause sur le respect des droits ­humains fera partie des annexes. Insuffisant, selon les ONG, qui bénéficient de soutiens divers, notamment du Parti socialiste suisse. «Si le Conseil fédéral passe outre cette demande, nous combattrons l’accord, que ce soit au parlement ou par un référendum», a averti Hans-Jürg Fehr, conseiller national et président de Solidar Suisse, l’un des membres de la Plateforme.

1. Alliance Sud, la Déclaration de Berne, Solidar Suisse, la Société suisse pour les peuples menacés et la Société pour l’amitié helvético-tibétaine.

2. Accord libre-échange Suisse-Chine: les normes du travail et les droits humains à la trappe? Conférence-débat avec la participation d’Harry Wu, lundi 10 septembre 2012, 19h30. Café de la Maison des Associations, Genève.

source : Le Temps

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