En Paca, la fronde anti Tafta s’organise

Les Inrocks | 1er mai 2014

En Paca, la fronde anti Tafta s’organise

Négocié dans le plus grand secret depuis près d’un an, cet accord commercial entre les Etats-Unis et l’Union européenne prévoit notamment la suppression des droits de douane et l’harmonisation des “barrières non tarifaires”. Pour ses défenseurs, Tafta boosterait les économies concernées. Mais ses détracteurs y voient un “danger”. A la veille des élections européennes, élus et militants s’emparent du sujet.

Si les “pour” se frottent déjà les mains, les “contre” crient au scandale. Officiellement négocié depuis juillet 2013, Tafta pour Transatlantic Free Trade Area (zone de libre-échange transatlantique) doit aboutir, grâce à la suppression des droits de douane et l’harmonisation des “barrières non tarifaires”, à la création de la plus grande zone de libre-échange de l’Histoire. Un marché commun de 820 millions de consommateurs européens et américains, qui représenterait la moitié du PIB mondial et le tiers des échanges commerciaux. De quoi faire tourner la tête des plus grandes multinationales. Selon ses défenseurs, Tafta ferait gagner jusqu’à 0,05 points de PIB par an aux économies européennes et américaines, stimulant ainsi les échanges et les créations d’emplois.

Quatre rounds de négociations secrètes ont déjà eu lieu à Bruxelles et à Washinghton. L’accord, négocié en Europe par la commission européenne, doit entrer en vigueur en 2015. Mais pour cela, il doit auparavant être validé par les vingt-huit Etats-membres de l’Union européenne, puis voté par le Parlement européen, d’où l’enjeu des prochaines élections européennes, prévues ce 25 mai.

Poulet lavé au chlore

En France, la fronde s’organise principalement autour du Front de Gauche (FDG) et d’Europe-Ecologie-Les Verts (EE-LV) qui ont d’ailleurs décidé de placer leur combat contre Tafta au coeur de leur campagne des européennes, l’UMP, le PS et François Hollande préférant rester discrets sur le sujet. Bien qu’en février dernier, à l’occasion d’une visite officielle aux Etats-Unis, le président ait plaidé pour une accélération des négociations.

Quelques jours plus tard, le 21 février, le Conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) se déclarait “hors zone tafta”. Le seul à ce jour avec le conseil d’Ile-de-France. “Ce vote n’est pas qu’un symbole, assure Jean-Marc Coppola, conseiller régional FDG. Ce traité est un nivellement par le bas des règles sociales, économiques, sanitaires et environnementales. Il veut donner le plein-pouvoir aux multinationales et faire sauter tous les verrous législatifs. On demande donc l’arrêt des négociations et l’organisation d’un débat public.” En effet, les “anti-tafta” craignent, qu’avec l’harmonisation progressive des “barrières non tarifaires”, les règles européennes strictes s’alignent une à une sur le moins-disant américain. En Europe, cela pourrait se traduire par l’arrivée dans les rayons de supermarché du boeuf aux hormones, OGM et poulets lavés au chlore qu’affectionnent tant les Américains. La promesse faite par Barack Obama de ne pas “affaiblir la protection des consommateurs et les normes environnementales“ ne rassure pas les plus sceptiques. “Cet accord va remettre en question tous les efforts de l’Union européenne pour établir des normes sanitaires et instituer un principe de précaution”, dénonce Michèle Rivasi, tête de liste EE-LV aux européennes dans la région Sud-Est.

Arbitrage international et gaz de schiste

L’agriculture, l’un des secteurs ciblés par le traité, pourrait aussi en pâtir. “Les deux tiers de l’agriculture française sont exportés au sein de l’UE, avec la suppression des droits de douane, c’est la France qui va être le plus pénalisée. Le marché américain, dont les prix sont plus bas n’aura aucune difficulté à couvrir les besoins des européens”, estime la députée européenne. Selon Geneviève Savigny, agricultrice dans les Alpes-de-Haute-Provence, porte-parole de la Confédération paysanne Paca et déléguée à la coordination européenne du mouvement, la viande bovine, “15% plus chère que la viande américaine”, serait ainsi la première victime. Selon elle, les circuits courts, développés par quelques agriculteurs, plus responsables et respectueux de l’environnement, pourraient également être menacés.

Mais ce qui inquiète le plus politiques et militants, c’est la mise en place d’un mécanisme de règlement des conflits entre entreprises et Etats, ce qu’on appelle plus communément l’arbitrage international. Selon Le Monde, l’instance privilégiée serait le Centre internationale de règlements des différends liés à l’investissement (Cirdi), un organe dépendant de la banque mondiale basé à Whashington, dont les juges sont des professeurs de droit ou des avocats d’affaire. La plupart du temps, ce type d’arbitrage exclut toute possibilité de faire appel. “A partir du moment où le tribunal se place en dehors des lois et des Etats, les multinationales pourront attaquer une collectivité qui refuse, par exemple, d’exploiter les gaz de schiste pour entrave au commerce”, pense Michèle Rivasi. En 2012, l’Equateur a ainsi été condamné à payer 1,77 milliard de dollars à Occidental Petroleum par le Cirdi. Sa faute, avoir mis fin à une décision politique à sa collaboration avec le géant pétrolier après que celui-ci eut lui-même violé leur contrat. Le tribunal arbitral a jugé que cette décision violait le traité d’investissement bilatéral signé entre les Etats-Unis et l’équateur.

Les “anti-tafta” pensent encore pouvoir faire reculer les gouvernements. A Marseille, le collectif Stop Tafta, lancé en mars par l’organisation Attac, organise, ces jours-ci, projections, débats QCM et même chaines humaines pour “sensibiliser” la population et peut-être changer l’issue du vote du Parlement européen. Dans les années 1990, les campagnes militantes avaient déjà conduit à l’abandon de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI), puis, à la fin des années 2000, au rejet de l’Accord commercial anti-contrefaçon (Acta).

par Fériel Alouti

source : Les Inrocks

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